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Paris eft pour un Riche un pays de Cocagne: 120 Sans fortir de la ville, il trouve la campagne :

Il peut dans fon jardin, tout peuplé d'arbres verds, Receler le printemps au milieu des hivers,

VERS 119. ---- Un Pays de Cocagne.] Pays imaginaire, où les habitans vivent dans une heureufe abondance, fans rien faire. On eft incertain fur l'origine de ce nom. Furetiere dit que dans le Haut - Languedoc on appelle Cocagne un petit pain de Paftel: & que comme le Pastel eft une herbe qui ne croit que dans des terres extrêmement fertiles, on a nommé ce pays-là, un Pays de Cocagne.

En Italie, fur la route de Rome à Lorette, il y a, dit-on, une petite contrée, qu'on nomme Cucagna, dont la fituation eft trèsagréable, & le terroir très - fertile; mais fur tout les denrées y font excellentes & à bon marché. Ne feroit ce point le Pays de Cocagne ?

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Mr. DE LA MONNOYE, de l'Académie Françoife, qui a pris la peine de revoir ces Remarques, eft perfuadé que cette façon de parler vient du fameux MERLIN CoCAIE, qui tout au commence. ment de fa premiere Macaronée, après avoir invoqué Togna, Pedrala, Mafelina, & autres Mufes Burlesques, décrit les Montagnes où elles habitent, comme un féjour de fauffes, de potages, de brouets, de ragouts, de reftaurans; où l'on voit couler des Fleuves de vin, & des ruiffeaux de lait. Il y a bien de l'apparence, qu'un tel pays a tiré fon nom de celui de fon Inventeur, & que de Cocaïo, on en aura fait Cocagna. Cette façon de parler n'est pas ancienne dans notre Langue on ne la trouve ni dans Rabelais, ni dans Marot, ni

même dans Regnier. Elle s'eft établie un peu tard en France, parce que Merlin Cocaie, dont le Jargon n'eft pas fort aifé à entendre, y a trouvé peu de Lecteurs; & que la traduction qu'on en a faite en profe Françoife, n'a été imprimée qu'en 1606. Enfin, le favant Mr. HUET, ancien Évêque d'Avranches, a bien voulu enrichir cette Remarque de fes conjectures, Il croit que Cocagne vient de Gogaille: Pays de Gogaille, & par corruption Pays de Cocaigne. Selon lui, Gogaille, vient de Gogue, qui eft une efpece de Saupiquet, ou de Farce. Quoi qu'il en foit, cette diverfité d'opinions fur le mot de Cocagne fert du moins à faire voir que l'on n'en fait pas la véritable origine. Menage n'en a rien dit.

VERS 125. Mais moi, qui n'ai ni feu, ni licu.] Quand l'Auteur compofa cette Satire, il étoit logé dans la Cour du Palais, chez fon Frere ainé, Jerôme Boileau. Sa chambre étoit au deffus du grenier, dans une efpece de Guérite, au cinquieme étage. Gilles Boileau, leur frere, logeoit auffi dans la même maifon, & quand il en fortit, on donna fa chambre à notre Auteur. Cette chambre étoit pratiquée à côté d'un grenier au quatrieme étage; & Mr. Despreaux s'applaudiffant de fon logement nouveau, difoit plaifamment: Je fuis defcendu au grenier.

Au refte, l'Auteur vouloit mettre au nombre des incommodités de Paris, la grande affluence de Peuple, qui fait que l'on y eft toûjours extrêmement ferré, & il auroit terminé fa description par ce vers :

125

Et foulant le parfum de fes plantes fleuries,
Aller entretenir fes douces rêveries.

Mais moi, grace au Destin, qui n'ai ni feu, ni lieu, Je me loge où je puis, & comme il plaît à Dieu.

Cherchons une autre Ville où nous
puiffions tenir.

