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devons pourtant signaler les Sœurs Noires, dont l'origine, toute belge, est très-ancienne, et qui ont pour but la visite et le soin des malades à domicile, riches ou pauvres indistinctement. Ces sœurs sont répandues dans un grand nombre de localités. Chez les riches, elles acceptent un faible salaire journalier; chez les pauvres, elles ne prennent jamais rien. Ces sœurs nous font envier nos voisins, les Belges, même au sein de Paris, où tant de bonnes euvres s'accomplissent chaque jour, mais où une semblable institution manque essentiellement.

Un trait caractéristique du pays, c'est que, dans la plupart des maisons religieuses consacrées à l'éducation des petites filles pauvres, l'occupation ordinaire n'est point la couture, mais la dentelle. Les Visitandines, à Gand, sont renommées pour leur habileté en ce genre. Elles ont inventé un nouveau point, appelé Point-de-Gand, qui est breveté et recherché, tant pour sa perfection que pour sa solidité.

Le Béguinage de Gand, le plus nombreux et presque le seul qui existe encore dans toutes ses conditions premières, a été l'objet de l'attention de l'auteur. Un trait assez remarquable, c'est que, dans certaines localités, notamment à Tournay, où les Béguines ne sont plus qu'en petit nombre et à peu près sans ressources, ce sont elles qui portent les morts en terre, s'aidant pour vivre du faible salaire qu'on leur accorde.

L'espace nous manque pour suivre l'auteur dans ses courses à travers les hôpitaux, dépôts de mendicité, communautés, écoles, etc., etc., dont le nombre, l'organisation, l'esprit, ont dû plus d'une fois encore lui inspirer le regret de n'en point trouver de semblables dans sa patrie. Qu'elle se console pourtant, le pays où naissent des âmes assez fermes pour revenir à la croix du Christ malgré les préjugés de l'éducation et en lui sacrifiant souvent les liens de la famille et le charme d'une position brillante, ce pays n'a rien à envier à d'autres, et le moment n'est pas éloigné, peut-être, où il leur donnera l'exemple de toutes les vertus, comme celui des plus sublimes sacrifices. Les faits en ce genre se multiplient sous nos yeux, et si la crainte de blesser une modestie toute chrétienne n'arrêtait notre plume, la conversion de l'auteur elle-même et de plusieurs membres de sa famille nous en fournirait une preuve touchante. L. A.

BIBLIOGRAPHIE FRANÇAISE

CHRONIQUES RIMÉES, par LAURENT PICHAT. Paris, Librairie nouvelle, grand in-8°. 1855.

La plus grande ennemie de la poésie, c'est la préface. Laissons donc de côté celle de M. Laurent Pichat, qui est un hors-d'œuvre tout à fait indépendant du livre, auquel il ne tient que par des liens très-frêles. Il nous suffira de dire que c'est l'apothéose du poëte, écrite par l'auteur en tête des Chroniques, pendant que M. Victor Hugo, son maître, la faisait dans les Contemplations (V. la pièce des Mages). M. Pichat promet le royaume futur du monde à celui qui interprétera les symboles cachés dans la matière, qui retrouvera l'idée de Dieu dans la brutalité du fait et qui saura révéler aux masses les mystères des découvertes. » On reconnaît là des idées germaines, quoique moins entières et moins exclusives, de celles qu'un confrère en poésie, M. Maxime du Camp, développait récemment dans ses Chants modernes, et comme un souffle du vieux saint-simonisme cherchant à renaître et à se renouveler. On se rappelle sans doute les admirables pages insérées dans ce recueil même, où le premier de nos poëtes actuels, M. Victor de LaPrade, a fait si bonne justice de ces abaissements intellectuels. Mais cette préoccupation excessive des phénomènes matériels et des prodiges de l'industrie moderne, qui est le caractère distinctif d'une nouvelle école poétique, semble ici d'autant moins opportune qu'une grande partie de ce volume se compose de chroniques et de légendes du temps passé, c'est-à-dire de ce qu'il y a certainement de moins industriel, et que trois ou quatre pièces à peine se rattachent à cette idée qui paraissait devoir être l'inspiration du livre tout entier. Encore l'une d'elles, le Roi Cyclope, est-elle un anathème au lieu d'une glorification.

