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«Caractériser la charité chrétienne, c'est prouver qu'elle a absolument besoin de liberté : elle s'inquiète d'autre chose encore que de venir en aide à la mis re; elle a son but moral aussi bien que son objet matériel; elle fait partie d'un ensemble de croyances, de sentiments, de devoirs, d'espérances, qui aspirent à trouver aussi dans ses œuvres leur satisfaction; l'âme des pauvres préoccupe le donateur charitable comme leur corps; il se préoccupe de sa propre âme à lui comme de celle des pauvres; il cherche le salut éternel des âmes en même temps que le soulagement des détresses de la terre. La charité chrétienne a donc ses susceptibilités, ses exigences, ses nécessités particulières; elle a surtout besoin d'avoir confiance dans les agents de ses œuvres, de les croire animés des mêmes sentiments qui la possèdent et dévoués aux mêmes desseins. Pour la bienfaisance en général, la liberté est presque de droit naturel; c'est bien le moins qu'en faisant des dons et des sacrifices, on les fasse comme on l'entend. Pour la charité religieuse, la liberté semble encore plus de droit et plus nécessaire; l'entraver dans le choix de ses moyens d'action, c'est lui interdire son action même; il faut qu'elle détermine elle-même sa route pour être sûre d'arriver à son but. Vous la paralysez, si vous prétendez lui prescrire les chemins par où elle doit passer, les mains par lesquelles elle doit agir.»

Plus loin, après des considérations sur le rôle de l'Église catholique dans les sociétés modernes, qui auraient besoin d'être éclairées et que nous n'avons pas à discuter, M. Guizot adresse à une certaine fraction du clergé et du parti catholique de Belgique qui ne veulent pas accepter le régime des institutions existantes, des reproches dont l'expression mesurée a déjà pris place plus d'une fois dans nos colonnes. Puis il ajoute, avec une juste impartialité :

« Je ne dirai pas, comme on l'a dit souvent à propos de notre propre révolution, que c'est surtout à l'obstination et aux prétentions de l'un des extrêmes qu'il faut imputer les lamentables excès de l'extrême contraire. Ce sont là de menteurs et misérables emportements de la polémique des partis. A chacun ses œuvres et la responsabilité de ses œuvres. Quand l'esprit de licence, d'impiété et d'anarchie ne rencontrerait pas sur son chemin l'esprit de résistance égoïste et aveugle, il n'en pousserait pas moins les peuples jusqu'à l'abîme. Ce qui est vrai, c'est qu'après les grandes révolutions, quand la société fatiguée demande à se rasseoir et à s'établir régulièrement dans l'état nouveau que lui ont préparé ces crises terribles, alors surtout les entêtements et les tentatives de l'esprit rétrograde deviennent funestes : il attaque sans pouvoir triompher, il menace sans oser frapper, il injurie sans savoir réformer. Non-seulement il évoque l'esprit révolutionnaire, non-seulement l'impiété cynique ou hypocrite ressuscite à l'aspect du fanatisme persécuteur; mais, ce qui est encore plus grave, le travail de régénération morale et politique, auquel le public se prêtait volontiers, est tout à coup suspendu; les mauvaises passions se réveillent jusque dans les cœurs tranquilles; les méfiances haineuses rentrent dans les esprits incertains; les masses s'irritent, les honnêtes gens s'inquiètent; la société, qui marchait vers le bien, s'arrête

avec doute, tentée d'accepter de toutes mains des défenseurs contre le vieux fantôme qui ne la comprend pas, ne l'aime pas, et prétend la ressaisir. »>

M. Guizot ajoute aussi, en rendant une pleine justice aux sentiments dont est animée la majorité du parti catholique de Belgique :

« J'ai lu attentivement tout ce long débat. J'ai rencontré plus d'une fois, dans les discours des orateurs du parti catholique, des idées que je ne partage pas, des raisonnements que je contesterais; mais l'impression générale qui m'en reste n'est point celle d'un esprit de violence et de réaction, hostile aux tendances comme aux principes de la société moderne. On y sent, au contraire, un respect qui n'a rien d'affecté pour la constitution du pays, un attachement pratique à ses libertés, un certain souffle libérai qui ne s'éteint point dans les emportements de la lutte contre les libéraux, et que j'ai pris plaisir à rencontrer au milieu des ardeurs de la foi et de la piété catholique. Je reste persuadé que la plupart des chefs parlementaires du parti catholique blâment amèrement certaines démarches, certaines paroles de la fraction violente et rétrograde du parti, et que si elle tentait de faire monter au pouvoir et passer en lois le fond de ses idées et de ses desseins, cette fraction n'obtiendrait pas la majorité dans cette majorité catholique qui prévaut aujourd'hui au sein de la chambre des représentants belges, et qui vient de voter les articles essentiels du projet de loi sur la charité. »

Nous citerons enfin cet appel à la conciliation fait aux deux partis, mais dont le parti libéral assurément a plus besoin que son adversaire, et le grave avertissement qui le termine:

« Le bon ordre intérieur dépend en Belgique de la conduite réciproque des deux partis politiques qui ont fondé en 1850 son indépendance et son gouvernement. Pour que la Belgique ne tombe pas en proie à ces agitations déréglées qui réveillent immédiatement en Europe le doute et l'inquiétude sur son avenir, il faut, ou que le parti libéral et le parti catholique demeurent étroitement unis, comme ils l'ont été en 1850, ou que, dans leurs luttes constitutionnelles, ils se respectent constamment l'un l'autre, et respectent fermement ensemble leur roi, leurs lois et leurs mutuelles libertés.

