Page images
PDF
EPUB

M'infpira le deffein d'écrire poliment:

Tous les jours malgré moi, cloué fur un ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,

75 Enfin paffant ma vie en ce trifte métier,
J'envie en écrivant le fort de Pelletier.

Bienheureux Scuderi! dont la fertile plume
Peut tous les mois fans peine enfanter un volume;
Tes Écrits, il eft vrai, fans art & languiffans,

80 Semblent être formés en dépit du bon fens:

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puiffe dire, Un Marchand pour les vendre, & des Sots pour les lire. Et quand la Rime enfin fe trouve au bout des vers, Qu'importe que le refte y foit mis de travers?

C ij

Rien faire devenoit une efpèce d'oc fé plufieurs Romans: l'Illuftre Baffa, cupation. la Traduction du Caloandre fidelle, &c. VERS 76. J'envie en écrivant outre le Poëme d'Alaric, & un grand le fort de Pelletier.) Poëte du dernier nombre de Pièces de théâtre. Quoiordre, qui faifoit tous les jours un que le Roman de Cyrus, & celui de Sonnet. Pelletier prit ce vers pour Clélie, ayent été imprimés fous fon une louange ; & dans cette penfée, nom, ils font néanmoins de l'illuftre il fit imprimer cette Satire dans un MAGDELEINE DE SCUDERecueil de Poëfies, où il y avoit RI, fa Soeur. quelques-uns de fes vers. Mr. Despreaux s'étant plaint au Libraire de ce qu'il avoit imprimé cette Satire fans fon aveu, le Libraire lui répondit, que c'étoit Pelletier qui l'avoit donnée à imprimer, parce qu'elle étoit

à fa louange.

Richelet s'eft trompé, quand il a dit Pelletier mourut en 1660. que Lett. Choifies, Tom. I. On a parlé de ce Poëte, fur le vers 54. du Difcours au Roi, & fur le vers 47. de la Satire I.

VERS 77. Bienheureux Scuderi! &c.] GEORGE DE SCUDERI de l'Académie Françoise, a compo

BALZAC avoit fait le même jugement de la facilité à écrire de cet Auteur. O bienheureux Écrivains, s'écrie-t-il, M. de Saumaife en Latin & Mr. de Scuderi en François! Padmire votre facilité, & j'admire votre abondance. Vous pouvez écrire plus Il dit encore: de Calepins, que moi d'Almanachs. Ecrivains qui fe contentent fi facileBienheureux font ces ment; qui ne travaillent que de la mémoire & des doigts; qui, fans choifir, écrivent tout ce qu'ils favent. Lett. XII. Liv. XXIII.

CHANGEMENT. Vers 79. · Sans art &languiffans :) Dans les

85 Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux regles de l'art affervir fon génie!
Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir:
Il n'a point en fes vers l'embarras de choifir,
Et toûjours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
90 Ravi d'étonnement en foi-même il s'admire.
Mais un Esprit fublime en vain veut s'élever
A ce degré parfait qu'il tâche de trouver:

premieres éditions il y avoit: Sans Force & languiffans.

Ridentur, mala qui componunt Cafe

mina: verum

Gaudent fcribentes, & fe venerantur; & ultro,

Si taceas, laudant; quidquid fcripfere beati, &c.

Pratulerim fcriptor delirus, inersque videri,

Dum mea delectent mala me, vel denique fallant:

Quam fapere, & ringi.