M. Pichat est un jeune et vaillant esprit, plein d'ardeurs et d'inquiétudes, un cœur franc et loyal, que recommandent sa dignité, et, nous le croyons, sa bonne foi. Notre sympathie pour lui serait grande, s'il ne blessait trop souvent des croyances qui nous sont chères et qu'on ne gagne rien à ne pas respecter. M. Pichat semble croire que tout est du ressort de l'esprit humain et du domaine des chercheurs. A quoi sert donc la poésie, si elle ne sait même pas frapper l'intelligence de respect et de stupeur devant les plus insondables mystères?

Ceci dit une fois pour toutes, et mis hors de cause, jugeons le poëte en dehors du raisonneur et du philosophe.

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Légendes, Chronique rimée de

Malgré leur allure un peu sombre et la sévérité un peu nue de leurs lignes, j'aime les légendes, sujets anciens que l'auteur a su renouveler, naïves histoires du bon vieux temps qu'il a vivifiées d'un souffle moderne, et d'où il a dégagé le symbole caché et l'enseignement viril.

A part le début, la fin, qui n'en est pas une, et quelques pages, la Chronique de Jacques Bonhomme me paraît, comme poésie, une belle et forte chose. C'est une sorte d'épopée fraternelle et familière des misères du peuple, divisée en neuf tableaux d'inégale valeur. Le premier, la Femme de Jacques, est un poëme poignant, où la simplicité arrive à l'effet le plus large; un récit calme et sobre, où il serait impossible de trouver ce qu'on nomme une phrase, et que sans doute les amateurs des Muses académiques ne manqueront pas de juger fort plat. Ces pages sont, comme la vie que décrit le poëte, d'une réalité triste, monotone, sans éclat et sans soleil, et peu à peu elles vous saisissent puissamment et vous serrent le cœur. L'Enfant gâté n'est pas au-dessous, et je dois y signaler, entre autres, une histoire des campagnes de Russie et de France, faite par Jacques au cabaret. L'Almanach renferme de très-jolis tableaux de genre. à la façon de Van Ostade; mais j'en voudrais retrancher deux pages malencontreuses, qu'on ne peut prendre que pour un tour de force. M. Pichat aura parié de mettre en vers les prédictions et les nouvelles de l'almanach pour chaque mois de l'année, et il y a réussi; mais quels vers! Il fallait avertir en note de la plaisanterie. Dans le Cadet, l'auteur met face à face Jacques Bonhomme et Jean-François Populus, le peuple résigné des campagnes et le peuple ardent de la ville, le laboureur patient et simple et l'ouvrier philosophe et révolutionnaire, et c'est peut-être la meilleure inspiration du poëme que cet endroit écrit d'un style chaud et sensé, fin et vigoureux à la fois.

Ainsi, somme toute, cette populaire épopée, que je ne puis examiner plus en détail, a voulu arriver à la poésie par l'exactitude seule et la terrible fidélité des détails, et elle y est arrivée. La plume du poëte s'est changée en un daguerreotype intelligent, qui n'a reculé devant la reproduction d'aucune des parties du modèle. M. Pichat a dû étudier de très-près, avec amour et pitié, la vie de Jacques Bonhomme, ses travaux, ses malheurs, sa maison et ses meubles, son langage pittoresque et trivial. Mais pourquoi faut-il qu'en passant, au détour d'une page, nous nous trouvions tout à coup face à face avec des théories suspectes et de condamnables agressions?

