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sister. J'ay un grand royaume; et, comme les grands peuvent faire de grands maulx ou de grands biens. pource qu'ils sont grands et puissants, aussy vous aultres vous estes grands en doctrine et piété entre les serviteurs de Dieu. Vous pouvés faire de grands biens par vos predications, confessions, escrits, leçons, disputes, bons advis et instructions. Que si vous veniés à manquer et vous detraquer de vostre devoir, vous pourriés faire beaucoup de mal pour la creance qu'on a en vous.

J'ay esté bien aise d'entendre que vous advisiés à donner ordre qu'aucun livre ne s'imprime par personne de vous autres qui puisse offencer. Vous faictes bien. Ce qui seroit bon en Italie n'est pas bon ailleurs, et ce qui seroit bon en France seroit trouvé mauvais en Italie. Il faut vivre avec les vivants, et vous devés plus fuir toutes occasions, et les plus petites, pour ce qu'on veille plus sur vous et sur vos actions. Mais il vault mieulx qu'on vous porte envie que pitié; et si, pour les calomnies on couppoit toutes les langues mesdisantes, il y auroit bien des muets, et on seroit en peine de se faire servir. J'ay esté de deux religions, et tout ce que je faisois estant huguenot, on disoit que c'estoit pour eux; et maintenant que je suis catholique, ce que je faict pour la religion, on dit que c'est que je suis jesuite. Je passe pardessus tout cela et m'arreste au bien pour ce qu'il est bien. Faictes ainsi, vous aultres. Ceux qui disent que vous laissés, par esprit de vengeance, de remettre vostre college de Paris', il ne laisroient pas d'ailleurs de parler mal de vous sur autre subject qu'ils prendroient. Ne vous souciés de ce que l'on peut dire. Au demeurant, si quelque particulier fault, je seray celuy qui luy courray le premier dessus, et ne m'en prendray pas au corps. - Voilà celuy que vous aviés choisi qui dira et tesmoignera, à Rome, à vostre P. général mon affection. Si de trente mille, quelques uns venoient à faillir, ce ne seroit pas merveille. C'est un miracle qu'il ne s'en trouve davantage, veu qu'il s'est trouvé un Judas parmy les douze apostres. Pour moy, je vous cheriray toujours comme la prunelle de mes yeux. Priez pour moy! »

C'est ainsi qu'il relevait sa protection par ses conseils, exerçant sur cette compagnie une influence dont l'effet dépassa les frontières et s'étendit, nous le verrons, sur l'ordre tout entier. Il n'est pas besoin de dire les services que les Jésuites rendirent en France à la discipline ecclésiastique, comme à l'éducation. Henri IV les proclamait, lorsque, sollicitant du Souverain Pontife la canonisation d'Ignace de Loyola et de François Xavier, il alléguait « l'utilité qu'ont apportée et apportent journellement à la chrétienté ceux qui font profession de l'ordre dont ils ont esté les fondateurs. » Si tant de témoignages pouvaient laisser

En disant que Henri IV « défendait aux Jésuites de s'établir dans aucune autre ville, sans une expresse permission du roi, d'où il résultait qu'à Paris et dans plus des trois quarts du royaume l'enseignement restait confié aux universités » (t. I, p 415), M. Poirson n'ajoute pas que des édits successifs accordèrent ces permissions, et que l'édit du 27 juillet 1606 les établissait à Paris.

Archives du Gesu, à Rome. Cité par M. Crétineau-Joly, t. III, p. 59.
Cret. Joly. III, p. 119.

quelque doute sur les sentiments que les jésuites lui inspiraient, nous citerions encore cette lettre au cardinal de Givry : « Mon cousin, je vous escris cette lettre en faveur des pères Jésuites assemblés en corps de congrégation générale, affin qu'advenant qu'ils ayent besoin de ma faveur envers nostre sainct père le Pape, ou de mon auctorité en ce qui regarde le bien de leur compagnie, vous leur prestiés toute l'assistance qui vous sera possible1. »

Cette protection, plus marquée pour les Jésuites, Henri IV l'étendait à toutes les congrégations religieuses. Il ne lui suffisait pas de les laisser se répandre en paix il les encourageait, il entrait dans leurs affaires pour les concilier, il était à la fois leur appui et leur arbitre2. A sa voix ou sous ses auspices, des réformes s'opèrent, des ordres nouveaux s'élèvent les Feuillants, les Capucins, les Récollets, les frères de Saint-Jean-de-Dieu, les Carmélites, s'établissent en France; l'abbé de Bérulle se prépare à fonder l'Oratoire, et Saint-Vincent de Paul, déjà distingué par le roi, va paraître. C'est dans ces circonstances, c'est en présence de cette œuvre de restauration encore à son début et pourtant si grande, que Henri IV, fixant par un acte solennel la gloire de son royaume et de sa maison dans la foi catholique, écrivait au Souverain Pontife (1607) :