Qu bien :

Mais il ne voulut pas employer ce vers, à caufe de l'équivoque qui s'y rencontre: tenir dans une Ville, fignifiant auffi fe déEt cherchons une Ville où l'on fendre contre les ennemis qui l'affiégent.

puiffe tenir.

SATIRE

MUSE,

VII.

USE, changeons de ftile, & quittons la Satire.

C'est un méchant métier que celui de médire.

A l'Auteur, qui l'embraffe, il eft toûjours fatal.

Le mal, qu'on dit d'autrui, ne produit que du mal.

s Maint Poëte, aveuglé d'une telle manie,

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En courant à l'honneur, trouve l'ignominie,

Et tel mot, pour avoir réjoui le Lecteur, A coûté bien fouvent des larmes à l'Auteur. Un éloge ennuyeux, un froid panégyrique, 10 Peut pourrir à fon aise au fond d'une boutique, Ne craint point du Public les jugemens divers, Et n'a pour ennemis que la poudre & les vers. Mais un Auteur malin, qui rit, & qui fait rire, Qu'on blâme en le lifant, & pourtant qu'on veut lire; 15 Dans fes plaifans accès qui fe croit tout permis, De fes propres Rieurs fe fait des ennemis. Un difcours trop fincere aifément nous outrage; Chacun dans ce miroir penfe voir fon vifage; Et Tel, en vous lifant, admire chaque trait,

Cette Satire a été faite immédia

tement après la Satire premiere & la fixieme, à la fin de l'année 1663. L'Auteur délibère avec fa Mufe, s'il doit continuer à compofer,des Satires. Il envifage d'abord tous les inconvéniens qu'il y a de s'appliquer à ce genre d'écrire; mais

comme fon génie l'entraîne de ce côté-là, il fe détermine enfin à fuivre fon inclination. Horace lui a fourni cette idée, dans la Satire I. du Livre II.

IMIT. Vers 1. Mufe, changeons de file, &c.) Martial, Livre II. Épigr. XXII.

20 Qui dans le fond de l'ame, & vous craint & vous hait. Mufe, c'eft donc en vain que la main vous demange. S'il faut rimer ici, rimons quelque louange,

Et cherchons un Héros, parmi cet Univers,

Digne de notre encens, & digne de nos vers.
25 Mais à ce grand effort en vain je vous anime:
Je ne puis pour louer rencontrer une rime.
Dès que j'y veux rêver, ma veine eft aux abois.
J'ai beau frotter mon front, j'ai beau mordre mes doigts,
Je ne puis arracher du creux de ma cervelle,
30 Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle :
Je pense être à la gêne, & pour un tel deffein,
La plume & le papier réfiftent à ma main.

Mais quand il faut railler, j'ai ce que je fouhaite.
Alors, certes alors je me connois Poëte:

35 Phébus, dès que je parle, eft prêt à m'exaucer:
Mes mots viennent fans peinė, & courent fe placer.
Faut-il peindre un fripon, fameux dans cette Ville?
Ma main, fans que j'y rêve, écrira Raumaville.
Faut-il d'un Sot parfait montrer l'original?

40 Ma plume au bout du vers d'abord trouve Sofal.
Je fens que mon efprit travaille de génie.

Quid mihi vobifcum eft, ô Phabe,

novemque Sorores?

Ecce nocet Vati Mufa jocofa fuo.

VERS 30. Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle.) Poëme héroï que de Chapelain, dont tous les vers femblent faits en dépit de Mi

nerve. Voyez les Remarques fur le vers 173. de la Satire III., & fur le vers 90. de la Satire IV.

