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Si même il y avait quelque apparence de danger, il serait inutile de vous recommander d'être sans crainte; mais ici, je ne crois pas qu'il y ait rien à redouter.

Je le souhaite, dit-elle, car je ne suis pas très-brave, et tous ces visages refrognés ne me rassurent guère. Dois-je prévenir le Père Athanase?

-Vous ferez très-bien.

Cécile rentra dans la maison et reparut bientôt, suivie du prêtre. A sa vue, de bruyants murmures éclatèrent d'abord dans la foule et se transformèrent bientôt en cris d'antipathie.

— Faites avancer le cheval, Waddinghead, dit Saint-Edmunds, du ton d'un homme habitué à commander; pendant que vous tenez la bride, j'aurai soin que ces drôles restent en arrière.

Le jeune homme tendit la main au prêtre en le pressant de partir; cette marque de politesse excita de nouveaux cris. Quelques-uns des plus entreprenants s'approchèrent même dans l'intention évidente d'empêcher son départ; mais sa grande taille et sa contenance résolue aussi bien que celle de Waddinghead et de Saint-Edmunds firent naître un peu d'hésitation.

Allons, mes braves, s'écria Saint-Edmunds, laissez passer monsieur. Très-bien, reculez un peu plus, encore un peu.

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J'ai aussi bien le droit d'être ici que vous, grommela un ouvrier. Ce n'est pas mon avis, dit Saint-Edmunds, en appuyant son opinion d'un vigoureux coup d'épaule qui fit reculer son antagoniste de plusieurs pieds.

Ce petit épisode produisit un moment de diversion qui permit au Père Athanase de franchir la foule et de donner de l'éperon à son cheval sans imprimer à sa retraite l'apparence d'une fuite trop précipitée. Mais les assaillants, trompés dans leur attente, tournèrent leur animosité contre les auteurs de ce désappointement; les cris, les grognements, les menaces recommencèrent de plus belle. En vain Waddinghead, aidé de quelques paysans de sir Charles, survenus dans l'intervalle, essayait-il d'expliquer la position et le rang de ceux qu'ils attaquaient, leurs efforts se perdaient au milieu du bruit et des cris réitérés de: « A bas les papistes! à l'eau, à l'eau les oiseaux de proie! » Nous avons déjà dit que notre héros était peu disposé par nature à chercher le danger, mais il l'était encore moins à l'éviter. Ses ancêtres lui avaient transmis avec leurs titres, gagnés sur les champs de bataille, le courage qui les leur avait acquis; il le retrouva en présence de la lutte. Pour Cécile, ce fut différent : l'imminence du conflit auquel elle ne pouvait prendre aucune part, et qui menaçait d'être fatal à d'autres, glaça son cœur; quand Saint-Edmunds la rejoignit, il vit sans peine que ses forces l'abandonnaient.

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Qu'allons-nous faire? murmura-t-elle faiblement.

Avant tout, et surtout, lui dit-il, ne vous effrayez pas, ne montrez point d'hésitation ni de faiblesse. S'ils nous voient avancer, ils reculeront; prenez mon bras, et, encore une fois, ne craignez rien.

La confiance du jeune vicomte ne fut point justifiée, car ils avaient à peine fait quelques pas qu'ils furent grossièrement arrêtés par son premier antagoniste.

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Je vous conseille de vous retirer, dit Saint-Edmunds.

Et moi, aussi, reprit l'autre. Je vous vaux bien, j'espère.

Ce défi fut appuyé par les cris des assistants et par une volée de pierres dont une atteignit Waddinghead à la joue.

- Prenez garde à vous, s'écria-t-il, en élevant le fusil que le jeune lord lui avait remis après la chasse. J'ai deux coups à votre service.

Diable, je l'avais oublié, dit Saint-Edmunds, ce n'est pas une plaisanterie. Donnez-moi ce fusil, Waddinghead.

La foule fit quelques pas en arrière en voyant l'arme entre les mains de son principal adversaire; mais elle se méprenait sur son but, car après avoir recommandé à Cécile de ne point s'effrayer du bruit, il tira les deux coups en l'air.

Ça suffit, dit-il au garde, en lui rendant le fusil : si on vous attaque, servez-vous de la crosse, car plusieurs de ces drôles ont des bâtons. Maintenant en avant.

