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gré la vigilance de la croisière anglaise, à un navire qui l'aurait transporté aux États-Unis... — Ah! s'écria le roi, après un pareil acte de fidélité, de courage et de dévouement, il n'y a pas d'hésitation possible; je nomme M. Besson. »

On aurait pu appliquer à M. Hyde de Neuville le mot de Mathieu Molé : « Je vais à la cour, j'y dirai la vérité. »

Aux qualités de l'homme d'Etat, il joignait celles de l'homme de bien.

Ce qui précède nous conduit naturellement à exprimer notre opinion sur un point historique qui, autrefois, aurait pu être délicat à traiter, mais qui ne l'est plus maintenant qu'un quart de siècle s'est écoulé depuis la mort de Charles X et que des révolutions successives ont passé sur le pays. On a prétendu que ce monarque ne prêtait au ministère Martignac qu'un appui incomplet. L'auteur de cet article a vu les choses de près, et il lui est resté une conviction contraire. Charles X était plein de loyauté et de franchise. Sa conduite fut droite envers ses ministres, comme envers tous les hommes qui ont eu l'honneur de le servir. « Ayez la majorité, disait-il, et je vous soutiendrai ; si vous la perdez, j'aviserai. » Ces paroles, si nettes, furent pour lui, pendant la durée de ce ministère, une règle qu'il observa sincèrement. Mais on sait ce qui arriva dans la Chambre élective: la loi départementale défendue par l'éloquence suave, pénétrante et élevée de M. de Martignac, et par les efforts réunis de ses collègues, était la mesure fondamentale du cabinet; un succès ou un échec sur ce point était la pierre de touche de son influence parlementaire. Dans une des questions importantes de cette loi, la droite de la Chambre, par une tactique imprévue, et que beaucoup de ceux qui y prirent part ont depuis amèrement regrettée, vota avec la gauche et forma une majorité accidentelle, défavorable à la loi proposée. De là le retrait du projet, et peu de temps après la formation d'un nouveau ministère.

Sans doute, une autre politique aurait été possible, et on pensa même généralement alors qu'elle eût été préférable. Le roi aurait pu conserver son cabinet, qui, à la session suivante, aurait présenté une seconde fois les lois désirées par le pays; et la chambre, mise en demeure de se prononcer définitivement, eût été dans la situation que nous indiquions ci-dessus. Mais on ne saurait méconnaître que la question était discutable.

M. Hyde de Neuville et ses collègues, exempts, pour eux-mêmes, de tout regret, virent avec douleur et avec effroi s'allumer, entre la chambre, livrée, ainsi que les électeurs, à une opposition extrême, et la couronne, malheureusement conseillée, le conflit qui aboutit au triste dénoùment de 1830; résultat fatal d'une politique à outrance, pour nous servir d'une expression souvent employée depuis.