« Tres sainct Pere, comme nous nous remettons en memoire les graces et benedictions singulieres qu'il a pleu à Dieu nous despartir et lesquelles sa divine bonté estend encore journellement sur nous pour le bien de nostre royaulme, nous ne pouvons que nous n'en attribuions les effects aux merites et intercession des saincts, mais encore pareillement a celle du bienheureux sainet Louis, de la race duquel nous avons pris nostre royale extraction, ce qui nous avait meu à désirer que nostre tres cher fils le Daulphin fust heritier de son nom, avec espérance qu'il le pourra aussy estre quelque jour de ses vertus et de son sceptre. Et comme nous recognoissons la devotion de nostre peuple estre merveilleusement grande envers le dict sainet Louis, pour luy conforter dorenavant davantage, nous avons estimé faire chose agréable à Dieu et à Vostre Saincteté de la prier et requerir, comme nous faisons tres affectueusement, d'ordonner par bulle expresse que la feste du dict Sainct Louis soit à l'advenir de commandement en nostre royaulme et aultres seigneuries de notre obeissance, et que pour toute la chrétienté l'office dudit jour soit double; assurant à Vostre Saincteté que nos sujets, portez d'une singuliere dévotion envers le Sainct Siège et trés affectionnez à Votre Saincteté, lui en rendront toute recognoissance par les prières qu'ils espandront pour la conservation d'icelle; oultre le ressentiment que nous aurons de ce bon œuvre, ainsi que vous le dira plus amplement le s d'Allincourt

28 nov. 1607. M. Berger de Xivrey a bien voulu nous communiquer cette lettre, qui sera publiée dans le t. VII des Lettres missives.

Le t. VII des Lettres missives donnera à ce sujet les plus précieux docu

ments.

nostre ambassadeur, sur lequel nous remettans, nous prions Dieu, très sainct Père, qu'icelle Vostre dicte Saincteté, il veuille maintenir et préserver longuement et heureusement au bon régime et gouvernement de nostre mère saincte Eglise. Vostre dévoué fils: HENRI 1.

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XIII

Telle est, imparfaitement exposée, la politique religieuse de Henri IV à l'intérieur du royaume. Lorsqu'on se reporte à quelques années en arrière, lorsqu'on se rappelle tant de déchirements, tant de guerres, tant de désordres, et que l'on envisage cette paix rétablie, cette ardeur de réformes, tout ce travail d'une terre qui prépare un grand siècle, on est saisi d'une vive admiration. En quel pays les haines religieuses s'étaient-elles montrées plus terribles? En quel pays la tolérance était-elle mieux respectée, l'Église plus florissante? Quel prince avait rencontré plus de difficultés? quel prince eut sur ses sujets plus d'empire? Contre lui s'étaient levées les préventions des catholiques et des huguenots. Il avait vu, parmi les puissances étrangères, les unes se défier de son abjuration, les autres la lui reprocher; il voyait les États protestants compromettre de leurs rigueurs ses efforts pour la tolérance, les exagérations de l'Espagne compromettre son zèle pour la religion catholique. Et cependant, ferme au sein de ces contraditions, gardant cette intrépidité calme qui avait paru à Ivry et devant Amiens, il ne se décourageait pas, et trouvait son triomphe dans son œuvre même.

Heureux furent les catholiques qui, dans les pays où ils étaient en minorité, purent invoquer l'édit de Nantes! Un de ceux qui parmi les contemporains condamnèrent le plus vivement cette mesure en écrit ces mots : « Peu à peu l'authorité du roy l'a (l'édit de Nantes) fait recevoir partout, à la honte et confusion de cet Estat; et tout ce qui en est provenu de bon fut que par ce même edict la liberté fut rendue à une infinité de catholiques, qui estoient opprimez par la violence de cette religion aux lieux où ils estoient demeurés les maistres, comme en Béarn, Guienne, Dauphiné, Languedoc et autres lieux 2. » En vérité, serions-nous tenté de dire au candide narrateur, vous reconnaissez de tels résultats, et vous vous élevez contre la loi qui les a produits! Voilà un édit qui rend à des catholiques leur liberté, qui fait rouvrir plus de trois cents églises, qui permet d'envoyer en Béarn des mis

1 C'est encore à l'extrême complaisance de M. B. de Xivrey que nous devons communication de cette lettre qui sera publiée dans le t. VII des Lettres.