La soirée avait été très-belle pour la saison, mais le jour baissait et les ombres du crépuscule ne permirent pas à ceux qui étaient éloignés de distinguer l'action chevaleresque de Saint-Edmunds. Aussi, tandis que les plus rapprochés de lui la comprenaient et l'appréciaient, les autres, trompés par les cris des femmes et le bruit de l'arme à feu, entrèrent dans une fureur violente. Ils se précipitèrent en avant, et au même instant une lutte sérieuse s'engagea. Les renforts fournis par l'arrivée des gens de sir Charles la rendirent moins inégale qu'elle n'aurait été plus tôt ; pourtant il fallait une certaine résolution pour tenir les agresseurs à distance, et Saint-Edmunds dut plus d'une fois faire usage de la baguette de son fusil pour protéger la tremblante Cécile contre toute insulte personnelle.

Nous ignorons combien de temps la lutte aurait pu se prolonger sans une heureuse et très-opportune diversion. Une voiture attelée de quatre chevaux parut sur la route, un homme d'un certain âge, un magistrat, dit-on de toutes parts, en descendit aussitôt ; il n'était autre que notre ami sir Charles en personne, qui, en revenant de Glanford. avait été attiré d'abord par les coups de feu, et ensuite par le rassemblement nombreux. Le digne baronnet était connu de plusieurs des mutins auxquels Cécile et Saint-Edmunds étaient étrangers; le respect, si prononcé en Angleterre pour l'aristocratie, agit heureusement sur

les autres, de sorte que le plus grand nombre accepta sa médiation. Qu'y a-t-il, mes enfants, qu'y a-t-il? demanda sir Charles en se frayant un passage.

Tous répondirent à la fois en accusant les papistes.

Ah! ce sont des papistes, s'écria le baronnet; attendez un peu, j'aurai bientôt fait de les confesser, moi! Où sont-ils? par ici?... Dieu de bonté! ce ne sont pas ceux-là que vous voulez dire?...

Cette exclamation lui fut arrachée en découvrant que les coupables n'étaient autres que sa nièce et son neveu.

-Ah! Cécile, dit-il d'une voix sourde, j'ai toujours pensé que cela en viendrait là !

-Quand nous pourrons vous expliquer ce qui s'est passé, mon oncle, dit Saint-Edmunds, vous verrez que la faute n'en est pas à nous. Maintenant ce qui importe avant tout, c'est de mettre miss Cécile en

sûreté.

Sir Charles lui offrit son bras sans mot dire et la conduisit à la voiture, qui partit aussitôt. Mais, hélas! que la popularité est changeante! Ceux qui avaient le mieux accueilli le magistrat dans l'espoir d'en avoir gain de cause furent les plus exaspérés en le voyant prendre le parti de leurs adversaires. A peine les chevaux avaient-ils fait un pas, que les cris: A bas les papistes! à bas les gens de Rome! retentirent de toutes parts.

Impossible de rendre l'indignation et la colère de l'irritable baronnet. Il frappait du pied, jurait, s'agitait; enfin, n'y tenant plus, et, malgré les représentations de Saint-Edmunds, il fit arrêter la voiture et voulut haranguer la foule; mais la foule l'accueillit par une telle volée de pierres, une si formidable explosion de grognements et d'invectives, que force lui fut de terminer son discours au plus vite et de se laisser emmener au grand galop de ses chevaux sur l'ordre donné par Saint-Edmunds.

Traduit de l'anglais, par Mme AUDLEY.

La suite au prochain numéro.

MÉLANGES

SALON DE 1857

Après les splendeurs de l'exposition universelle, le Salon de 1857 paraîtra certainement fort pauvre au premier abord. Rien qui frappe et arrête le regard, rien qui s'impose vivement à l'attention; mais quelque chose d'universellement amoindri, une sorte de médiocrité uniforme et de niveau tempéré, tous les genres, tous les sujets, tous les talents tendant à se confondre dans une demi-teinte monotone, la sagesse et même la timidité du pinceau se substituant, par une réaction naturelle, aux hardiesses, aux excès. je dirais volontiers aux orgies que se permettait autrefois la couleur; enfin une sorte de compromis banal, où, en dehors de quelques exceptions fondées plutôt sur un désir de singularité que sur une conviction réelle, tout caractère et toute originalité s'effacent!