« On dit que l'un des plus considérables adversaires du projet de loi sur les établissements de charité et du parti catholique s'est écrié un jour, non pas dans le débat public, mais dans le laisser-aller de la conversation: «Vous a serez vaincus constitutionnellement ou chassés révolutionnairement. >> Parole étrangement inintelligente et imprévoyante. En 1848, aux portes de la Belgique, un grand gouvernement, qui n'avait pas été vaincu constitutionnellement, a été chassé révolutionnairement. Qu'en est-il résulté pour la liberté? Est-ce l'opposition des Chambres qui a recueilli le fruit de la victoire des rues? Le gouvernement a-t-il été seul vaincu et chassé?

< GUIZOT. >>

DISCOURS DE MOR L'ÉVÊQUE DE LA ROCHELLE ET DE SAINTES

A LA DISTRIBUTION DES PRIX DU LYCÉE DE LA ROCHELLE.

Nos lecteurs n'ont point sans doute oublié les nobles paroles extraites du mandement d'installation de monseigneur l'évêque de la Rochelle, et que nous avons mis sous leurs yeux, dans le numéro du 25 septembre dernier. Appelé le 10 de ce mois à présider la distribution des prix du lycée de sa ville épiscopale, monseigneur Landriot a saisi cette occasion pour exprimer des pensées analogues empreintes du même esprit de conciliation et de foi, qu'il a su revêtir du même charme de langage. L'intention persistante de l'éloquent prélat, qui se fait jour dans tout ce qui sort de sa plume, est de dissiper chez les hommes de notre âge le préjugé trop répandu que la religion est hostile aux progrès véritables et aux légitimes préoccupations de la société moderne. La circonstance et le lieu l'appelaient cette fois à faire sentir les rapports qui doivent unir la religion avec les sciences et les lettres, et jamais sujet ne fut plus approprié au genre de talent de l'orateur. Nous regrettons que l'abondance des matières ne nous permette qu'une seule citation. P. DOUHAIRE.

Après avoir rappelé l'harmonie qui existait au moyen âge entre toutes les sciences et les vérités chrétiennes, Mgr l'évêque de la Rochelle ajoute :

« Ces merveilleux et nécessaires rapports entre la science et la religion ont été détruits dans les derniers siècles. L'humanité y a-t-elle gagné? Personne n'oserait le dire, s'il veut se placer au point de vue de la vraie grandeur et de la sérieuse utilité des nations. La science, dont je me plais à reconnaître la beauté et l'excellence, quand même elle se sépare d'une lumière qui lui est supérieure; car toute science vient de Dieu, et telle est sa noblesse, que l'homme ne peut la flétrir entièrement alors même qu'il brise ses rapports hiérarchiques la science, séparée de l'idée religieuse, est devenue orgueilleuse, téméraire, insubordonnée comme ces enfants capricieux sortis des grandes maisons, elle a promené partout ses plaintes et vantes ses exploits; elle a voulu régir le monde comme on déplace un chiffre, refaire l'humanité comme un composé chimique; elle a voulu construire sur des plans entièrement neufs, et, nous sommes obligé de le dire, l'œuvre commencée et toujours reprise ressemble assez à la tour de Babel. Chacun parle et personne ne s'entend, à moins qu'il ne s'agisse de démolir; et, si chacun était complétement libre de parler, la confusion se terminerait bientôt par l'anarchie et le désordre social.

