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Contre tous ces complots faura te maintenir,
Et foûlever pour toi l'équitable Avenir.
Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse
So De Phèdre malgré foi perfide, inceftueuse,
D'un fi noble travail juftement étonné,
Ne bénira d'abord le fiecle fortuné,

85

Qui rendu plus fameux par tes illuftres veilles,
Vit naître fous ta main ces pompeufes merveilles?
Cependant laiffe içi gronder quelques Cenfeurs,

VERS SO. De Phèdre malgré foi l'Auteur avoit ou n'avoit pas perfide, inceftuçufe.] Malgré foi: un Héros tragique ne peut exciter la Pitié & la Terreur, à moins qu'il ne foit un peu criminel & beaucoup malheureux. C'eft le Caractère d'Oedipe dans SOPHOCLE, & de Phèdre dans Racine.

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beaucoup de peine à compofer, fes productions étoient aifées & naturelles ; & que cela fuffifoit. Comme il n'y avoit rien d'injurieux pour Mr. Despreaux dans cette difpute, on la lui redit; mais il ne laiffa pas d'y être fenfible dans le moment: & pour fe venger du juge, ment qu'avoit porté M. D..... il résolut de mettre le nom de ce Magiftrat à la place que tient ici l'Auteur du Jonas. Pour cet effet, il changea ainfi le vers: Que D..... au Palais s'empreffe de les lire. Et pour ne laiffer aucun doute, il mit cette Note à côté : Confeiller au lement, qui fait peu de cas de mes Ouvrages. Cela fut imprimé ainfi dans l'édition de 1701. que l'Auteur préparoit alors; mais en revoyant les épreuves, il changea d'avis, & remit l'ancien vers : ayant penfé qu'il ne devoit pas faire un crime à ce Magiftrat, d'une chofe qu'il avoit dite en paffant, dans une converfation à table, & fans aucun deffein formé de l'offenser.

Pare

VERS 88. Que l'Auteur du Jonas.) Voyez la Remarque fur le vers 91. de la Satire IX. M. D Confeiller au Parlement, foûtint un VERS 89. De Senlis le jour à table, que quelques beaux que Poëte idiot.) LINIERE avoit la foient les vers de Mr. Despreaux, on phyfionomie d'un Idiot. Il ne connoiffoit néanmoins qu'il ne les réuffiffoit qu'à faire des chanfons faifoit pas aifément. Quelqu'un impies; c'est pourquoi notre Aurépondit, que, fans examiner fi teur lui reprocha un jour, qu'il

Qu'aigriffent de tes Vers les charmantes douceurs. Et qu'importe à nos Vers que Perrin les admire ? Que l'Auteur du Jonas s'empreffe pour les lire?

Qu'ils charment de Senlis le Poëte idiot,

90 Ou le fee Traducteur du François d'Amyot:

Pourvû qu'avec éclat leurs rimes débitées

Soient du Peuple, des Grands, des Provinces goûtées; Pourvû qu'ils puiffent plaire au plus puiffant des Rois; Qu'à Chantilli Condé les fouffre quelquefois:

n'avoit de l'efprit que contre Dieu, On l'appelloit l'Athée de Senlis. Voyez la Note fur le vers 194. du Chant II. de l'Art poetique. Mr. Despreaux citoit quelquefois les rimes d'Idiot & d'Amyot, dans ces deux vers, comme des rimes riches & extraordinaires. Ce vers 89. & les trois fuivans n'ont été imprimés qu'en 1701. quoi qu'ils euffent été faits avec le refte de l'Épître.

VERS 90. Ou le fec Traducteur du François d'Amyot.) JACQUES AMYOT, Auteur célèbre, qui a traduit en François toutes les Oeuvres de Plutarque. L'Abbé TALLEMAN T l'ainé entreprit en 1665. d'en faire une nouvelle Traduction, dans laquelle on prétend qu'il n'a fait que regratter celle d'Amyot, & la mettre en meilleur langage, fans confulter l'original Grec. L'Abbé Tallemant s'attira cette fâcheufe critique par une fauffe aventure qu'il débita en pleine_Académie Contre l'honneur de Mr. Despreaux. Il y lut une Lettre, par laquelle on lui mandoit, que le jour précédent Mr. Despreaux étant dans un lieu de débauche, derriere l'Hôtel de Condé, y avoit été fort maltraité. Ceux qui ont connu ce Poëte d'une maniere plus intime, favent que jamais calomnie ne fut plus mal fondée que celle-là.

V iv

CHANG. Vers 91. Pourvû qu'a vec éclat leurs rimes débitées &c.] Premieres éditions;

Pourvû qu'avec honneur leurs rimes débitées

Du Public dédaigneux ne foient point rebutées.

