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75 Il me femble, GRAND ROI, dans mes nouveaux Écrits,

Que mon encens payé n'eft plus du même prix.
J'ai peur que l'Univers, qui fait ma récompenfe,
N'impute mes transports à ma reconnoiffance;
Et que par Tes préfens mon Vers décrédité
80 N'ait moins de poids pour Toi dans la Poftérité.

Toutefois je fais vaincre un remords qui Te bleffe.
Si tout ce qui reçoit des fruits de Ta largeffe,
A peindre Tes exploits ne doit point s'engager,
Qui d'un fi jufte foin fe pourra donc charger?
85 Ah! plutôt de nos fons redoublons l'harmonie.
Le zele à mon Efprit tiendra lieu de génie.
Horace tant de fois dans mes Vers imité,

De vapeurs en fon temps, comme moi, tourmenté, Pour amortir le feu de fa rate indocile, 90 Dans l'encre quelquefois fût égayer fa bile. Mais de la même main qui peignit Tullius,

mé pour écrire l'Hiftoire du Roi; mais il ne le fut qu'en 1677.

Qui

que la penfée de l'Épître premiere faifoit plus d'honneur au Roi, & VERS 80. N'ait moins de poids que celle de l'Épitre VIII. en faifoit pour Toi dans la Poftérité.) Notre Au- plus au Poëte.,,En effet, difoit Mr. teur étant un jour en converfation,Despreaux, la penfée de ma preavec Mr. le Marquis de Dangeau &,,miere Épître fait plus d'honneur Mr. du Charmel, ces deux Meffieurs,,,au Roi; parce que je dis, que fes firent le parallèle de l'Éloge du ,,actions font fi extraordinaires, Roi, exprimé à la fin de l'Épitre I.,,que pour les rendre croyables à & de l'Éloge qui fe trouve ici.,,la Poftérité, il faudra confirmer On contefta long-temps fur la pré-,,le récit de l'Hiftoire par le té férence de ces deux endroits. Mr. ,,moignage irréprochable d'un Satidu Charmel étoit pour le premier; rique. Mais la penfée de l'Epi& Mr. de Dangeau fe déclara pour,,tre VIII. me fait plus d'honneur, le fecond: dans l'un, on trouvoit a-t-il ajoûté, parce que j'y fais plus de force; & dans l'autre, plus l'éloge de ma générofité, & du de délicateffe. Enfin, Mr. de Dan-,,défintéreffement avec lequel je geau termina la difficulté en difant, voudrois louer le Roi, de peur que

,,mes

Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius, Il fut fléchir Glycère, il fût vanter Augufte, Et marquer fur la Lyre une cadence jufte. 95 Suivons les pas fameux d'un fi noble Écrivain. A ces mots quelquefois prenant la Lyre en main, Au récit que pour Toi je fuis prêt d'entreprendre, Je crois voir les Rochers accourir pour m'entendre, Et déja mon Vers coule à flots précipités;

100 Quand j'entends le Lecteur qui me crie: Arrêtez; Horace eut cent talens: mais la Nature avare

Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizarre. Vous paffez en audace & Perfe & Juvénal: Mais fur le ton flatteur Pinchêne eft votre égal. 105 A ce difcours, GRAND ROI, que pourrois-je répondre? Je me fens fur ce point trop facile à confondre, Et fans trop relever des reproches fi vrais, Je m'arrête à l'inftant, j'admire, & je me tais.

,,mes_louanges ne foient fufpectes ,,de flatterie.

Fameux Muficien, le plus eftimé de fon temps, fort chéri d'Augufte. Voyez le commencement de la Satire III. Livre I. d'Horace.

VERS 93. Il fût fléchir Glycère.) Sa Maîtreffe. Ode XIX. du Livre I.

VERS 88. De vapeurs.) Ce mot fe doit prendre au fens figuré & fignifie l'humeur chagrine & fatirique. Dans le temps auquel notre Auteur compofa cette Épître, on ne VERS 104. Mais fur le ton flatteur connoiffoit de Vapeurs qu'aux fem- Pinchêne eft votre égal.) ÉTIENNE mes; & les hommes ne s'étoient MARTIN, Sr. de PINCHÊNE, pas encore avifés d'être attaqués Neveu de Voiture. Il avoit fait de cette indifpofition. imprimer un gros Recueil de mauQui peignit vaifes Poëfies, contenant les Éloges Tullius.) Sénateur Romain. Cefar du Roi, des Princes & Princeffes" de l'exclut du Sénat; mais il y rentra fon Sang, & de toute fa Cour : C'est après la mort de cet Empereur. à quoi ce vers fait allufion. Voyez Voyez Horace, Livre I. Satire VI. la Note fur le vers 163. du cinVERS 92. Couvrit Tigellius.] quieme Chant du Lutrin. X

VERS 91.

Tome I.

É PIT RE IX.

