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La Fontaine, nourri de la lecture de Marot, de Rabelais et de nos autres anciens écrivains, a conservé nécessairement un grand nombre de leurs expressions, de leurs locutions, de leurs tournures de phrases, auxquelles il a su donner un nouveau charme par cette grâce naïve dont l'avait doué la nature. Je ne craindrai même pas de l'avancer, c'est peut-être à ce langage, en apparence peu châtié, qu'il doit en grande partie le charme de son inimitable style. Le langage pur, exact, compassé de Pascal, de Boileau, de Racine, parfaitement convenable pour les ouvrages de ces immortels écrivains, ne lui aurait-il pas ôté quelque chose de ces grâces naïves, de cette désinvolture qui nous enchantent dans ses ouvrages? J'irai même plus loin cette contrainte n'eût-elle pas exercé quelque influence sur son génie et sur le fond même de ses pensées? Car on ne peut se le dissimuler, le langage dans lequel un auteur écrit influe, plus qu'on ne le pense peut-être généralement, sur les idées qu'il veut exprimer. Supposons, par exemple, que Clément Marot eût écrit à la fin du XVIIe siècle. Au lieu de ce doux nennil qu'il veut faire apprendre à sa maîtresse, il

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aurait parlé des combats de la pudeur qui refuse ce que souvent elle désire secrètement d'accorder, et du charme que ce refus ajoute aux faveurs de la beauté. La pensée n'eût pas été moins vraie, moins fine; mais n'aurait-elle pas perdu toute sa naïveté, toute sa grâce? Ce n'est pas un langage, un style positifs et artistement mesurés qu'il faut employer lorsqu'on veut écrire des fables, des contes, des épigrammes, des poésies fugitives. Aussi, je le répète, le style, le langage de La Fontaine sont-ils, en grande partie, du moins je le pense, ce qui le rend inimitable.

Mais laissons ce raisonnement, ou, si vous voulez, ce paradoxe qui demanderait de trop longs dévelop– pements, et venons au but que je me suis proposé en composant ce vocabulaire.

Expliquer celle de ces expressions qui pourraient être devenues obscures; examiner sous le rapport grammatical celles qui s'écartent des règles et de l'usage actuel; rechercher à quelle époque elles ont été bannies de la langue; en signaler quelques-unes que nous avons rejetées par une délicatesse excessive et que l'on pourrait espérer de rajeunir avec succès; tel est le plan que je me suis proposé.

Ces recherches ne seront peut-être pas sans quelque utilité pour l'histoire de la langue française: car à l'époque où écrivait notre inimitable fabuliste, la langue n'était pas encore entièrement fixée. Ce sont les ou

vrages de La Fontaine et des autres immortels écrivains du siècle de Louis XIV qui l'ont successivement élevée à cette perfection à laquelle elle doit l'honneur d'être devenue, en quelque sorte, la langue universelle de la haute société.

Les fables et les contes de La Fontaine sont à peu près les seuls de ses ouvrages qui lui ont assuré l'immortalité. Toutefois dans ses autres productions, quoique bien inférieures, il laisse de temps en temps échapper des éclairs de génie. D'ailleurs, je ne devais pas les négliger, car on y rencontre souvent de ces locutions peu usitées, dont l'examen entrait dans mon plan grammatical.

Pour les poésies détachées, les lettres familières, etc., j'ai compulsé et cité le recueil intitulé: OEuvres diverses de M. de La Fontaine. Paris, 1758, 4 vol. pet. in-12. Je n'ai pas cru devoir exclure plusieurs ouvrages attribués à La Fontaine et insérés dans les recueils de ses œuvres, quoique l'on ait quelques doutes sur leur authenticité, par exemple, la comédie intitulée : Je vous prends sans vert, attribuée par quelques critiques à l'acteur Champmeslé. J'ai pensé, peut-être à tort, qu'il valait mieux pécher par excès que par défaut.

C'est cette raison qui m'a déterminé aussi à comprendre dans mon vocabulaire quelques noms propres, quand il m'a paru que mes recherches à cet égard pourraient donner lieu à des observations curieuses,

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