CHANG. Vers 93. Pourvû qu'ils puiffent plaire.] On lifoit: Pourvû qu'ils fachent, dans toutes les Editions qui ont précédé celle de 1713. qui n'a paru qu'après la mort de Auteur."

IMIT. Ibid. Pourvû qu'ils puiffent plaire au plus puiffant des Rois, &c.) Horace, L., I. Sat. X. v. SI.

Plotius & Varius, Macenas, Vir

giliusque, Valgius, & probet hæc Octavius optimus, atque

Fufcus, &c. .

VERS 94. Qu'à Chantilli Condé.) Le grand Prince de Condé a paffé les dernieres années de fa vie dans fa belle Maifon de Chantilli. Mr. le Duc d'Enguien fon fils eft nommé dans le vérs fuivant.

95 Qu'Enguien en foit touché, que Colbert & Vivone,

Que la Rochefoucaut, Marfillac & Pompone,

Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer,
A leurs traits délicats fe laiffent pénétrer.

Et plût au Ciel encor, pour couronner l'Ouvrage, 100 Que Montauzier voulût lui donner fon fuffrage!

VERS 96. Que la Rochefoucaut, Quelque temps après il aborda Mr. Marfillac, & Pompone.) Mr. le Duc Despreaux dans la grande Gallerie de LA ROCHEFOUCAUT, auffi de Verfailles, & lui fit un comcélèbre par la beauté de fon efprit, pliment fur la mort de Mr. Boileau que par la nobleffe de fa naiffance, de Puimorin, fon frere, arrivee deC'est l'Auteur du Livre des Maximes morales. Après fa mort, Mr. le Prince de Marfillac fon fils, Grand Maitre de la Garde-robe, prit le nom de la Rochefoucaut. Il mourut à Versailles le 11. Janvier, 1714. âgé de So. ans. Pompone: SIMON ARNAUD, Marquis de Po MPONE, Miniftre d'Etat.

VERS 99. Et plút au Ciel encor, &c) Horace, à l'endroit cité cideffus: Et hæc utinam Vifcorum laudet uterque! Dans ce pailage d'Horace, notre Auteur fuppofoit une beauté & une fineffe, dont perfonne ne s'étoit apperçû,,,Il y a apparence, difoit-il, que les deux Vifcus étoient ,,ordinairement oppofés dans leurs ,,fentimens; C'est-à-dire, que l'un étoit d'un goût raifonnable, & l'au,,tre d'un goût bizarre & particu,,lier; ainfi Horace; en fouhaitant ,,de plaire à ces deux hommes, ,,donne une marque de fon efprit, ,,puifqu'il n'y a jamais que les ,,chofes qui font d'une bonté folide ,,& immuable, qui foient approu,,vées par toutes fortes de gens.

VFRS 100, Que Montauzier voulút lui donner fon Juffrage.) Le fouhait obligeant & flatteur qui eft exprimé dans ce vers, produifit fur le coeur de Mr. le Duc de MONTAUZIER tout l'effet que l'Auteur s'en étoit promis. Ce Duc commença dès lors à s'adoucir en fa faveur.

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puis peu, lui difant, qu'il aimoit beaucoup feu Mr. de Puimorin. Je fais, qu'il faifoit grand cas de l'amitié dont vous l'avez honoré, reprit Mr. Despreaux, mais il en faifoit encore plus de votre vertu ; & il m'a dit plufieurs fois, qu'il étoit très - fâché que je n'eufje pas pour ami le plus honnête-homme de la Cour. Mr. de Montauzier fut extrêmement touché de cette louange : ce fut le moment de la réconciliation. Il changea dès lors l'estime qu'il avoit pour notre Auteur, en une véritable amitié, qui a duré toute fa vie, & fur le champ il l'emmena diner avec lui,

IMIT, Vers 101, C'est à de tels Lecteurs que j'offre mes Ecrits.) Horace, dans la même Satire, v. 87.

Complures alios, doctos ego quos

amicos

&

Prudens prætereo; quibus hæc, fint qualiacumque,

Arridere velim; doliturus, fi placeant Spe

Deterius noftra.