VERS 87. Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir:) Un Théologien François donne une affez plaifante raifon de la fotte complaifance avec laquelle les Auteurs médiocres regardent leurs propres Ouvrages. »Selon la juftice, dit-il, tout tra»vail honnête doit être recompenfé »de louange ou de fatisfaction. "Quand les bons Efprits font un >>Ouvrage excellent, ils font jufte»ment récompenfés par les applau„diffemens du Public; Quand un »pauvre Efprit travaille beaucoup »pour faire un mauvais Ouvrage, il »n'eft pas jufte ni raifonnable qu'il »attende des louanges publiques; VERS 94. Il plaît à tout le mon»car elles ne lui font pas dûes: de, & ne fauroit je plaire.] En cet "Mais afin que fes travaux ne endroit, Moliere dit à notre Au»demeurent pas fans récompenfe, teur, en lui ferrant la main : Voilà »Dieu lui donne une fatisfaction la plus belle vérité que vous ayez »perfonnelle, que perfonne ne lui jamais dite. Je ne fuis pas du nom»peut envier fans une injuftice plus bre de ces Efprits fublimes, dont vous que barbare. Tout ainfi que Dieu, parlez; mais tel que je fuis, je n'ai »qui eft jufte, donne de la fatis- rien fait en ma vie, dont je fois vé ,,faction aux Grenouilles, de leur ritablement content. ,,chant: autrement, le blâme pu,,blic, joint à leur mécontentement, "feroit fuffifant pour les réduire ,,au défefpoir. Le P. FRANCOIS GARASSE, Somme Théolog. L. II. P. 419.

IMITATION. Ibid. Un Sot en écrivant, &c.] Horace, L. II. Ep. II. v. 106. & fqq.

Le célèbre SANTEUL penfoit bien autrement de fes Poefies, il l'avoua même un jour chez Thierri, à Mr. Despreaux, qui lui dit: Vous êtes donc le feul Homme extraordinaire qui ait jamais été parfaitement content de fes Ouvrages. Alors Santeul, flatté par le titre d'Homme ex

Et toûjours mécontent de ce qu'il vient de faire, Il plaît à tout le monde, & ne fauroit fe plaire. 95 Et Tel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit, Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc, qui vois les maux où ma Mufe s'abîme, De grace, enfeigne - moi l'art de trouver la Rime: Ou, puisqu'enfin tes foins y feroient fuperflus, 100 MOLIERE, enfeigne moi l'art de ne rimer plus.

traordinaire, & voulant faire voir qu'il ne fe croyoit pas indigne de cet Éloge, revint au fentiment de Mr. Despreaux, & convint qu'il n'avoit jamais été pleinement fatisfait des Ouvrages qu'il avoit compofés.

Mr. Despreaux citoit un jour à ce propos, ces Réflexions de l'Au

C iij

teur des Caractères: La même juflesfe d'efprit qui nous fait écrire de bonnes chofes, nous fait appréhender qu'elles ne le foient pas affez pour mériter d'être lues. Un Efprit médiocre croit écrire divinement: Un bon Efprit croit écrire raisonnablement. LA BRUYERE, ch. des Ouvrages de l'Esprit.

Q

SATIRE III.

UEL fujet inconnu vous trouble & vous altere? D'où vous vient aujourd'hui cet air fombre & févere, Et ce vifage enfin plus pâle qu'un Rentier,

A l'aspect d'un Arrêt qui retranche un quartier ? 5 Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie Sembloit d'ortolans feuls, & de bifques nourrie, Où la joie en fon luftre attiroit les regards, Et le vin en rubis brilloit de toutes parts? Qui vous a pu plonger dans cette humeur chagrine?

Cette Satire a été faite en l'année

1665. Elle contient le récit d'un Feftin, donné par un Homme d'un goût faux & extravagant, qui fe pique néanmoins de rafiner fur la bonne chère. Ce caractère eft femblable à celui qu'Horace donne à Nafidiénus, dans la Satire VIII. du Livre II. où ce Poëte a fait le récit d'un repas ridicule. Un de nos plus célèbres Écrivains, favant Traducteur & Commentateur d'Horace, ne paroit pas être bien entré dans le fens de fon Auteur, quand il a dit, qu'Horace avoit peint le caractère d'un Homme fort avare, qui fait une fotte oftentation de fes richesses. Il femble au contraire, que c'eft plutôt le caractère d'un Homme qui ne manque pas de générofité, mais qui manque de goût: d'un Sot magnifique. C'étoit la penfée de Mr. Despreaux. Regnier a fait aufli la Defcription d'un Soupé ridicule, auquel il fut retenu malgré lui: Ceft dans la Satire II.

