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léguait en se retirant la victoire à sa cause et la paix à son pays. » Les joies de la solitude et du repos, les douceurs de la vie privée, qu'il savait bien sentir, il pouvait les goûter d'autant plus librement que sa carrière politique n'était point brisée. Il allait bientôt se retrouver debout à sa place dans le Parlement, également en dehors du gouvernement et de l'opposition, mais plus puissant que jamais peut-être par l'ascendant du caractère et l'autorité de la parole, « jouissant à la fois de l'indépendance et de l'influence, patron de ses anciens adversaires, les critiquant sans amertume, et leur donnant sans arrogance son appui. » La veille même de l'accident qui devait causer sa mort, il parlait encore; il parlait, nous ne devons pas l'oublier ici, pour condamner la politique étrangère de lord Palmerston, son arrogance en face des Etats faibles, sa jalousie contre la France'.

Robert Peel pouvait-il mieux terminer une carrière plus heureuse? Nous avons dit déjà de quels honneurs au sein de son pays fut environnée sa mémoire. L'hommage que vient de lui rendre M. Guizot n'est ni le moins rare ni le moins précieux qu'elle ait reçu. Spectacle imposant et triste! L'homme d'Etat violemment renversé par la révolution élève un monument à l'homme d'Etat soudainement moissonné par la mort. Sans doute rien n'était plus propre à nous intéresser à Robert Peel que les soins pris par M. Guizot pour le faire bien connaître. Toutefois, nous l'avouerons, en lisant ces pages tracées d'une main si ferme, nos regards souvent se détournaient de celui qui les a méritées pour considérer celui qui a pu les écrire.

Il est, en effet, quelque chose de plus difficile peut-être que d'obtenir ou de garder la plus haute position politique, c'est de la perdre sans déchoir et de lui survivre tout entier. M. Guizot a dû aux lettres ce noble privilége. Comme elles avaient inauguré jadis, elles couronnent maintenant sa carrière. Il ne lutte plus, il ne gouverne plus, mais il travaille toujours; et sa plume, que n'a pu briser la fortune adverse, est encore au milieu de tant de ruines féconde en œuvres durables. Qui ne serait touché d'un si noble exemple d'énergie morale et de grandeur intellectuelle? La contemplation sereine et désintéressée de l'histoire élève M. Guizot au-dessus des regrets amers et des stériles mécomptes. Il a trouvé dans le spectacle des révolutions passées la force de ne désespérer ni de son temps ni de son pays, d'apercevoir et de confesser librement ce qui leur a manqué, de penser à l'avenir; et sa retraite a conquis des hommages et des amitiés que n'avait pas connus son pouvoir.

Elle l'a ramené à ses premières et libres études, à ses premiers et paisibles succès, elle lui a rendu comme une seconde jeunesse. Ce

1 Affaire de Grèce. Réclamation de Pacifico.

n'est pas en vain, toutefois, qu'il a manié les affaires et dirigé ou combattu les mouvements des partis. Il recherche la vérité historique avec autant d'ardeur calme et patiente qu'avant les vicissitudes de sa vie publique, mais il la considère sous de nouveaux aspects. Des vues philosophiques dominent toujours ses récits; mais l'étude vivante de l'homme, des caractères, des passions et des mœurs remplit maintenant la place qu'occupait autrefois l'examen abstrait des idées pures et de leur développement. Dans un cadre plus restreint, les personnages apparaissent plus en mouvement et plus en relief, et les lumières de l'expérience politique éclairent au loin de leurs reflets les générations éteintes et les nations étrangères.

Le style a gardé son austère dignité. Les événements sont dessinés d'un trait ferme et sûr plutôt que dépeints sous d'abondantes couleurs. Seulement, aux heures solennelles et décisives, au début ou à l'issue des grandes catastrophes, l'expression s'élève et s'anime; on y sent tout ensemble la profondeur de la méditation et l'éclat de l'éloquence, la précision et la grandeur, et l'on croirait presque alors entendre un ancien, un de ces anciens formés à l'art de penser et d'écrire par les agitations de la place publique en même temps que par les discussions du Portique et de l'Académie. Le dirai-je enfin? A l'émotion religieuse et grave qu'inspire à M. Guizot le spectacle des destinées humaines, ne reconnaît-on pas une âme éprouvée elle-même et frappée sans être abattue?

