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fluence d'une émulation dont l'expression était franche et vive, comme elle avait pu l'être lors des premiers succès de sa jeunesse.

La foi de M. Cauchy aux croyances de l'Eglise catholique était absolue, active, ardente; elle n'admettait point, et sa conduite l'a bien prouvé, ce que l'on appelle des capitulations de conscience; mais elle était entièrement exempte de fiel et d'intolérance. C'était la foi naïve d'un enfant, celle que le Seigneur aime.

Reçois, mon cher et vénéré maître, notre dernier adieu !

DISCOURS DE M. LE MAIRE DE SCEAUX.

Messieurs,

L'esprit de charité de M. le baron Cauchy s'étendait partout où il pouvait deviner qu'il y avait une consolation à porter, une souffrance à adoucir, l'ardeur de son zèle ne se limitait pas dans un cercle étroit, mais cependant la commune de Sceaux avait ses préférences.

En venant s'établir au milieu de cette population importante; on pourrait dire que M. Cauchy l'adopta et qu'elle devint pour lui une seconde famille. Tous furent l'objet de ses sollicitudes : aux uns, les secours matériels, aux autres les encouragements; à tous, enfin, l'exemple d'une vie irréprochable, de bons et utiles conseils, et surtout des enseignements capables de leur faire apprécier la grandeur de nos destinées futures.

Les vieillards, les enfants, tout ce qui est intéressant et faible, était particulièrement l'objet de ses soins.

Sans cesse occupé de bonnes œuvres, et ordinairement de plusieurs à la fois, s'il atteignait son but, il ne savait pas pour cela se reposer; mais l'ardeur infatigable de sa charité lui faisait trouver des occasions nouvelles de l'exercer encore.

Presque tous les jours je recevais sa visite, souvent même plusieurs fois par jour. Visites courtes, exemptes de vaines causeries; le temps était trop précieux pour celui qui en faisait un si digne emploi. C'était pour me recommander un pauvre infirme, un orphelin, une jeune fille à placer dans une maison hospitalière, un jeune soldat à rendre à une famille dont il était le soutien. J'admirais cette activité incessante, cette persistance de zèle qui ne se rebutait jamais. Il y avait, dans notre si regrettable ami, comme deux existences ou deux vies distinctes: la première, une vie de charité chrétienne; puis une autre vie consacrée à l'étude de la science; toutes deux si bien remplies, si complètes, qu'une d'elles aurait suffi à illustrer un homme. Mais la première surtout le faisait bénir.

M. Cauchy pensait qu'assurer à la jeunesse les bienfaits de l'instruction, et surtout d'une éducation morale et religieuse, était le plus grand service

qui pût être rendu à la société. Aussi rien ne lui coûtait pour y réussir : soins, démarches, fatigues, argent, il prodiguait tout; il allait toujours en avant, sans s'effrayer des obstacles, marchant comme un véritable apôtre dans la voie qui devait le conduire au but, la moralisation de ses frères.

C'est ainsi que cette commune lui doit l'établissement des sœurs de SaintAndré, une conférence de Saint-Vincent-de-Paul, un patronage pour les jeunes garçons, et l'introduction des frères des écoles chrétiennes, comme école libre. Il avait rêvé davantage encore pour cette dernière institution. Quelques jours de plus, et peut-être aurait-il pu voir la réalisation de son œuvre chérie. Il y pensait sans cesse, et particulièrement dans ces derniers jours. Pour en assurer le succès, il avait fait de grands sacrifices pécuniaires; et comme je m'en étonnais un jour, il me dit avec une naïveté charmante: Ne vous effrayez pas; ce n'est que mon traitement, ce n'est pas moi, c'est l'Empereur qui paye. Vous n'avez pas oublié, messieurs. à la faveur de quelle exception les chaires du haut enseignement public avaient été rouvertes à M. Cauchy, exception aussi honorable pour le souverain qui accordait cette exemption politique au génie, que pour celui dont l'immense savoir et le noble caractère la provoquaient, et qui savait en faire un si généreux usage.

Toujours modeste, toujours oublieux de sa personnalité, M. le baron Cauchy était ingénieux à faire remonter à autrui le mérite de ses bonnes actions... Peu soucieux de son corps, on eût dit, tant il s'en inquiétait peu, qu'il n'était pas le sien, que s'en occuper n'était pas son affaire; il ne songeait qu'à son âme.