Bien de gens ont cru fauffement, que Mr. Despreaux, dans cette Satire, avoit voulu fe dépeindre fous le personnage de celui qui fait le

[ocr errors]

récit: & fur cela, ils l'ont regardé

comme un Homme d'une délicateffe exceffive en fait de bonne chère. Mais ils n'ont pas pris garde que bien loin de fe repréfenter ici luimême, il fe moque d'un Homme qui ne peut s'accommoder que des repas exquis; & que la raillerie ne tombe pas moins fur la délicateffe outrée de celui qui fait le récit du Feftin, que fur le Feftin même. Il a voulu repréfenter Mr. DU BROUSSIN, qui, felon le langage de notre Auteur, traitoit férieusement les repas. Quand il fut que Mr. Despreaux travailloit fur cette matière, il tâcha de l'en détourner; difant que ce n'étoit pas là un fujet fur lequel il fallut plaifanter; Choififfez plu tôt les Hypocrites, lui difoit-il férieufement, vous aurez pour vous tous les honnêtes gens; mais pour la bonne chère, croyez-moi, ne badinez point làdeffus. Il fe reconnut bien dans cette peinture; mais il n'en fut aucun mauvais gré à l'Auteur.

Au refte, il y a fept Perfonnes que l'on fait parler dans cette Satire: l'Auditeur, ou celui qui interroge au commencement; & fix Con

so A-t-on par quelque Édit réformé la cuifine?
Ou quelque longue pluye, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons?

Répondez donc enfin, ou bien je me retire.

P. Ah! de grace, un moment, fouffrez que je refpire. 15 Je fors de chez un Fat, qui, pour m'empoisonner, Je penfe, exprès chez lui m'a forcé de dîner. Je l'avois bien prévû. Depuis près d'une année, J'éludois tous les jours fa pourfuite obftinée.

Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main: 20 Ah! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain.

vives, qui font: le Perfonnage qui fait le récit du Repas, l'Hôte, deux Nobles Campagnards, celui qui eft défigné par le Hableur, & enfin un Poëte.

VERS 1. A.) Cette lettre, qui eft au commencement du premier vers, fignifie l'Auditeur, ou celui qui interroge; & la lettre P. qui eft devant le quatorzieme vers, dénote le Poëte. L'Auteur avoit deffein d'y mettre un B. pour marquer le Brouffin: mais il craignit que fon intention ne fut trop marquée. IMITATION. Ibid. Quel fujet inconnu &c.) Juvénal commence ainfi fa neuvieme Satire :

Civ

alors cette Épigramme, dont Mr.
Despréaux faifoit cas:

De nos rentes, pour nos péchés,
Si les quartiers font retranchés,
Pourquoi s'en émouvoir la bile?
Nous n'aurons qu'à changer de lieu;
Nous allions à l'Hotel-de-Ville,
Et nous irons à l'Hotel-Dieu.

VERS 6.
Et de bifques
nourrie.] En ce temps-là, les Bifques
étoient un mets fort eftimé.

VERS 10. A-t-on par quelque Edit reformé la cuifine?] On publia

alors divers Edits de réformation.

CHANGEMENT. Vers 12. Vos vins & vos melons.) Dans la preScire velim, quare toties mihi, Na- miere Édition il y avoit : Vos vins

Occurras, fronte obducta?

vole, triftis

[blocks in formation]

ou vos melons.

CHANGEMENT. Vers 13. Répondez donc enfin.] Il y avoit icí: Répondez donc du moins.

VERS 15. Je fors de chez un Fat.] C'eft celui qui avoit donné le diner; mais c'eft un Personnage feint.

CHANGEMENT. Vers 19. Mais hier.) Il y avoit dans les premieres Éditions: Quand hier.

« PreviousContinue »