Ah! sans doute, en considérant Robert Peel et son histoire, il ne se défendait pas de penser à notre pays, et ce qu'il enviait à nos voisins, ce n'est ni leur génie mercantile, ni leurs vastes richesses; il faut relever vers d'autres objets l'ambition de la France. Mais ce que notre patriotisme devrait souhaiter, c'est la stabilité des institutions qui supporte les réformes fécondes et résiste aux révolutions stériles; c'est le respect de la tradition qui affermit et contient les élans de la liberté; c'est, en un mot, la chaîne flexible, mais indissoluble, qui rattache au passé l'avenir. Durant la période que nous venons de parcourir, nul pays n'a été moins ébranlé que la Grande-Bretagne, et nul ne s'est transformé davantage. Faut-il s'en étonner? Plus les racines de l'arbre sont profondes, mieux ses branches reverdissent, toujours jeunes, à chaque saison nouvelle.

Vicomte DE MEAUX.

CÉCILE'

V

On conçoit aisément, d'après ce qui précède, que les cinq années passées à Redburn n'avaient pas été pour Cécile exemptes des chagrins et des épreuves qui semblent être le lot de l'humanité ici-bas. Le joug de fer que sa tante avait enfin réussi à lui imposer lui était parfois si insupportable, que l'envie la prenait de le fouler aux pieds et de fuir pour toujours. Mais, étrangère au monde, l'idée de l'affronter seule la faisait trembler; puis les intentions bienveillantes de son oncle, l'affection fraternelle d'Edouard, la tendresse de Constance, calmaient en elle le feu de la révolte. En effet, il serait difficile de rendre le caractère passionné de l'attachement qui unissait les deux jeunes filles. Cécile aimait Constance d'un amour de mère et de sœur; Constance adorait Cécile et aurait baisé jusqu'à la trace de ses pas. Sa position, son caractère ne lui permettaient pas toujours de saisir toute la portée des réprimandes et des sarcasmes de sa mère; mais elle ne laissait jamais attaquer sciemment sa cousine sans voler à son se

cours.

Maintenant reprenons notre récit. A l'heure du dîner, tous les membres de la famille se retrouvèrent réunis et placés dans le même ordre que la veille; mais le digne baronnet avait recouvré sa bonne humeur, et la conversation, étant animée et générale, ne laissa point, comme la jour précédent, de place aux aparté.

Eh bien, mon neveu, avez-vous fait bonne chasse? demanda le baronnet.

- Très-bonne, sir Charles, puisque, tout en ayant fort mal tiré, j'ai rapporté huit paires de perdrix dans ma carnassière.

Et un chien, ajouta Edouard.

- A peu près. La pauvre bête a reçu un coup de fusil et m'a fait une belle frayeur. Heureusement j'étais près de votre village, et je l'ai confié aux soins d'une si jolie garde-malade, qu'il ne peut manquer d'être bientôt guéri.

Voir le Correspondant du 25 juin.

- Qui ça peut-il être? s'écria Edouard. Redburn n'est pas trèsrenommé pour ses beautés, la compagnie exceptée.

- Votre garde m'a dit son nom, mais je l'ai oublié. Elle m'a gagné le cœur par la douceur de ses manières et le soin qu'elle a pris du pauvre animal.

Ne serait-ce point Mabel Hawthorn?
Précisément, c'est cela.

Ha! ha ha! s'écria le baronnet avec un gros rire, il n'a pas tardé à la découvrir. Excellent, parole d'honneur! Une jolie fille, n'est-ce pas? ajouta-t-il en clignant de l'œil.

Très-jolie, et l'air si agréable!

C'est ça. Pas du tout féroce; ha ha! ha! Pourtant, mon cher neveu, je dois vous prévenir que c'est la seule fille tarée du pays. Mais chut! prenons garde, mademoiselle la tient en grande faveur.