J'aurais encore bien des pièces à signaler dans les Heures de patience, mais il en est deux que je veux noter surtout comme indice des dispositions morales du poëte: le Vieil Homme et I. N. R. I. La première est empreinte d'un découragement douloureux, d'un désespoir morne qui ne croit plus à rien. Il ne faut pas toujours traiter de mensonge et de vaine parade ces tristesses vagues des poëtes, sentinelles perdues qui se lassent aisément, et qui, comme ils ont l'élan prompt aux larges espoirs, ont aussi les chutes faciles et profondes, parce qu'ils manquent d'un idéal fixe et qu'ils s'agitent trop souvent dans un vide sonore. Ils doutent, mais eux-mêmes regrettent leur doute et le maudissent quelquefois, comme il arrive à M. Pichat dans I. N. R. I., comme il est arrivé avant lui à M. de Musset, à M. Victor Hugo, et à bien d'autres. Ceci n'est-il point une condamnation? O rêveurs! rêveurs! Et ce

pendant, pour M. L. Pichat, le poëte n'est pas le rêveur, comme il ressort de sa préface, de tout son volume, et surtout des Idyles de mai: le temps des églogues et des bucoliques est passé. Le poëte est un soldat: il se doit à l'action, à la pensée ardente et féconde, à la recherche, à l'utopie, à l'enfantement douloureux de l'avenir. Aussi la muse de l'auteur est-elle chaste, austère et virile, comme une initiatrice; il n'y a pas de chants d'amour, pas de tendresse amollissante, pas d'Elvire ou de Laure dans ce livre, dont toutes les pièces montrent un esprit naturellement élevé, beaucoup un vrai poëte; quelques uns, le Féminin éternel, par exemple, abstraction faite des idées contestables, un très-remarquable, et j'oserais presque dire, bien que le mot soit immense, un grand poëte. Pourtant, je ne me dissimule pas que beaucoup ne seront point de mon avis: la poésie de M. Pichat est de celles qui ne peuvent plaire qu'à un petit nombre, par leur beauté sobre, contenue, forte et sévère, ne sacrifiant point aux grâces ni à l'élégance mondaine.

Du reste, cette poésie a ses défauts, et de graves défauts. Je n'en veux pas à la rime riche, qui frappe le vers d'un marteau sonore sur l'enclume du rhythme; mais cette rime, despotique et fantasque, exige bien des sacrifices, sans compter qu'à la longue elle accroît la monotonie naturelle à notre alexandrin, et que, lorsqu'on l'a remarquée, elle finit par taquiner l'esprit et l'oreille. Dans tout ce gros volume, il n'y a pas une seule rime qui ne soit des plus opulentes; de ce côté, M. Pichat l'emporte même de beaucoup sur M. Victor Hugo, et il est incontestablement le maître; mais de là découlent des vers dont le sens est obscur ou forcé, l'image bizarre, l'épithète tirée de loin. Le style est savant, d'une trame ferme, étudiée, et où n'entre pas un fil lâche et frêle; le vers est fort, sobre et mâle, mais un peu terne; il marche toujours appuyé sur l'idée. M. L. Pichat est un poëte érudit, mais cette érudition même a ses inconvénients; à force de bourrer son vers de faits, de noms et de choses, il le fait éclater, et le dédain de la phrase, du mot, pousse en quelques endroits l'austérité de la forme jusqu'à l'aridité. La familiarité simple, et l'allure pédestre (sermo pedestris) que l'auteur recherche en beaucoup de pages, par haine de l'emphase gonflée et vide, échoue souvent contre le prosaïsme et parfois contre le terre à-terre; il n'a pas, en général, l'image radieuse, l'éclat, l'harmonie, l'expression large et lumineuse, les oasis et les éclaircies du style. Joignez y quelques négligences, par exemple, des répétitions de mots arrivant coup sur coup, et vous aurez une idée des défauts de ce livre. Eh bien pourtant, malgré tout cela, les Chroniques rimées sont certainement, pour les raisons que j'ai dites, un des meilleurs volumes de poésies qu'on ait publiés dans ces dernières années; je l'aime, quant à moi, ne fût-ce que pour la dignité de sa forme, la noblesse et l'élévation naturelles des pensées comme de l'inspiration, et je ne vois pas pourquoi je ne l'aurais point dit. M. L. Pichat se trompe sur les questions les plus importantes, je le crois, j'en suis sûr; mais il se trompe de bonne foi et non sans une véritable générosité de vue égarée par un profond malentendu, qu'il serait si facile de dissiper, il me semble, quand on parle à des hommes de volonté droite et franchie. Nous n'aimons pas la doctrine, mais nous estimons le caractère; et nous tendons la main au poëte, en détournant notre face du théoricien. V. FABRE.