A dater de cette époque, M. Hyde de Neuville fut étranger à la vie publique. Il était, comme il aimait à le dire, le vigneron de l'ÉTANG: c'était le nom de sa terre. Son cœur aimant se livrait aux affections privées. Il fut cruellement atteint dans la plus chère de ces affections; en 1850 il perdit cette admirable femme qui avait fait le charme de sa vie. Le temps ne ferma pas cette plaie. Cependant M. Hyde de Neuville trouvait des consolations dans sa religion sincère. Il en trouvait aussi dans l'excellente famille dont il était entouré, dans des amis, fiers de son affection, qui le révéraient comme on révère un monument, et qui le chérissaient comme un modèle de bonté, enfin dans les nombreux services qu'il rendait avec une incomparable ardeur que l'age ne refroidit jamais. Nous n'avons pas connu d'homme plus chaudement animé du désir d'obliger. Ni soins ni démarches ne lui coûtaient. Sa persévérance et le respect que son caractère inspirait étaient des moyens presque infaillibles de succès. Quelques jours avant sa mort, il dictait encore des lettres pour ses protégés à deux nièces, associées à toutes ses bonnes actions, et qu'il appelait ses secrétaires intimes. Son modique revenu était presque entièrement absorbé par d'incroyables bienfaits, qui n'étaient révélés que par l'honorable indiscrétion de ceux qui en étaient l'objet. Dans les années de cherté, ses sacrifices augmentaient avec la misère. Un jour il dit à une pauvre femme qui passait devant lui chargée de bois vert : « Vous vous exposez «< à un procès... Je n'en ai pas peur, monsieur, répondit-elle; je <«<l'ai pris chez vous... » Hommage naïf à la charité indulgente de l'homme auquel il était adressé. Les soins donnés aux bonnes œuvres remplissaient ses journées. Il était président de la Société des SourdsMuets; et c'est avec attendrissement qu'on a vu à ses obsèques une députation de ces infortunés, dont le visage manifestait, d'une manière frappante, la vénération et la douleur que le reste de la nombreuse assistance exprimait d'une voix émue dans le chemin de la maison mortuaire à l'église. Conformément aux volontés du défunt, ses restes ont été transportés de Paris, où la mort l'avait atteint, à cette terre de l'Etang, qu'il aimait tant et où il était tant aimé. Là une foule immense se pressait autour de sa tombe. La contrée tout entière s'y était rendue. Les pauvres pleuraient un père. Tous ses concitoyens pleuraient un homme dont les grandes qualités avaient été l'honneur de la France entière, mais qui leur appartenait d'une manière plus intime.

La conversation de M. Hyde de Neuville était pleine de charme. Il racontait avec un naturel parfait une multitude de faits intéressants auxquels il avait pris part ou dont il avait été témoin. La noblesse et la bienveillance de ses sentiments coloraient ses paroles et les animaient d'une douce et paisible chaleur. Il ne sortait de sa mansuétude habituelle que lorsque, en sa présence, on attaquait les réputations,

soit avec injustice, soit même avec trop de sévérité; M. Hyde de Neuville s'en faisait alors l'énergique défenseur. A une époque où beaucoup d'hommes, estimables par leurs intentions, avaient pourtant erré dans leurs actes, n'était-il pas beau d'entendre la voix patriarcale d'un vieillard, qui n'avait jamais failli ni varié, s'élever en faveur des absents pour invoquer tantôt l'équité, tantôt l'indulgence?

En s'abstenant de toute intervention dans la politique, M. Hyde de Neuville n'avait pas renoncé à discuter les questions de bienfaisance et d'humanité. On se rappelle avec quelle supériorité il traita celle de l'admission des malades dans les hôpitaux. Il était aussi le promoteur zélé des travaux d'utilité publique dans son voisinage. Inébranlable dans ses convictions, il n'en dirigeait pas moins ses efforts et ses vœux vers le bonheur de sa patrie. Son mot habituel était: «< Avant tout, le bien de la France! »

Hélas! il n'est plus; mais son âme est toujours unie aux nôtres par le lien mystérieux que Dieu a établi entre ce monde et l'autre. Lorsque la mort frappait un grand citoyen, le paganisme ne trouvait d'autre mot de consolation que celui-ci : La renommée de ses actions subsiste... manet fama rerum... C'est là ce que Tacite dit d'Agricola... Le christianisme, au lieu de nous réduire à cette vaine idée, nous donne la ferme espérance que notre cher et respectable ami est en possession de la récompense éternelle, méritée par sa foi sincère, par l'accomplissement magnanime de ses devoirs publics, par ses vertus privées et par son immense charité envers toutes les souffrances.

H. DE VATIMESNIL.

DE

L'AGRICULTURE EN FRANCE

SECONDE PARTIE 1.

I

A l'insuffisance des progrès de l'agriculture française qui compromet la puissance, la grandeur, l'avenir tout entier de la France, quels remèdes apporter ?

On en a tenté plusieurs. Celui qui fait le plus de bruit, c'est ce qu'on appelle l'instruction agricole, les fermes-modèles, les fermes-écoles ; mais il ne faut pas s'exagérer l'importance des résultats.