A ce moment on remit à Édouard une lettre d'un de ses électeurs, qu'il communiqua sur-le-champ à son père. Cette diversion permit à Saint-Edmunds d'adresser quelques mots à sa silencieuse voisine. - Vous connaissez donc cette pauvre fille ? lui dit-il.

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-Non, car lady Hélène m'a défendu d'y aller ou de la laisser venir chez moi.

-Par quel motif?

Elle a failli, je le reconnais; mais je suis convaincue qu'elle le regrette du fond du cœur.

Ses manières sont vraiment comme il faut.

Tout en elle est supérieur à sa condition. C'est ce qui l'a perdue. Avait-elle l'air malade?

-Fort souffrant.

J'ai bien peur que ses jours ne soient comptés, et je ne saurais le regretter, car la mort la délivrera de bien des souffrances. Si elle pouvait seulement recevoir les consolations et les conseils dont elle a besoin !

Comment pourrait-on les lui refuser?

C'est une question bien délicate, murmura Cécile en jetant à la dérobée un regard autour d'elle pour s'assurer que personne ne les écoutait. Le fait est que la pauvre Mabel était..... bref, qu'elle est née catholique et qu'elle le demeure au fond du cœur, bien que sa belle-mère la force à suivre la religion protestante.

-Sa belle-mère? C'est sans doute cette vieille Écossaise aux traits durs et communs que j'ai aperçue dans la maison?

- Probablement. Elle a été pour la pauvre Mabel une cruelle marâtre, surtout depuis la mort de son père.

N. SER. T. v. 25 JUILLET 1857. 3' LIV.

17

Les dames s'étant retirées, la conversation revint sur le compte de Mabel. Saint-Edmunds apprit qu'un maître d'hôtel de sir Charles l’avait séduite un an auparavant, puis qu'il avait quitté le pays; et notre héros crut comprendre que l'indignation du baronnet contre la coupable venait en grande partie de ce qu'elle lui avait fait perdre un serviteur utile.

Le lendemain étant un dimanche, le jeune vicomte trouva, en entrant dans la salle à manger, toute la famille réunie, à l'exception de Cécile.

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Je devrais m'excuser, dit-il, heureusement je ne suis pas encore le dernier.

que

- Vous êtes juste à temps pour l'église, mon neveu; mais mademoiselle prenne garde, elle arrivera trop tard pour son service à Glanford.

Je crois que miss Cécile est déjà partie, dit à demi-voix M. Collins à son maître.

- Mais je n'ai pas entendu la voiture?

Miss Cécile est partie ce matin à pied, à huit heures.

- Bon, elle aura quatre milles à faire pour aller et autant pour revenir! Quelle idée! Sais-tu pourquoi elle n'a pas pris la voiture, Constance?

- Je puis bien le deviner.

- Qu'est-ce donc, alors?

Oh! n'importe, répondit Constance en échangeant un regard avec son frère.

Constance est très-rarement de mauvaise humeur, elle a trop de raison d'être satisfaite d'elle-même et des autres; mais, quand il lui arrive par hasard de se fâcher, c'est un spectacle fort curieux et fort saisissant de voir combien ses yeux bleus peuvent devenirs durs, et ses lèvres souriantes se comprimer. Pour notre part, chaque fois qu'il nous est arrivé de remarquer de semblables symptômes, nous avons tremblé d'en être en quoi que ce soit la cause. La même terreur s'empara sans doute de Saint-Edmunds, car il s'approcha d'elle et lui dit tout bas:

- Je n'aurais jamais cru, Constance, que vous puissiez avoir l'air si terrible. J'espère que je n'ai rien dit pour produire un changement si soudain ?

-Vous? Pas du tout, mais ceux que ça regarde ne tarderont pas à le savoir.

Les coupables, ainsi vaguement désignés, n'étaient autre que sir Charles et lady Hélène; car, à peine le déjeuner était terminé, que leur fille les prit à part et leur exposa avec beaucoup de force ce qu'elle appelait son opinion, laquelle semblait tout à fait contraire à la leur.

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