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Volontiers, à moins que vous ne préfériez en entendre un autre du même compositeur?

Tout ce que vous voudrez. Comment l'appelez-vous?

Ernest Reinhold. Ou je me trompe, ou son nom sera bientôt célèbre, car il sent ce qu'il compose.

Près d'une demi-heure s'écoula avant que l'aimable captive pût quitter le piano où la retenait l'admiration de ses auditeurs. Elle ne fut délivrée qu'au signal de la retraite donné par lady Hélène, l'heure habituelle du repos étant déjà passée.

Saint-Edmunds resta quelques minutes encore avec sir Charles et Edouard pour arranger l'emploi de sa matinée du lendemain, tandis que tous les deux seraient absorbés par la défense de leur influence dans le comté. On convint d'une expédition contre les perdrix et les lièvres en compagnie du garde, et là-dessus le jeune homme regagna ses quartiers en se disant qu'après tout la vie à Redburn n'était pas aussi ennuyeuse qu'il l'avait cru. Réflexion judicieuse et due sans nul doute à la conversation animée et aux yeux brillants de sa cousine Constance.

IV

Certes, la beauté de Constance était bien faite pour répandre un charme particulier autour d'elle. Pourtant, lecteur sceptique, n'imaginez pas que nous vantions l'éclat de ses yeux, la perfection sculpturale de son nez grec et la grâce de sa personne, uniquement parce que nous ne pouvons louer en elle des qualités d'un ordre supérieur. Son caractère est aussi heureux que son teint est transparent, et quant à son esprit, il n'a pas moins de finesse que la plus fine des aiguilles contenues dans ce charmant étui sur lequel on lit: Qui me néglige me perd. Ajoutez à cela qu'elle dirige admirablement la maison, qu'elle tient tous les comptes dans un ordre parfait, ce qui ne l'empêche pas d'être fort érudite, comme vous pourrez vous en convaincre, si jamais vous obtenez la faveur de pénétrer dans sa retraite. Là vous trouverez, entre un chien maltais pur-sang, un bel oiseau des Indes occidentales nommé Dandy et une foule de fleurs, un nombre considérable de livres. Non point de vos stupides romans, s'il vous plaît, mais des ouvrages sérieux, abstraits, d'histoire et de religion, en anglais, en français, en allemand et en italien; tous couverts de notes tracées d'une écriture fine et déliée. Mais, comme le monde européen a entendu parler de la belle Constance, nous ne prolongerons point cette inutile et imparfaite description de ses qualités, préférant de raconter sommairement les circonstances qui ont mis Cécile en contact avec elle.

Nous avons déjà appris de la bouche même de la jeune orpheline, que sa situation était fort précaire. Cette différence de fortune entre proches n'est pas assez rare pour nous étonner; mais quelques particularités dans sa vie et dans celle de ses parents demandent une courte explication pour l'intelligence de ce récit.

Son père, George Basinstoke, homme du monde parfaitement doué, s'était laissé tellement dominer par la passion du jeu, qu'après avoir tout perdu il fut obligé de s'enfuir en Francé, où il passa le reste de ses jours. Retiré dans le Midi, il s'attacha passionnément à une jeune personne de bonne famille, mais sans fortune, et l'épousa; deux ans après cette union il mourut, laissant une veuve et un enfant sans ressources. Madame Basinstoke remplit ses devoirs de mère avec une sollicitude infatigable, mais, s'il faut en croire les malveillants, la solitude et la pauvreté lui furent de mauvaises conseillères. Jusqu'à quel point ces bruits injurieux étaient-ils fondés? nous ne chercherons point à l'approfondir; toutefois nous craignons que lady Hélène n'eût moins de tort d'entretenir certains doutes à cet égard, qu'elle n'en avait de les proclamer en toute occasion avec une dureté sans pareille.

Cécile avait environ quatorze ans, quand sa mère, succombant à une maladie de langueur, obtint enfin, après des appels réitérés, que sir Charles vint la voir et assister à ses derniers moments. Le digne baronnet avait toujours eu pour son frère un attachement très-vif, et l'opinion défavorable qu'il avait conçue de sa belle-sœur s'effaça promptement devant le douloureux spectacle auquel il assista; aussi les dernières paroles qui consolèrent les oreilles de la mourante furent une promesse solennelle de donner à la jeune orpheline un abri paternel sous le toit de Redburn; promesse aussi fidèlement accomplie que cordialement faite.