Mém. de Cheverny, p. 521.

N. SÉRIE. T. V. 25 JUIN 1857. 2* LIV.

9

sionnaires et d'y établir un collége de jésuites, et vous le déplorez! Mais regardez donc autour de vous voyez les catholiques persécutés comme des rebelles dans les pays qu'ont formés leurs croyances, et demandez-leur ce qu'ils penseraient d'un édit qui serait pour eux de cette conséquence! Et, lorsque Henri IV intercédera pour les catholiques d'Angleterre, lorsqu'il enverra Jeannin rappeler les ProvincesUnies à la modération envers ces catholiques qui les ont aidées à conquérir leur indépendance, n'est-ce pas l'édit de Nantes qu'il invoquera? N'est-ce pas au nom de son propre exemple qu'il leur demandera la tolérance? Et, à l'autre extrémité de la France, dans ces autres Provinces-Unies qui ont eu aussi, à la lumière de la foi catholique, leur jour d'affranchissement, dans ces cantons de l'Helvétie qui oppriment la religion de Guillaume-Tell, entendez saint François de Sales s'écrier: « Plùt à Dieu que nous pussions obtenir que la religion fût aussi libre dans Genève qu'elle l'est à la Rochelle'!»

Quand les traités passés avec la Savoie eurent soumis à Henri IV le pays de Gex, l'évêque de Genève s'efforça d'appeler l'attention du roi sur les catholiques de ces contrées, et il lui demanda pour eux les bienfaits de l'édit de Nantes. Ayant obtenu tout ce que les difficultés des temps permettaient d'accorder, et mêlant aux accents de sa reconnaissance personnelle le souvenir de ce qu'il avait vu lors de son séjour en France, il adressait à Henri IV ces paroles, la meil leure conclusion que nous puissions donner à cette étude : « Je remercie la providence royale de Votre Majesté de la piété de laquelle ces pauvres peuples ont reçu ce bien infini... Quant à moi, sire, je contemple en ces réparations de la sainte Église les rares qualités qui font reconnaître en vous le sang et le cœur de saint Louis et de Charlemagne, l'un et l'autre les plus grands restaurateurs du service de Dieu qu'on ait jamais vus. »

Vie de saint François de Sales, t. I, p. 435. 2 Id., t. I, p. 419.

Ch. MERCIER DE LACOMBE.

M. HYDE DE NEUVILLE

La tombe vient de se fermer sur un illustre vétéran de la fidélité. Aux émotions douloureuses causées par cette perte doit succéder l'étude attentive d'un des caractères les plus nobles de notre époque.

Les hommes ordinaires ont, comme on l'a dit souvent, les défauts de leurs qualités. Ainsi presque toujours la bonté descend jusqu'à la faiblesse, et l'énergie est hérissée d'âpreté. Mais on n'est un personnage complet qu'à condition d'échapper, par un heureux privilége, à l'affinité qui semble, à ce point de vue, exister entre le mal et le bien. Qu'on se représente un homme qui, dans le cours d'une longue vie, n'aura pas dévié un seul instant de ses convictions religieuses et politiques, les aura prises pour règles invariables de ses actions et de ses paroles, les aura soutenues, à travers mille dangers, par des faits multipliés de dévouement et de courage, et qui, pourtant, malgré cette inflexibilité de principes et cette fermeté d'âme, se sera montré constamment bienveillant jusqu'à l'effusion, et obligeant jusqu'à l'abnégation de lui-même, non-seulement envers ses amis et envers les pauvres, mais même envers ses adversaires politiques; chacun dira, en considérant cet ensemble: Voilà une belle et touchante figure; mais est-ce une figure réelle?

Eh bien, oui, elle est réelle; ce n'est pas là de l'idéal; c'est l'ami que nous pleurons, c'est le vénérable M. Hyde de Neuville; il réunissait ces vertus qui, en général, semblent s'exclure. Il marchait, en ligne droite, dans la voie que sa conscience avait choisie; mais il ne cessa jamais de tendre une main affectueuse à ceux qui suivaient une direction différente, pourvu que leur honneur fût resté intact.

Notre vie tout entière dépend souvent de nos traditions de famille et de nos premières impressions. M. Hyde de Neuville en est un remarquable exemple.

Sa famille, d'origine anglaise, avait tout sacrifié pour la cause des Stuarts. Après la bataille de Culloden, son grand-père et son père vin

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