Α

M. LE MARQUIS DE SEIGNELAY, SECRETAIRE D'ÉTAT,

DANGEREU

ANGEREUX Ennemi de tout mauvais Flatteur, SEIGNELAY, c'est en vain qu'un ridicule Auteur, Prêt à porter ton nom de l'Ebre jufqu'au Gange, Croit te prendre aux filets d'une fotte louange. 5 Auffi-tôt ton Efprit, prompt à se revolter, S'échappe, & rompt le piege où l'on veut l'arrêter. Il n'en eft pas ainfi de ces Efprits frivoles, Que tout Flatteur endort au fon de fes paroles; Qui dans un vain Sonnet placés au rang des Dieux,

'Auteur ayant attaqué fortement l'Erreur & le Menfonge dans fes précédens Ouvrages il ne lui reftoit plus que d'infpirer l'amour de la Vérité, en la repréfentant avec tous les avantages. C'est ce qu'il a fait dans cette Épître qui contient l'Éloge du Vrai, & dans laquelle il fait voir, que Rien n'eft bean que le Vrai, & que le Vrai feul eft aimable *. Ce Poete a fait briller ici tout fon génie, en traitant une matiere fi conforme à fes fentimens, & il a fû réunir en cette Pièce, tout le fublime de la Morale avec toute la douceur de la Poëfie. Elle a été compofée au commence ment de l'année 1675. avant l'Épître précédente. Elle eft adreffée à Mr. JEAN BAPTISTE COLBERT, Marquis de SEIGNELAY,

* V'ers 43..

Secretaire d'Etat, fils ainé de Mr.
Colbert.

VERS 3.- De l'Ebre jusqu'au Gange.) Expreffion commune & ufitée parmi les Poëtes médiocres. L'Ebre, Riviere d'Efpagne. Le Gange, Riviere des Indes.

VERS II. Et fiers du haut étage où La Serre les loge.) LA SERRE, fade Panegyrifte, qui fe flattoit d'etre fort capable de compofer des Éloges, fuivant l'ufage où l'on étoit en ce temps-là de faire des Portraits en Vers où en Profe. Mr. de la Serre, dit un Auteur † peu célèbre, s'eft trouvé très-propre à ces fortes d'Ouvrages, & il a un génie particulier pour cela, foit qu'il leur laille la forme d'Eloges, ou qu'il les infere dans les Épitres dédicatoires de fes Livres. Le même Auteur reconnoît néanmoins,

+ SOREL, Bibliotheque Françoise, pag. 157,

10 Se plaisent à fouler l'Olympe radieux

Et fiers du haut étage où La Serre les loge,
Avalent fans dégoût le plus groffier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à fi bas prix.
Non que tu fois pourtant de ces rudes Esprits
15 Qui regimbent toûjours, quelque main qui les flatte.
Tu fouffres la louange adroite & délicate,

Dont la trop forte odeur n'ébranle point les fens.
Mais un Auteur novice à répandre l'encens,
Souvent à fon Héros, dans un bizarre Ouvrage,
20 Donne de l'encenfoir au travers du vifage:
Va louer Monterey d'Oudenarde forcé,
Ou vante aux Électeurs Turenne repouffé.
Tout éloge impofteur bleffe une Ame fincere.
Si, pour faire fa cour à ton illustre Pere,

qu'il en faut retrancher les penfées trop hardies, ou trop irrégulieres, & les paroles peu convenables; c'est-àdire, que La Serre auroit été un Écrivain paffable, s'il n'avoit pas péché contre la jufteffe de la Penfée, & contre la régularité de l'Expreffion.

IMIT. Vers 15. Qui regimbent
toujours, quelque main qui les flatte.)
Horace, L. II. Sat. I. vers 20.

Cui male fi palpere, recalcitrat un-
dique tutus.

VERS 20. Donne de l'encenfoir
au travers du vifage.) Ce vers eft
devenu Proverbe.

VERS 21. Va louer Monterey d'Oudenarde forcé.) Après la Bataille de Senef gagnée par le Prince de Condé, les Alliés voulurent effacer la honte de leur défaite par la prife de quelqu'une de nos villes. Le

X ij

Comte de Monterey, Gouverneur des Pays-Bas pour l'Efpagne, & Général de l'Armée Espagnole, affiégea Oudenarde. Mais le Prince de Condé marcha contre lui, & l'obligea de lever le Siege avec beaucoup de précipitation; le 12. de Septembre, 1674. JEAN DOMINIQUE DE MONTEREY étoit fils de Dom LOUIS MENDEZ DE HARO, premier Miniftre du Roi d'Efpagne, & fon Plénipotentiaire aux Conférences de la Paix des Pyrénées.

VERS 22. On vante aux Électeurs Turenne repouffé.) Ce vers, auffi bien que le précédent, eft une contre-vérité. Celui-ci défigne la bataille de Turkeim en Alface, gagnée par Mr. de TURENNE contre les Allemands, le 5. de Janvier, 1675.

IMIT. Vers 24. Si, pour faire fa cour à ton illuftre Pere.] Ce vers &

25 SEIGNELAY, quelque Auteur d'un faux zele emporté,

Au lieu de peindre en lui la noble activité,
La folide vertu, la vafte intelligence,

Le zele pour fon Roi, l'ardeur, la vigilance,

La conftante équité, l'amour pour les beaux Arts; 30 Lui donnoit les vertus d'Alexandre ou de Mars; Et, pouvant juftement l'égaler à Mécene, Le comparoit au fils de Pelée ou d'Alcmene: Ses yeux d'un tel difcours foiblement éblouis, Bientôt dans ce Tableau reconnoîtroient Louis; 35 Et, glaçant d'un regard la Mufe & le Poëte, Impoferoient filence à fa verve indifcrete. Un cœur noble eft content de ce qu'il trouve en lui, Et ne s'applaudit point des qualités d'autrui. Que me fert en effet, qu'un Admirateur fade 40 Vante mon embonpoint, fi je me fens malade; Si dans cet inftant même un feu féditieux

Fait bouillonner mon fang, & pétiller mes yeux ? Rien n'eft beau que le Vrai. Le Vrai feul eft aimable. Il doit regner par-tout & même dans la Fable:

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