LES MERVEILLES DU CORPS HUMAIN, précis méthodique d'anatomie, de physiologie et d'hygiène dans leurs rapports avec la morale et la religion, par J.-B.-F. DESCURET, docteur en médecine et docteur ès lettres de l'Académie de Paris.

Les Merveilles du corps humain! Que n'a-t-on pas dit sur ce sujet depuis le traité de Ga'ien sur l'Utilité des parties du corps jusqu'au traité de Bossuet sur la Connaissance de Dieu et de soi-même, et jusqu'au traité de l'Existence de Dieu de Fénelon? Quel livre d'anatomie et de physiologie n'abonde, bon gré, mal gré, en détails admirables sur les rouages de notre organisation physique et ne démontre à chaque ligne ce que Broussais lui-même appelait la Providence intérieure des organes? M. Descuret a cependant voulu reprendre ce sujet toujours à reprendre et renfermer dans un seul volume un précis élémentaire d'anatomie, de physiologie et d'hygiène, à l'usage des gens du monde. Toutefois ceci n'est pas un livre de physiologie et d'hygiène populaires destiné à satisfaire une vaine curiosité, à faire l'étalage rapide de quelques détails anatomiques avec addition de quelques banales recommandations hygiéniques. Non: l'auteur a eu un but plus élevé, un but moral et religieux; il adresse son œuvre à un public instruit, public que nous voudrions bien voir de plus en plus étendu, celui des hommes qui, par position ou par goût, étudient les rapports du corps et de l'âme.

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Après avoir exercé la médecine pendant un grand nombre d'années, non pas comme les praticiens qui ne font qu'user des paires de souliers, suivant la très-juste expression de Zimmermann, mais en homme qui réfléchit, qui compare incessamment la science ancienne et la science moderne, qui croit à la médecine morale comme à la médecine pharmaceutique, après avoir consulté longtemps les philosophes et les théologiens autant qu'interrogé les malades, M. Descuret a écrit ces quelques pages d'anatomie, de physiologie et d'hygiène, et il n'a cru pouvoir mieux intituler son livre que les Merveilles du corps humain, ni trouver de meilleure épigraphe que celle-ci tirée de Plutarque Le corps est l'instrument de l'âme, et l'âme l'instrument de Dieu. Placé au point de vue de la philosophie spiritualiste et chrétienne, il trouve la règle de ses conseils hygiéniques dans la destinée morale et sociale de l'homme. C'est bien la même plume qui a écrit, il y a quelques années, la Médecine des passions, pour démontrer l'harmonie de la législation, de la religion et de la médecine, ainsi que la nécessité de leur concours dans le traitement des infirmités morales. M. Descuret croit à la subordination des fonctions dans l'homme et ne rejette point sur l'arrière-plan ce que quelques physiologistes appellent les phénomènes moraux et intellectuels, comme si la moralité et l'intelligence de l'humanité en étaient la partie accidentelle. Il ne voit point dans l'hygiène la satisfaction des besoins organiques, mais l'harmonie de notre vie organique avec la vie supérieure de notre être; et cette étude respectueuse de ce que doit être le corps pour être un bon instrument de l'âme répand sur son livre un intérêt qui ne se trouve point dans les publications banales de médecine populaire. Et de plus, les souvenirs littéraires se mêlant agréablement aux considérations philosophiques, le lecteur est entraîné avec un égal plaisir dans la contemplation des harmonies physiologiques et dans l'étude des plus sages règles de l'hygiène.

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