Peu d'instants avant sa fin, et lorsque des symptômes effrayants annonçaient qu'elle n'était que trop prochaine, il s'entretenait encore avec M. le curé de la paroisse, comme s'il eût été en pleine santé; il s'occupait toujours des intérêts de cette commune; il faisait des combinaisons nouvelles, des recommandations qu'il fallait, disait-il, ne pas manquer de me transmettre; et, comme il s'agitait beaucoup, M. le curé, cherchant à le tranquilliser sur l'affaire qui l'occupait si vivement, l'engageait à rester calme, à seconder ainsi l'effet des prières qui allaient se faire à son intention dans une pieuse solennité Monsieur le curé, dit-il en l'interrompant, les hommes passent, mais les œuvres restent; priez pour l'œuvre.

C'est dans ces nobles et sublimes pensées que s'est éteinte cette illustre existence; c'est animé jusqu'au dernier instant de l'amour du bien public, et en contemplant le ciel, où il devait trouver sa récompense, qu'a fini le plus vertueux et le plus saint des hommes. Notre reconnaissance ne fera défaut ni à ses derniers vœux ni à son honorable mémoire.

DE LA DEMONSTRATION CATHOLIQUE

DE LA

RÉVÉLATION CHRÉTIENNE

A M. le secrétaire du comité de la rédaction,

Monsieur,

Je reçois du R. P. Dechamps la lettre ci-jointe, au sujet de l'article que j'ai consacré à son livre et que vous jugerez peut-être convenable de mettre sous les yeux des lecteurs du Correspondant.

Les difficultés légères que je m'étais permis de proposer au révérend père Dechamps auront eu l'avantage de lui fournir une occasion nouvelle d'appeler l'attention sur son livre je m'en applaudis sincèrement. Mais je ne saurais avoir l'intention de m'engager dans une polémique que je n'avais nullement dessein de soulever. Je me garderai surtout du ridicule de reprendre pied à pied, pour les défendre ou les éclaircir, toutes les phrases d'un article très-rapide, nécessairement incomplet, et qui n'avait pas la prétention d'être un traité dogmatique ce serait attribuer à mes idées une importance qu'elles n'ont pas, et que le père Dechamps seul est en droit de donner aux siennes.

Il a existé, en effet, un malentendu entre le père Dechamps et moi; et ce malentendu porte moins sur le fond des idées que sur le but qu'il s'est proposé. A le voir entreprendre de renouveler l'œuvre, tant de fois accomplie, mais toujours utile à recommencer, d'une démonstration de la foi, j'avais pensé que son intention était de réfuter les principales objections opposées à la vérité chrétienne par l'incrédulité ou le scepticisme contemporain; et je croyais ne pas excéder les bornes d'une critique modeste et même admirative en lui indiquant sommairement celles de ces objections qui ne me paraissaient pas suffisamment discutées. Tel n'était pas son but: il voulait seulement faire voir que, pour un esprit sincère et non prévenu, la vérité chrétienne et la divinité de l'Eglise se présentent avec des caractères de certitude faciles à reconnaître et à justifier. Il ne saurait y avoir, sur ce sujet, de discussion entre enfants de l'Eglise. Quant aux objec'Voir le Correspondant du 25 avril dernier, article de M. A. de Broglie.

tions accréditées par l'incrédulité, et qui circulent autour de nous, il pense qu'elles ne devaient pas être examinées dans son livre, parce qu'elles ne peuvent être alléguées que par la mauvaise foi ou par l'orgueil. Peut-être trouvera-t-on que ce jugement tombe un peu sévèrement, non sur ceux qui ont inventé les premiers ces difficultés, mais sur ceux à qui une fausse éducation ou le malheur des circonstances les ont inspirées à l'état de préventions héréditaires et involontaires. C'est pour ceux-là surtout (si nombreux autour de nous) que j'aurais désiré quelques détails de plus sur des points soit de philosophie, soit d'histoire. Le R. P. Dechamps n'eût point été embarrassé, je le sais bien, de les donner, à l'exemple de tant de maîtres chrétiens qui ont déployé, pour ramener les esprits incertains, les trésors de leur érudition et de leur éloquence. Mais, du moment qu'il n'entrait pas dans son plan de réfuter les objections. mes observations tombent d'elles-mêmes, et je n'ai garde d'y insister. ALB. DE BROGLIE.

MONSIEUR,

Au prince Albert de Broglie.