VERS 40. D'abord trouve Sofal.] C'eft SAUVAL, Auteur d'une Hiftoire manufcrite des Antiquités de Paris. Il avoit travaillé fur d'affez bons mémoires, mais il

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Faut-il d'un froid Rimeur dépeindre la manie?
Mes vers, comme un torrent, coulent fur le papier;

parler.

gâta tout par fon file, charge d'ex-,,Mr. Colbert ne lui avoit envoyé preffions ampoulées & de figures,,pour un avis de cette importance, extravagantes. Il avoit mis dans ,,que cent Louis, qu'il n'avoit point cette Hiftoire, un Chapitre des ,,voulu recevoir..... Vous voyez lieux de débauche qui étoient au-,,par tout ce que je vous ai rapporté, trefois dans Paris. Mr. Despreaux,,qu'un homme moins chagrin, & fe fouvenoit d'un paffage de ce Cha-,,moins intéreffé que Mr. Sauval, pitre, qui peut fervir a juger du,,auroit donné au Public cet Ouvra tile de Sauval. Ces fales Impudige, qui faifoit honneur à l'Auteur. ques, ces infames Débauchées, alle-,,Il en auroit néanmoins fallu rerent chercher un azile dans la rue Bri-,,trancher le Traité des Bordels, qui fe-miche; & de là elles contemplerent,,méritoit d'être enfoui fous le fable, en fureté les tempêtes & les orages,,afin qu'on n'en entendit jamais qui s'élevoient continuellement dans la rue Chapon. Tout le refte étoit à peu près du même stile. Cepen"dant l'Ouvrage, tel qu'il étoit, »auroit vu le jour, fi Mr. Colbert "avoit voulu faire donner à l'Au»teur une penfion de mille écus, & "je ne fais quelle charge honoraire feulement dans la Maifon de Ville. ". . . . Comme il étoit d'un natu»rel chagrin, il ne put fupporter "ce refus; & ce qui augmentoit fon "chagrin, c'eft qu'il prétendoit avoir "rendu à Mr. Colbert un grand fer,,vice, dont il croyoit n'avoir pas ,,été bien recompenfé. Les Moines ,,de Saint-Germain-des-Prés de,,mandoient au Roi de groffes fom,,mes d'argent pour de certaines ,,places qui avoient été à eux. Mr. ,,Colbert leur avoit fait offrir une ,,fomme confidérable, qu'ils refuse,,rent d'accepter. Sauval, qui avoit ,,vu dans le Trésor des Chartrés une ,,Pièce en tres-bonne forme, qui ,,contenoit le payement qu'on avoit ,,fait pour cela aux Moines, alla ,,lui-même en donner avis à Mr. Colbert... . . Il fe plaignoit que

§. Cet Ouvrage a été imprimé a Paris en 1724. fous ce titre : Hiftoire & Recherches des Antiquités de la Ville de Paris. Par M. Henri Sauval, Avocat au Parlement: 3 vol. in fol. Le Traité dont parle ici Mr. Simon ne s'y trouve point. On en a auffi détaché un Difcours intitulé: Amours des Rois de France fous plu fieurs Races, qui a été imprimé féparément. Du refte, le Stile de Sauval n'eft pas tel que le repréfente ici le Commentateur. Du MoNTEIL.

VERS 44. Je rencontre à la fois Perrin, & Pelletier.) L'Abbé PERRIN avoit été Introducteur des Ambassadeurs de Gafton de France, Duc d'Orléans. Il a traduit en vers François l'Eneide de Virgile, & il a fait plufieurs autres Poëfies qui furent imprimées en 1661. Cet Abbé fut le premier qui obtint en 1669. le privilège d'établir en France des Opéra à l'imitation de Venise ; mais en 1672. il fut obligé de le céder au célébre

*Ce qui fuit eft tiré des Lettres choifies de M. RICHARD SIMON, imprimées à Rotterdam, chez Reinier Leers, Tome III. Lettre derniere de l'année 1698. §* Ces Lettres n'ont jamais été imprimées à Rotterdam quoique le titre le porte. Elles ont été imprimées à Rouen. On vient d'en faire une nouvelle édition à Amsterdam (en 1728) augmentée d'un quatrieme Tome. Du MONTEIL.

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