« La religion a-t-elle perdu à cette séparation? La réponse doit varier selon le point de vue auquel nous nous placerons. La religion n'a rien perdu en ce sens qu'elle peut se suffire à elle-même, et que par une secrète providence de Dieu, qui fait ici-bas le mal un des grands instruments du mieux, la religion abandonnée à son élément exclusivement divin retrouve quelquefois, et plus facilement, la fraîcheur et la beauté de ces temps apostoliques, où Dieu avait posé lui-même les assises du christianisme sur le roc nu de la pauvreté et de la vertu. Il est bon que, de temps en temps, le monde apprenne de nouveau que la folie et l'infirmité de la croix sont plus sages et plus fortes que lui. Cependant la religion s'attriste de cet état, parce qu'avant tout elle est l'amie des hommes, et qu'elle comprend tout ce que l'humanité a souffert de cette séparation. Mère pleine d'amour et sœur indulgente, elle a un cœur qui puise une vie plus abondante dans ses blessures les plus cruelles; elle est toute disposée à oublier le passé, à tendre une main fraternelle et réconciliatrice. Aussi vous avez dû, messieurs, le remarquer, surtout depuis quelques années, partout où elle aperçoit un commencement de désirs, elle fait elle-même les premières avances, Præoccupat qui se concupiscunt, ut illis se prior ostendat (Sag. vi). Les évêques, qui sont ses ambassadeurs, obéissent aux inspirations de cette reine des âmes, quand ils assistent ou qu'ils président à une réunion littéraire, scientifique, agricole; ils viennent comme des pacificateurs, travaillant à la réconciliation entre des choses diverses, mais qui toutes, à des degrés différents, proviennent de Dieu où elles rencontrent leur centre commun. Là, ils ont une mission à remplir, mission divine, malgré son but en apparence humain; mission divine, parce qu'elle a pour fin l'union en Dieu de ce que l'ignorance ou d'injustes préventions ont séparé ; mission divine, puisque celui qui en est chargé a pour désir et pour conclusion de cœur le salut des âmes. Et reconciliet ambos in uno... interficiens inimicitias (Ephes., 11, 16). Détruire les inimitiés! quelle admirable mission ! C'était celle du Christ, de qui l'Apôtre a dit les belles paroles que nous venons de citer. Réconcilier dans l'unité ce qui existe à l'état de séparation violente! Je dis violente, car tout état est violent quand il y a séparation de ce qui doit vivre ensemble.

Si quelqu'un donc était étonné de ma présence ici, et de l'honneur que m'accorde une bienveillance dont j'aurais dû peut-être décliner les pressantes sollicitations, mais qui a triomphé d'un commencement de résistance par l'expression d'un désir que mon cœur a compris; si quelqu'un ne voyait pas la signification d'un fait autrefois naturel et ordinaire, je lui dirais : Laissez l'homme et les imperfections de la personne; voyez l'idée, la dignité que représente l'être humain malgré sa faiblesse. L'Évêque présidant une distribution de prix dans un lycée, c'est un nouveau gage de l'alliance qui existe déjà et qui doit se perfectionner encore entre la religion, les sciences et les lettres; c'est le rameau d'olivier de la colombe qui, tout en conservant la blancheur de ses ailes et la pureté de son regard, c'est-à-dire de la doctrine immaculée dont elle est la messagère, vient dire aux hommes des paroles de paix et d'amour. »

BIBLIOGRAPHIE ÉTRANGÈRE

LE ROMAN CATHOLIQUE EN ANGLETERRE, CALLISTA, A SKETCH OF THE THIRD CENTURY (Callista. esquisse du troisième siècle). London. Burns and Lambert, 1856.

Plusieurs catholiques anglais, la plupart protestants convertis, concurent, il y a quelques années, le dessein de publier, sous le titre de Bibliothèque catholique populaire, une série de livres propres à instruire et à intéresser des lecteurs catholiques ou inclinés à le devenir. Consulté sur l'opportunité d'une semblable publication, S. É. le cardinal Wiseman, non content d'y donner toute son approbation, suggéra en outre l'idée d'une suite de récits propres à faire connaître les conditions de l'Église dans les principales périodes de son passé, en peignant tour à tour l'Eglise des catacombes, l'Eglise des basiliques, l'Eglise des cloîtres et enfin l'Église des écoles. Pénétré de l'importance de son plan, il offrit lui-même de mettre la première main à l'œuvre, et bientôt après, en 1855, il présentait au public Fabiola ou l'Eglise des catacombes.

Une impulsion venue de si haut ne pouvait manquer d'assurer le succès de l'entreprise. Aussi la Bibliothèque populaire voit figurer aujourd'hui parmi ses collaborateurs bien des écrivains déjà connus et aimés du public, à la tête desquels elle place avec orgueil, près du cardinal Wiseman, le R. P. Newman.

Certes, ce n'est pas un fait sans importance dans les annales du roman, que l'adoption de cette forme par deux hommes si éminents et considérés à juste titre comme les lumières de l'Église en Angleterre. Aussi les amis de la religion et de la saine littérature ont-ils accueilli avec reconnaissance et avec joie ces fruits de quelques rares et incertains loisirs où le prince de l'Église et le docteur de l'Université d'Oxford, cachant sous une apparence frivole les trésors de leur érudition, les ont prodigués pour éclairer des esprits qu'un enseignement plus austère rebuterait peut-être.

Cosi all'egro fanciul porgiamo aspersi

Di soave licor gli orli del vaso
Succhi amari ingannato intanto ei beve
E dal inganno suo vita riceve.

Quant au plus ou moins de perfection de ces ouvrages, les auteurs euxmêmes se sont expliqués à ce sujet avec une simplicité bien différente des pompeuses réclames auxquelles certains écrivains nous ont accoutumés.

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