Les cultivateurs ne sont pas émerveillés et entraînés par les belles récoltes que ces fermes peuvent produire; ils se disent toujours qu'il n'est pas difficile de bien cultiver en puisant dans la bourse du public; si l'on ne fait pas connaître ce que ces fermes coûtent et ce qu'elles rapportent, c'est que les résultats sont loins d'être brillants. L'agriculture officielle qui ruinerait des particuliers ne peut faire des prosélytes. Quant à ces jeunes gens, bacheliers ou licenciés en agriculture, que feront-ils en sortant des écoles? Le très-petit nombre pourra cultiver ses propres domaines; les autres, seront-ils fermiers? Mais, pour louer un domaine et le cultiver dans la voie du progrès, il faut de l'argent, et beaucoup ; la plupart, et notamment les boursiers, n'en ont point. Seront-ils régisseurs? Mais le propriétaire qui fait valoir aime assez à tout diriger par lui-même; s'il n'avait pas ce goût, il louerait son domaine. Si ce propriétaire ne dirige pas, ira-t-il prendre pour son alter ego un jeune homme qui n'a pas encore fait ses preuves et peut compromettre sa fortune? Savoir l'agriculture progressive théoriquement, l'avoir étudiée et même pratiquée dans un pays, ce n'est nul

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Voir le Correspondant du 25 mai 1857. A la page 5 de la première partie, on a mis que les sommes sorties de France par l'effet des importations du blé s'élevaient à deux cent seize millions de francs, lisez un milliard deux cent seize millions.

lement une garantie de succès dans un autre pays. L'agriculture n'est pas, comme la mécanique, une science mathématique; l'application de la théorie doit varier suivant le climat et le sol, qui changent à chaque pas pour ainsi dire, suivant l'état du commerce local, les habitudes, les mœurs des habitants; faire valoir, c'est gouverner en petit; depuis déjà bien des siècles on fait de belles théories, des livres admirables sur l'art de gouverner, et cependant ceux qui gouvernent bien sont fort rares. La plupart de tous ces diplomés de l'agriculture officielle ne trouvent pas même l'occasion d'appliquer leur science, et j'ai connu des savants en agriculture qui se sont ruinés on ne peut mieux en faisant valoir; ils feraient cependant, je n'en doute pas, des professeurs distingués dans les écoles de l'État.

Certaines personnes espèrent beaucoup des leçons d'agriculture données par les instituteurs aux bambins des campagnes. N'est-ce pas une chimère? Que peuvent savoir en agriculture ces instituteurs, même après avoir reçu quelques leçons théoriques à l'École normale et bêché quelques planches dans le jardin de l'Ecole ? Si par miracle chacun d'eux devenait un Mathieu de Dombasle en théorie, à quoi serviraient leurs leçons agricoles à des enfants? Vains mots qui entreront par une oreille et sortiront par l'autre. Si par hasard un de ces enfants retenait quelque précepte agricole et voulait le mettre en pratique en disant à son père que, d'après les leçons de l'instituteur, il est un ignorant en agriculture, je vous demande comme ce bambin serait bien reçu du vieux laboureur et de quel œil tous les cultivateurs du pays verraient l'insti

tuteur?

L'instruction agricole, dont on parle comme d'un remède souverain, ne fait pas défaut autant qu'on le dit. Que de livres, que de journaux excellents d'agriculture mis à la portée de toutes les bourses et de toutes les intelligences! Il est tel journal admirablement redigé qui répand partout l'instruction agricole et fait plus de bien que les leçons orales de mille professeurs nouveaux.

II

Pour faire progresser l'agriculture, on a eu l'intention de dégrever, autant que possible, le sol des dettes qui l'accablent, et on a imaginé le crédit foncier. Je suis loin de dire que des établissements de crédit, prêtant de l'argent à un taux modéré et se faisant rembourser par annuités, ne soient pas utiles; mais on a compromis le succès par la manie de la centralisation, en ne faisant qu'un seul établissement pour la France entière; l'expérience a justifié le proverbe : Qui trop embrasse

mal étreint.

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