Rendons cette justice à lady Hélène, dès l'origine elle blåma vivement cet arrangement. Elle devait ses soins à sa famille, pensait-elle, et elle ne croyait point agir selon son devoir en introduisant dans l'intimité de sa fille une jeune personne dont la religion, l'éducation et les habitudes étaient tout l'opposé de celles qu'elle s'était efforcée de faire prévaloir chez ses enfants. Sir Charles, pour écarter ces objections, eut recours aux meilleurs raisonnements qu'il put trouver, s'appuyant sur l'espoir, malheureusement peu fondé, de changer, par une direction habile, les dispositions et les croyances de leur jeune nièce.

Si cette transformation fut en partie réalisée quant aux points secondaires, elle échoua complétement pour les points principaux. D'abord Cécile se montra indisciplinée et rebelle; mais, grâce aux bons exem-. ples de Constance ou à l'inflexible sévérité de lady Hélène, elle devint, après quelques luttes violentes, généralement aussi docile qu'on pou

vait le souhaiter. Mais, si le succès couronna dans l'ensemble la direction de lady Hélène, il l'abandonna lorsqu'il s'agit d'arracher la jeune fille aux erreurs et aux superstitions catholiques. Cécile enfant avait juré, sur le lit de mort de sa mère, de ne point renoncer à sa religion; elle restait fidèle à son serment avec une persistance invincible. En vain la conduisit-on à l'église protestante; en vain reçut-elle les leçons de lady Hélène et du révérend docteur Wellendowed lui-même sur les articles fondamentaux de la Réforme; on ne put parvenir à la pénétrer de la sainteté ni du lieu, ni de l'enseignement, ni de l'éminent pasteur. On lui retira son rosaire et son crucifix; on la priva de sa petite bibliothèque un volume de Thomas à Kempis, deux d'Arnauld et quatre de Bossuet, et l'on chàtia quelques-unes de ses reparties, avec une sévérité que son âge pouvait, jusqu'à un certain point, autoriser encore. Rien ne fit. Nous n'oserions dire jusqu'où lady Hélène eût poussé le zèle du prosélytisme, connaissant l'ardeur de ses convictions et la ténacité de son caractère, si Édouard ne se fût interposé, insistant pour qu'on abandonnât sa cousine aux conséquences de sa détermination coupable, mais inébranlable. Grâce à son intervention, on rendit à la jeune perverse ses livres dangereux, son crucifix et jusqu'à son rosaire; puis, pour couronner toutes ces merveilleuses concessions, le père Athanase Fastwell obtint la permission de diriger sa conscience. Cet état de choses, inégalement agréable à tous les membres de la famille, subsistait depuis deux ans, quand les mesures adoptées par le pape au sujet de l'Angleterre vinrent renouveler les discussions et les difficultés.

La suite au prochain numéro.

Traduit de l'anglais, par Me AUDLEY.

MÉLANGES

LA KABYLIE ET LES KABYLES.

Vingt-sept années se sont écoulées depuis que la France a mis le pied sur le sol des États barbaresques; peu à peu sa domination s'est assise; l'œuvre de conquête terminée, la colonisation a commencé. On a, et à juste raison, vanté la domination romaine en Afrique. Mais les mécontents sont venus dire que ce grand peuple avait fait mieux et plus vite que nous. Esprits chagrins, consultez l'histoire, feuilletez les annales africaines : deux cents ans après que le pays avait été érigé en province romaine, les légions étaient à Auzia (Aumale)! La France, au milieu de trois révolutions, de péripéties administratives sans nombre et de tout genre, régnait, au bout de vingt-deux ans, à Biskara et à El Aghouat; à El-Aghouat, dont, il y a cent ans, le naturaliste Schaw n'entendait parler que sous le nom de tribu des Lowaâtes; à El-Aghouat, où un seul pacha turc. le célèbre Salah-Raïs, avait pu pénétrer pour en revenir au plus vite. Les Romains, à la vérité, ont dominé plus loin que nous encore, jusqu'à Sedjelmaça1; mais ils y ont mis le temps. Aujourd'hui nous sommes à Tuggurth. Au Sénégal, la France occupe Podor, et on peut prévoir que, tôt ou tard, la côte occidentale de l'Afrique communiquera, à travers les oasis sahariennes, avec la côte septentrionale.