Vous avez bien voulu consacrer dans le Correspondant un article à mes entretiens sur la démonstration catholique de la révélation chrétienne, et je viens vous remercier de tout ce qu'il contient de bienveillant à mon égard et sur mon travail, et surtout des difficultés que vous m'exposez. Ce sont elles, en effet, qui me donnent l'occasion d'appeler de nouveau l'attention des défenseurs de la foi sur ane question très-importante, et de le faire d'une manière plus efficace, puisque ma voix répondant à la vôtre sera plus écoutée en France. Je tiens particulièrement à ne pas donner à cette lettre le caractère d'une controverse entre des adversaires, mais à lui conserver celui d'une discussion sympathique entre des chrétiens qu'unissent les mêmes intentions, les mêmes pensées et la même foi.

J'aborde de suite les difficultés ou la difficulté, car, au fond, il n'y en a qu'une.

Vous croyez que je n'ai pas assez vérifié le titre de mes entretiens, parce que, selon vous, je décris plutôt comment Dieu conduit l'esprit de l'homme à la foi, ou comment une âme entre en possession de la foi, que je ne donne la preuve ou la démonstration proprement dite de la vérité de la foi. Après avoir analysé avec beaucoup de talent, mais avec une exactitude contestable, la méthode de démonstration que j'ai préférée, vous ajoutez :

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Telle est la vive et ingénieuse démonstration du P. Dechamps. « C'est son développement favori il y trouve le mérite de faire dis

paraître tous les livres, toutes les recherches, toutes les disputes, <«<de tout réduire au contact direct de l'âme et de la vérité. Ce sont « les deux mots du psalmiste qui servent d'épigraphe à son livre «Ecoute et regarde Écoute la voix qui est en toi, et regarde la a bouche qui te répond.

<«< Il y a tant de grandeur et une vérité si touchante dans cette con<«< ception; elle rappelle si bien d'ailleurs à tous les cœurs chrétiens «< ce qu'ils ont éprouvé; elle leur peint si vivement les impressions « qu'ils ont goûtées en arrivant à la foi, qu'il en coûte de la dénaturer <« par une analyse décharnée, et plus encore d'y apporter quelques <«< restrictions. Le P. Dechamps nous permettra cependånt de lui expo<«< ser nos difficultés avec toute la liberté à laquelle a droit un sincère appréciateur de sa pensée. Dans notre humble opinion, la preuve de « la foi chrétienne que le nouvel apologiste nous développe avec une «< chaleur entraînante et contagieuse, est moins une démonstration << proprement dite que la vive description d'un fait. C'est la peinture <«< historique de la manière dont, le plus souvent, sous l'influence de <«< la grâce, une âme se convertit à la foi ce n'est pas précisément << l'arme dont elle peut se servir pour fortifier en elle-même contre les «désirs, les tentations, les objections, cette foi encore chancelante. «C'est l'histoire de la conversion des âmes: ce n'est point propre«ment la preuve de la vérité.

<«< C'est ainsi qu'on prend terre sur le rivage de la foi ce n'est pas <«< tout à fait ainsi qu'on peut y creuser un port et y élever des « digues. >>

L'objection ou la difficulté est ici nettement formulée, mais, comme les développements que vous lui donnez nous serviront à mieux discerner ce que votre pensée a de vrai d'avec ce qu'elle contient, selon nous, d'erroné, nous devons citer encore :

«En tout genre, ce semble, dans tous les ordres de connaissances <«< humaines, dites-vous, rien n'est plus différent que le procédé pratique à l'aide duquel l'esprit découvre la vérité qu'il ignore, et l'ar«< gumentation par laquelle, une fois découverte, ou du moins soupçonnée, il la vérifie, la défend et la démontre. La vérité jaillit « presque toujours dans l'intelligence par une inspiration spontanée ; « c'est un éclair qui traverse, c'est une goutte d'eau rafraîchissante « qui tombe tout d'un coup du ciel sur l'âme altérée de la soif du « vrai. Notre intelligence est si bien faite pour connaître, elle porte « si bien en elle-même, malgré ses imperfections et ses misères, les « germes de toute connaissance, que, quand la vérité passe, elle éprouve comme le tressaillement intérieur d'Elisabeth à la vue de « Marie. Elle sent la vérité, elle la devine, elle court au-devant, nulle « démonstration n'est nécessaire. C'est un jet de flamme, c'est un

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