VERS 104, Que non loin de la Place où Brioché préfide.) BRIOCHÉ, fameux Joueur de Marionettes, logé près des Comédiens. Pradon fit représenter fa Pièce par

1

C'est à de tels Lecteurs que j'offre mes Écrits.
Mais pour un tas groffier de frivoles Efprits,
Admirateurs zélés de toute Œuvre infipide,
Que non loin de la Place où Brioché préfide,
105 Sans chercher dans les Vers ni cadence ni son,
Il s'en aille admirer le favoir de Pradon.

les Comédiens du Roi, dont le
Théâtre étoit alors dans la Rue Ma-
zarine, au bout de la Rue Guéné-
gaud. Le lieu où l'on faifoit jouer
les Marionettes étoit vers l'autre
extrêmité de cette derniere Rue,
du côté du Pont-neuf. C'eft par
la circonftance de ce Voifinage, que
notre Auteur defigne finement, mais
malicieufement, les Comédiens qui
jouoient la Phèdre de Pradon; vou-
lant infinuer que cette Tragédie eft
d'un caractère à ne mériter d'être
jouée que par les Marionettes.
FANCHON,
ou FRANÇOIS
BRIOCHE, étoit fils de JEAN
BRIOCHE, Arracheur de dents,
qui eft regardé comme l'Inventeur
des Marionettes, quoi qu'il n'ait

fait

que les perfectionner. De fon temps un Anglois avoit trouvé le fecret de les faire mouvoir par des refforts, & fans cordes; mais l'on préféroit celles de Brioché, à caufe des plaifanteries qu'il leur faifoit dire. FANCHON BRIOCHÉ, fon fils, l'a encore furpaffé dans ce noble exercice.

IMIT. Vers 105. Sans chercher dans les vers ni cadence ni fon.) C'eft ce qu'Horace appelloit: Immodulata poëmata. De Arte poët. v. 263.

VERS 106. Il s'en aille admirer

le favoir de Pradon.) Pradon étoit
fort ignorant. Un jour au fortir
d'une de fes Tragédies, Mr. le Prince
de Conti l'aîné lui ayant dit, qu'il
avoir transporté en Europe une

V v

Ville qui eft dans l'Afie: Je prie votre Altele de m'excufer, répondit Pradon, car je ne fais pas trop bien la Chronologie,

Nous avons dit, que la Phèdre de Mr. Racine ayant été représentée par les Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, ceux de la Troupe du Roi lui oppoferent,deux jours après, celle de Pradon. Ce Poëte confultoit ordinairement fur fes Oeuvres Madame DES HOULIERES; ainfi, l'intérêt qu'elle prenoit à la Tragédie de Pradon, fit qu'elle voulut voir la premiere représentation de celle de Racine. Elle revint fouper chez elle avec cinq ou fix perfonnes, du nombre desquelles étoit Pradon. Pendant tout le repas on ne parla que de la Tragédie nouvelle : chacun en dit fon fentiment avec beaucoup de liberté, & l'on fe trouva plus difpofé à la critique qu'à la louange. Ce fut pendant ce même fouper que Madame Des Houlieres fit ce fameux Sonnet:

Dans un fauteuil doré, Phèdre tremblante & blême

Dit des vers où d'abord perfonne n'entend rien.

Sa Nourrice lui fait un Sermon fort chrétien,

Contre l'affreux deffein d'attenter fur foi-même.

* Dans un endroit nommé Château-gaillard, proche l'Abreuvoir du

Pont-neuf.

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Ce Sonnet fe répandit bientôt dans Paris. Dès le lendemain matin l'Abbé TALLEMANT l'ainé en apporta une copie à Madame Des Houlieres, qui la reçut fans rien témoigner de la part qu'elle avoit au Sonnet; & elle fut enfuite la premiere à le montrer, comme le tenant de l'Abbé Tallemant. Les amis de Mr. Racine crurent, que çe Sonnet éroit l'Ouvrage de Mr. le Duc de NEVERS, l'un des Protecteurs de Pradon; car pour Pradon lui-même ils ne lui firent pas l'honneur de le foupçonner d'en être l'Auteur. Dans cette penfée ils tournerent ainfi ce Sonnet contre Mr. le Duc de Nevers fur les mêmes Rimes.

Dans un Palais doré, Damon jæ loux & blême

Fait des Vers où jamais personne n'entend rien.

Il n'eft ni Courtifan, ni Guerrier, ni Chrétien:

Et fouvent pour rimer il s'enferme lui-même,

La Mufe, par malheur, le hait an tant qu'il l'aime.

Il a d'un franc Poëte & l'air & lo maintien.

Il veut juger de tout & n'en juge pas bien.

Il a pour le Phébus une tendresse extrême.

Une Sœur vagabonde, aux crins plus noirs que blonds, Va par tout l'Univers promener deux tetons,

Dont, malgré fon pays, Damon eft idolâtre.

Il fe tue à rimer pour des Lecteurs ingrats.

L'Éné ïde, à fon goût, eft de la Mort

aux-rats,

Et, felon lui, Pradon eft le Roi da Théâtre.

On attribua cette réponse à Racine & à Despreaux; mais ils la désavouoient. Ils ont affùré depuis, qu'elle avoit été faite par le Chevalier de Nantouillet; avec le Comte

* C'étoit la Des-Œillets, peu jolie, mais excellente Attrice.

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