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Qu'on se rassure toutefois nous ne voulons pas nous livrer ici aux éternelles lamentations de la critique. Il est bien simple qu'un instant de lassitude se produise après les grands combats. L'école française avait redoublé d'efforts pour tenir dignement sa place aux solennelles assises de 1855; elle s'est un peu reposée depuis; mais c'est plutôt là, nous l'espérons, un point d'arrêt où elle se retrempe, une halte féconde où elle puise de nouvelles forces pour l'avenir, que le sommeil de la caducité et de la décadence. Dans les arts d'ailleurs, comme dans les lettres, le génie s'en va à mesure que le talent monte et s'étend, et l'habileté générale ne laisse plus guère de place aux grandes individualités. On ne comprend plus assez la différence qu'il y a entre un peintre et un artiste. Pas le moindre rapin, aujourd'hui, qui ne sache au besoin exécuter sur la toile des tours de force à effrayer un maître du seizième siècle, qui n'empâte mieux et ne fasse des trompe-l'oeil plus miraculeux que Raphaël ou le Poussin. Ce que l'antiquité nous raconte comme une merveille, du trait dessiné par Apelles chez Protogènes, dans le mince espace resserré entre deux contours, des raisins de Zeuxis et du rideau de Parrhasius, il ne manquerait pas aujourd'hui de praticiens pour le dépasser. Mais on les étonnerait beaucoup, et peut-être exciterait-on le sourire des critiques spéciaux, étonnés de cette étrange manière de parler peinture, en leur disant que ces habiletés et ces audaces purement maté rielles ne suffisent point pour une œuvre originale et puissante; qu'avant la sûreté du coup d'œil, la fermeté de la main, la richesse de vivant de cette la palette, la légèreté du pinceau, il y faut l'âme, la conscience et la conviction, premiers instruments du véritable artiste, que, par malheur, on laisse

la plupart du temps à la porte des écoles, comme choses inutiles ou même dangereuses. Pourquoi MM. Ingres et Ary Scheffer, par exemple, moins heureusement doués peut-être, comme peintres, que tel et tel autre que je pourrais nommer, sont-ils incontestablement arrivés aux rangs supérieurs de l'art contemporain, le premier malgré la pauvreté de sa couleur, le second en dépit d'une exécution parfois insuffisante? M. Ingres le doit surtout à une conscience et à une conviction inébranlables; M. Ary Scheffer à l'âme et à la pensée qu'il met dans tous ses tableaux. L'àme, la conviction, voilà ce qui, même dans les arts à demi matériels (à demi, mais non entièrement), comme la peinture, communique aux productions de l'homme une vie propre et durable, par le cachet de personnalité, de puissance, d'émotion qu'elles leur impriment.

Il y a aussi un mal, à peu près universel aujourd'hui, parce qu'il est tout à fait dans notre caractère, qui doit nécessairement nuire au développement régulier de l'art, c'est l'éparpillement, l'indiscipline, le chacun pour soi érigé en principe. On n'arrive jamais à quelque chose de grand que par la concentration, l'unité d'efforts et l'unité de but c'est là ce qui a fait la force de notre dix-septième siècle dans les lettres, et dans les arts, celle des grandes écoles de Parme, de Rome, de Venise, etc. Mais, de nos jours, chacun marche à sa guise et à part. Les mots d'ordre qu'on suivait en aveugles, les drapeaux autour desquels on se serrait vaillamment aux jours d'Hernani et des Massacres de Scio, ont bien disparu désormais. La manière adoptée est pour chaque artiste une affaire de tempérament, souvent l'effet d'un caprice qu'il suit et qu'il rejette tour à tour. Les frontières d'école à école se sont si bien évanouies, qu'il est curieux d'observer combien d'artistes, à peine sortis de l'atelier, n'ont rien de plus pressé que de rejeter bien loin la tradition de leur maître. M. Chassériau, élève de M. Ingres, peignait à la façon de M. Delacroix; MM. Hébert, Antigna, Sieurac, Couture, Dubufe fils, sont élèves de Delaroche; M. Courbet, de M. Hesse; M. Chaplin et M. Baudry de Drolling; M. Dubufe père, de David; M. Decamps, d'Abel de Pujol; M. Delacroix, de Guérin. On comprend bien que ce n'est pas un reproche que je veux leur adresser; c'est seulement un fait que je constate, une tendance que je signale. On pourrait multiplier ces exemples. De tous les maîtres contemporains, M. Léon Cogniet est peut-être le seul qui, plus encore que M. Ingres, ait laissé son empreinte sur la plupart de ses disciples. A proprement parler, l'école française n'existe plus. L'originalité, ou du moins ce qu'on entend aujourd'hui par là, peut sans doute gagner quelque chose à cette extrême liberté d'allures, à cette impatience de se dérober à toute direction suivie; mais est-on bien sûr que la vraie puissance de l'artiste n'y perde pas en proportion? Qu'est-ce donc quand il en est tant qui ont un pied dans tous les genres, même les plus opposés, et font à volonté et sur commande de la peinture académique ou de la peinture de fantaisie, du paysage ou de l'histoire, des sujets religieux ou des sujets ultra-profanes? C'est ainsi que, au lieu de se réunir en un faisceau vigoureux pour la moisson, les épis se parsèment sur le sol, visibles seulement aux yeux des glaneurs.

Néanmoins, et malgré l'absence de presque tous les illustres, nous trouverons, en cherchant, de quoi nous consoler des désenchantements de la

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