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La première, notre savante et laborieuse École des chartes protesta, au nom de l'érudition et de la science positive, contre les erreurs et les fantaisies historiques que le jugement de l'Académie semblait, au moins implicitement, consacrer. Nous regrettons de n'avoir pu jusqu'ici faire connaître les solides travaux qu'ont publiés à ce sujet quelques-uns de ses membres, et notamment ceux qu'a insérés M. Vallet de Viriville dans le journal même de l'École. Mais nous reviendrons sur cette polémique. En attendant, nous voulons dire un mot aujourd'hui des deux brochures dont nous avons transcrit le titre plus haut. Nous commençons par la seconde, car elle n'est que le complément et la conclusion d'une autre dont nous avons parlé il y a six mois.

A cette époque, M. Dufresne de Beaucourt avait publié, sur un passage de l'histoire de M. Henri Martin, des remarques critiques où il cherchait à venger la mémoire de Charles VII et à rétablir plusieurs faits dénaturés de la vie de Jeanne d'Arc. (Le règne de Charles VII d'après M. Henri Martin et d'après les sources contemporaines. Paris, Durand.) Après une indifférence feinte durant quelques mois, M. H. Martin répondit, dans la Revue de Paris, à l'attaque de son adversaire, dont la jeunesse avouée était du reste évidente, et avec lequel il le prit, en conséquence, de très-haut. Nous avons lu cette réplique: malgré ses grands airs, elle était faible. Aux textes formels que lui opposait M de Beaucourt, M. H. Martin répondait par une fin de non-recevoir, argument assez étrange en matière d'érudition. « Vous ne comprenez pas, disait il; votre zèle monarchique et religieux vous aveugle. Chevalier de la royauté, vous ne sauriez admettre la sévérité de l'histoire envers les rois. Nous ne pouvons nous entendre sur Charles VII. »

Même réponse au sujet de Jeanne d'Arc : « Vous êtes catholique; votre foi et votre piété vous mettent dans l'impossibilité de comprendre le mystère de la vie de l'héroïne et les faits de subjectivité qui constituent son inspiration. Il faut être plus détaché que vous ne pouvez l'être des entraves d'une religion positive et étroite, pour concevoir « les révélations du ferouer mazdéen, « du bon démon, de l'ange gardien, de cet autre moi, qui n'est que le moi « éternel enveloppé dans les ombres de cette vie. » Et là-dessus, enfourchant son pégase philosophique, M. H. Martin s'élançait dans les nuages du panthéisme pour expliquer, autrement que par la pure intervention divine, une énigme dont le catholicisme peut seul donner le mot.

C'est à montrer l'obscurité, I embarras, la faiblesse, disons mieux, la nullité de la réponse faite à sa première brochure, que M. de Beaucourt consacre aujourd'hui la seconde. Elle est comme la précédente polie, grave, et témoigne d'une sérieuse étude de la question.

M. d'Arbois de Jubainville ne s'est pas attaché, comme M. de Beaucourt, à la réfutation d'un point particulier de l'ouvrage de M. H. Martin; sa brochure est un relevé des erreurs, des contradictions, des oublis, des inadvertances, dont fourmillent les premiers volumes de l'édition qu'en donne en ce moment l'auteur, la plus complète cependant, et celle à laquelle il semble s'arrêter. Bien qu'il professe pour le talent littéraire de M. Henri Martin une admiration complète et que nous déclarons, pour notre compte, ne point partager au même degré, M. d'Arbois de Jubainville ne se dissimule

pas que, même sous le rapport de la composition, son Histoire a de graves défauts. Les parties n'en sont point proportionnées, les faits y sont souvent mal distribués, l'érudition y prend parfois la place du récit et réciproquement; souvent les notes renferment des détails qui devraient être dans le texte, et le texte des pièces dont la place naturelle serait dans les notes Quels autres reproches n'aurait-il pas à lui faire s'il l'examinait au point de vue sévère du genre; s'il y cherchait la science, l'impartialité, le désintéressement de tout système et de toute idée préconçue! Mais M. d'Arbois de Jubainville a écarté formellement les questions de principe pour s'en tenir à la critique des faits. Encore n'en a-t-il choisi qu'un petit nombre parmi ceux que lui ont offerts les assertions téméraires de M. Henri Martin.

Le premier qu'il relève est le prétendu maintien des institutions celtiques sous la domination romaine et la prétendue renaissance du druidisme au douzième siècle. Cette influence persévérante de l'élément gaulois à travers les deux conquêtes romaine et germanique, que l'auteur de l'Histoire de France donne comme un fait positif, dont il s'attribuerait volontiers la découverte, n'est au fond qu'une vieillerie depuis longtemps repoussée par les savants et destinée à tomber encore une fois sous le ridicule. Elle ne repose en effet sur rien de solide. Nous ne connaissons la civilisation gauloise que par les rares et incomplètes notions que nous en donnent les Romains et les Grecs, mais certes ce qu'ils nous apprennent de la religion, des lois et des mœurs des Gaulois n'est pas de nature à faire supposer que nos mœurs et notre civilisation actuelles y aient rien puisé. Le tort de M. Henri Martin, sur ce point comme sur plusieurs autres, n'est pas d'avoir embrassé l'opinion qu'il professe, mais de l'avoir donnée comme certaine à un public hors d'état de la contrôler et naturellement disposé à le croire sur parole.