Cependant, au milieu de cet empire déjà vaste et qui est appelé à s'étendre, reste un noyau de populations insoumises que nous avons à peine entamées, c'est la Kabylie, où depuis un mois opère notre armée. Lorsqu'on jette un coup d'œil sur une carte de l'Algérie, on voit, à vingt lieues environ d'Alger, une région montueuse, accidentée, qui forme une sorte de quadrilatère, dont les points extrêmes occupés par la France sont, dans la province d'Alger, au nord, Dellys, au sud, Aumale; dans celle de Constantine, au nord, Bougie, au sud, Sétif. Le pays ainsi circonscrit comprend une superficie d'environ cinq cents lieues carrées. Sa population est généralement évaluée à deux cent cinquante mille âmes; c'est le chiffre énoncé par le général Daumas dans son ouvrage sur la grande Kabylie, mais je le crois de beaucoup inférieur à la réalité. Il faut bien distinguer la grande Kabylie des petits pays kabyles, ou plutôt des régions montagneuses, si nombreuses en Algérie, habitées par les

'Cette célèbre ville fut ruinée, à ce que nous apprend Léon l'Africain, puis rebâtie; elle existait encore en 1710. MM. Walknaër et d'Avezac ayant établi l'identité des vallées de Sedjelmaça et de Tafilet, M. Berbrugger croit pouvoir placer cette ville dans la vallée de l'OuadZig, au sud-est et à une faible distance de Tafilet. C'est à tort que quelques écrivains géographes ont pu supposer que Sedjelmaça et Tembouctou étaient une seule et même ville.

races kabyles, populations tout à fait à part au milieu des Arabes. Les principales sont les Traras, l'Ouarensenis, le Dahrâ, le Petit-Atlas; les BeniMenassers (tribus du Djebel-Zaccar et du Sahel) du pays cherchellien appartiennent à la race kabyle.

Je ne m'occuperai ici que du Djurjura (Djerjer des anciens), que les descriptions désignent sous le nom distinctif de grande Kabylie.

Décrire ce pays est presque impossible. Sa configuration est tellement multiple, ses tribus sont si nombreuses, si diverses, que, politiquement et géographiquement, ce serait une tâche aussi aride pour moi que pour le lecteur. D'ailleurs les chaînes et vallées centrales sont encore peu connues; M. le capitaine Carette a donné, dans les volumes IV et V de la Commission scientifique, tout ce que l'on a pu se procurer de renseignements sur la Kabylie pro prement dite et sur 1 ses tribus qui l'habitent. Le meilleur ouvrage que nous possédions sur les mœurs, la topographie, l'histoire de la Kabylie, est celui de M. le général Daumas, qui a été longtemps directeur central des affaires arabes. Cet officier distingué a su avec un rare mérite tirer parti des nombreux documents que sa position le mettait à même de se procurer1. C'est le guide indispensable de ceux qui veulent étudier les hommes et les choses de ce curieux pays.

Le célèbre historien Hon-Khaldoun, l'auteur des Dynasties berbères, dont l'Algérie savante doit la traduction à M. le baron de Slane, décrit ainsi la partie habitée par la confédération des Zouaouas: « Un ensemble de précipi«ces formés par des montagnes tellement élevées, que la vue en est éblouie, «et tellement boisées qu'un voyageur ne saurait jamais y trouver son <«< chemin... » Le massif principal et le plus élevé du pays est la chaîne du Djurjura, qui court parallèlement au littoral compris entre Dellys et Bougie. «Ses crêtes rocheuses dominent à plus de deux mille mètres le niveau de la «mer. A part quelques arêtes dénudées, quelques ravins inextricables, quel<«<ques arrachements accidentels, le sol y est en général garni d'une épaisse « couche de terre végétale, terre facile et productive, qui présente rarement des <<< obstacles insurmontables. » C'est la ligue de partage des eaux, multipliées par une foule de contre-forts et de chaînons inférieurs, qui se subdivisent en vallées et ravins. Cette chaîne principale forme deux vallées de premier ordre celle de l'Oued Sebaou ou Neça, qui coule de l'est à l'ouest et verse ses eaux dans la Méditerranée, non loin de Dellys, du côté des Yssers; l'autre, l'Oued-Summan ou Sahel, coule au sud de l'ouest à l'est par les Beni-Yala, les Beni Abbas, pour tomber également dans la mer, à Bougie. Signaler les myriades de cours d'eau qui baignent ces milliers de montagnes, serait, je l'ai déjà dit, à peu près ou plutôt totalement impossible.

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On ne possède jusqu'à présent que fort peu de renseignements sur la géo graphie et l'histoire ancienne de cette région. Ptolémée, dans sa première feuille de l'Afrique, parle du littoral kabyle. Sous le nom de Pelagus Sar donum, il désigne l'isser et le Summan. La table de Peutinger donne le nom du Nababes aux populations de ce pays. M. Mac-Carthy a rétabli et décrit,

"La graude Kabylie, éfua's historiques, par M. Daumas, colonel de spahis, et M. Fabar, capitaine d'artillerie. Un vol. in-8°, avec cartes, 1847.

2 Daumas, ouvrage cité, p. 152.

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