Après avoir traité comme il convient cette insoutenable prétention de faire tout sortir chez nous, philosophie, législation, art et poésie, de notre vieux fonds gaulois (comme si Rome et le christianisme n'avaient pas transformé de bonne heure la plus impressionable des races!) et ridiculisé cette grotesque idée de nous faire prendre Abailard pour un Druide et Jeanne d'Arc pour une Velléda, M. d'Arbois de Jubainville attaque M. Henri Martin sur le terrain de l'orthographe et de la géographie historiques et sur celui de l'érudition.

M. Martin a suivi M. Augustin Thierry dans sa puérile tentative de rendre aux noms des rois de la première et de la seconde race leur orthographe et leur prononciation originelles; mais, dans cette restauration, devenue impossible par l'absence à peu près complète des documents qui pourraient nous guider, il ne suit aucun système, et c'est bien des noms fabriqués par lui qu'on peut affirmer, avec Charles Nodier, qu'ils ne s'écrivaient pas ainsi et se prononçaient autrement. D'ailleurs, le reproche qu'il fait aux annalistes latins d'avoir altéré l'orthographe et la prononciation dans les noms de leurs contemporains, il l'encourt lui-même en écrivant les noms des rois de la troisième race à la façon du dix-neuvième siècle qui n'est pas, on le voit par les monuments, celle du douzième ou du treizième. Quand on fait de la couleur locale, il faudrait être assez conséquent pour en faire jusqu'au bout, et écrire Lois ou Loeys pour Louis, comme on écrit Chlodovig pour Clovis.

Mais ces caprices romantiques et quelque peu surannés ont une médiocre importance. Ce qui en a davantage, ce sont les distractions géographiques du nouvel historien qui prend, par exemple, Yèvre (Loiret) pour Ivri (Eure), le château de Gaillon pour le château du Goulet et le pays de Caux pour la ville de Calais. Une méprise un peu moins explicable (caletum pour calesium peut se comprendre après tout), c'est celle qui lui fait confondre saint Bernard, abbé de Clairvaux, mort en 1153. avec saint Bernard de Menthon, mort en 1008. Après cela, il ne faut plus s'étonner s'il fait d'Albéric de Troifontaines, qui écrivait encore en 1241, le contemporain du roi de France Henri I". mort en 1060; s'il supprime des comtes de Champagne et intervertit leur ordre de succession, bien qu'il eût pour se guider sur ce point le manuel de tout le monde, l'Art de vérifier les dates. Mais est-ce aussi par inadvertance que M. Henri Martin met des sous d'or en circulation comme monnaie courante au temps de la première croisade, quand depuis quatre cents ans on ne frappait plus que de la monnaie d'argent, et que, en revanche, il place an quatorzième siècle les francs d'argent qui ne datent que de la seconde moitié du seizième? Alors c'est par inadvertance également qu'il interprète plusieurs fois le titre de chambellan par celui de chambrier, qui sont loin, comme l'explique Ducange, de désigner des fonctions identiques, et qu'il append des sceaux (sigilla) à des pièces où il n'y avait que des signatures (signa).

Voilà bien des étourderies dans un sujet qui n'en comporte point. Puisqu'on l'avait traité en grand historien, c'était, ce semble, un devoir à M. Henri Martin de se montrer digne de l'honneur qui lui était fait, en corrigeant dans son ouvrage ces négligences inouïes qu'on aurait tout droit d'appeler d'un autre nom. Au lieu de se fatiguer à ressusciter le druidisme et à faire croire à sa lutte incessante contre le christianisme, il eût mieux valu étudier de près l'action de celui-ci, chercher à comprendre l'esprit de ses doctrines sévères à l'endroit du mariage, étudier l'influence civilisatrice de ses moines, dont il n'est fait qu'une mention dédaigneuse dans la nouvelle Histoire de France, moins déclamer contre le célibat, l'Inquisition et autres lieux communs philosophiques et s'occuper un peu de diplomatique, d'art héraldique et d'archéologie, sinon pour parler avec équité du moyen âge, au moins pour ne pas prêter à rire aux hommes spéciaux en se trompant aussi gravement et tant de fois. Nous ignorons si, dans les volumes qui lui restent à donner au public, le lauréat de l'Académie mettra à profit les critiques dont son livre a été l'objet. Du moins ne pourra-t-il pas objecter qu'on l'a laissé s'endormir dans son triomphe et qu'on s'y est mal pris pour le conseiller. Il y a, dans la brochure de M. d'Arbois de Jubainville, une urbanité dont l'érudition n'est pas coutumière et dont la grande histoire elle-même n'a pas toujours donné l'exemple.

P. DOUHAIRE.

L'un des gérants, CHARLES DOUNIOL.

LA LOI DE LA CHARITE EN BELGIQUE

Il y a peu de semaines encore, la Belgique présentait un beau spectacle. Détournant son attention de ces intérêts matériels qui sont aujourd'hui la principale et trop souvent l'unique affaire des nations comme des individus et qui contribuent plus à leur fortune qu'à leur grandeur, elle était tout entière à la discussion d'une question à la fois morale et religieuse. Une loi sur la liberté de la charité occupait la tribune, la presse, l'opinion publique: les droits de l'Etat et de l'E-. glise, les intérêts de la société, de la liberté, les intérêts si touchants des pauvres étaient en présence; les grands principes qui gouvernent et se disputent le monde trouvaient tour à tour pour les invoquer et les défendre des voix éloquentes, convaincues, passionnées : c'était une grande joie et un immense intérêt pour ceux qui croient que les peuples valent plus encore par ce qu'ils pensent que par ce qu'ils font, et que les grandes idées conduisent aux grandes choses, de voir un noble pays, fidèle à ses habitudes et à ses traditions, faire de la liberté de la discussion un si bel et si généreux usage, et, au lieu de s'agiter à la poursuite du gain ou de s'endormir dans la jouissance du bien-être, se passionner pour des droits et pour des devoirs.

Après une lutte de plus d'un mois, où la lumière s'était faite sur tous les replis de la question, où chacun avait eu le loisir de dire sa pensée, l'opposition ses griefs et ses craintes, le gouvernement ses arguments et ses espérances, où chaque article de la loi avait rencontré son objection, chaque objection sa réponse, un premier vote à la majorité de 60 voix contre 41 avait donné gain de cause à la loi et au ministère qui l'avait présentée; les deux articles qui en contenaient le principe avaient été adoptés, le reste n'en était plus que l'application et la conséquence, lorsqu'un incident est venu interrompre le mouvement régulier et pacifique des institutions constitutionnelles. L'émeute, cette ressource désespérée et maudite des causes légalement vaincues, a entrepris d'arrêter une discussion, qui n'allait pas au gré de ses désirs; le blasphème à la bouche, la violence à la main, s'attaquant à ce qu'il y a de plus respectable et de plus sacré, elle est venue sub

x. SÉR. T. v. 25 juin 1857. 2° Liv.

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stituer aux séances de l'assemblée les désordres de la rue, injurier au lieu de répondre, frapper au lieu de convaincre, et souiller de sa bave impure et sanglante la cause qu'elle prétendait faire triompher; en présence des excès du dehors, et pour qu'on ne délibérât pas sous le coup de l'émeute, le vote a été suspendu, les chambres ajournées; l'émeute satisfaite est rentrée dans son repos avec la prétention d'avoir tué la loi; l'opposition s'en est adjugé le bénéfice, et, par une tactique trop habituelle aux partis, elle accuse du désordre ceux contre lesquels ont été dirigées les menaces et les insultes. En France même. plus loin des excitations et des passions de la bataille, un journal, qui n'aime pas les mouvements populaires, qui n'a aucun goût pour l'anarchie et a plus d'une fois reproché aux auteurs des révolutions d'accuser de leurs révoltes ceux que les révolutions ont renversés, n'a pas craint d'adopter la même thèse; à son avis, la majorité de la chambre, le ministère qui en était l'organe, sont les vrais auteurs du mal; et c'est sur la loi qu'elle était destinée à tuer qu'il faut faire retomber la responsabilité de l'émeute.

Quelle était donc cette loi dont la présentation, aux yeux du Journal des Débats et de tant d'autres ennemis des révolutions, explique, si elle ne justifie pas, une des plus graves atteintes à la constitution belge, une des plus profondes blessures faites à la considération morale et politique d'un pays? quel dangereux principe avait-elle pour but d'inaugurer? Voilà la question loyale que M. le comte de Mérode, fidèle aux glorieuses traditions paternelles, adressait, le 10 juin, au Journal des Débats; voilà ce qu'il importe d'examiner, sans parti pris, sans colère, le texte à la main, la discussion sous les yeux, afin que ceux qui jugent les affaires de ce monde, non avec leurs préjugés de secte ou leurs passions de parti, mais avec leur bon sens et leur impartialité, et dont le plus grand nombre n'ont pas lu un seul article de cette terrible loi et ne la connaissent que par le bruit qu'on a fait autour d'elle, puissent apprécier ce qu'elle valait en elle-même indépendamment de sa destinée. Dans ces derniers temps, les écrivains les plus favorables à sa cause se sont peu inquiétés de ses mérites ou de ses torts, elle a disparu devant la question constitutionnelle dont elle est devenue l'occasion; pendant que d'un côté on incriminait son origine, son principe, ses résultats, de l'autre la politique avait pris le pas sur la charité, et on insistait davantage sur l'illégalité que sur l'injustice des attaques; le courageux ministre, M. Nothomb, qui a présenté la loi, les catholiques qui l'ont soutenue de leurs paroles et de leurs votes, ont droit à une étude plus approfondie de sa portée et de son but. En dépit des outrages qui l'ont poursuivie et des reproches qu'elle leur attire, ils la revendiquent comme l'honneur de leur vie politique et un titre à l'estime des gens de bien; ils affirment qu'en cette circonstance leur

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