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SATIRE

II.

DE MOLIERE.

A M.

RARE

ARE & fameux Efprit, dont la fertile veine
Ignore en écrivant le travail & la peine;
Pour qui tient Apollon tous fes trésors ouverts,
Et qui fais à quel coin fe marquent les bons vers;
5 Dans les combats d'efprit favant Maître d'efcrime,
Enseigne moi, MOLIERE, où tu trouves la rime.
On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher.
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et fans qu'un long détour t'arrête ou t'embarrasse,

10 A peine as-tu parlé, qu'elle - même s'y place.

Mais moi, qu'un vain capriće, une bizarre humeur,

Le fujet de cette Satire eft, la dif

ficulté de trouver la Rime, & de la faire accorder avec la Raifon. Mais PAuteur s'eft appliqué à les concilier toutes deux, en n'employant dans cette Pièce, que des Rimes ex

trêmement exactes.

Cette Satire n'a été compofée qu'après la feptieme: ainfi elle eft la quatrieme dans l'ordre du temps. Elle fut faite en 1664.

La même année, l'Auteur étant chez Mr. Du Brouffin, avec Mr. le Duc de Vitri & Moliere; ce dernier y devoit lire une Traduction de Lucréce en vers François, qu'il avoit faite dans fa jeuneffe. En attendant le dîner, on pria M. Despreaux de réciter la Satire adreffée. a Moliere; mais après ce récit, Moliere ne voulut plus lire fa Tra

duction, craignant qu'elle ne fût pas
affez belle pour foutenir les louan-
ges qu'il venoit de recevoir. Il fe
contenta de lire le premier Acte du
Mifanthrope, auquel il travailloiten
ce temps-la; difant, qu'on ne de-
voit pas s'attendre à des vers auffi
de Mr. Despreaux; parce qu'il lui
parfaits & auffi achevés que ceux
faudroit un temps infini, s'il vouloit
travailler fes Ouvrages comme lui.

VERS 17. Si je veux d'un Galant
&c.) Ces deux vers étoient ainfi :

Si je pense parler d'un Galant de
notre âge,
Ma plume pour rimer rencontrera
Ménage.
Mais heureufement pour l'Abbé Mé-
nage, l'Abbé de Pure fit en ce temps-

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Pour mes péchés, je crois, fit devenir Rimeur:
Dans ce rude métier, où mon efprit fe tue,
En vain, pour la trouver, je travaille & je fue.
15 Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au foir:
Quand je veux dire blanc, la quinteufe dit noir.
Si je veux d'un Galant dépeindre la figure,

Ma plume pour rimer trouve l'Abbé de Pure;

Si je penfe exprimer un Auteur fans défaut,

20 La Raifon dit Virgile, & la Rime Quinaut.
Enfin quoi que je faffe, ou que je veuille faire,
La bizarre toûjours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois, ne pouvant la trouver,
Trifte, las, & confus, je ceffe d'y rêver:

25 Et maudiffant vingt fois le Démon qui m'infpire,

Je fais mille fermens de ne jamais écrire.

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là des Vers contre notre Auteur. des Marchands, en 1634. & fon C'étoit une Parodie de la Scène de Ayeul, Echevin en 1596. Il avoit Corneille, dans laquelle Augufte publié en 1663. une fort mauvaise confond Cinna après la découverte Traduction de Quintilien. Dans la de fa conjuration; & dans cette fuite il traduifit encore l'Hiftoire des Parodie, Mr. Colbert convainquoit Indes, écrite en Latin par le P. MafMr. Despreaux d'être l'Auteur de fée; & l'Hiftoire d'Afrique, écrite en quelques Libelles qui paroifoient Italien par J. B. Birago. Il a auffi alors. Mr. Despreaux n'étoit pas traduit la Vie de Leon X. du Latin affuré que de Pure eût fait cette de Paul-Jove; & de plus il a fait un Parodie maligne; mais il favoit Roman, qui a pour titre, les Prébien que cet Abbé la diftribuoit. cieufes; la Vie du Maréchal de Gaf Pour toute vengeance d'une fi noi- fion, &c. re calomnie, notre Auteur fe contenta de mettre le nom de l'Abbé de Pure dans cette Satire, où il le traite ironiquement de Galant, parce que cet Abbé affe&toit un air de propreté & de galanterie, quoi qu'il ne fùt ni propre ni galant.

MICHEL DE PURE étoit de Lyon, où fon Pere avoit été Prévôt

& la Rime Quinaut.] PHILIPPE VERS 20. La Raifon dit Virgile, Tragedies, imprimées en deux voQUINAUT, Auteur de plufieurs tombées dans l'oubli. Il a depuis lumes, mais qui font abfolument compofé des Opéra. Il fut reçû à l'Académie Françoife, en l'année 1670. & mourut en 1688.

Mais quand j'ai bien maudit & Mufes & Phébus,
Je la voi qui paroît, quand je n'y pense plus.
Auffi-tôt, malgré moi, tout mon feu fe rallume:
3o Je reprens fur le champ le papier & la plume.
Et de mes vains fermens perdant le fouvenir,
J'attends de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor fi pour rimer, dans fa verve indifcrete,
Ma Mufe au moins fouffroit une froide épithête:
35 Je ferois comme un autre, & fans chercher fi loin,
J'aurois toûjours des mots pour les coudre au besoin:
Si je louois Phillis, En miracles féconde;

Je trouverois bien-tôt, A nulle autre feconde ;
Si je voulois vanter un objet Nompareil,

4o Je mettrois à l'inftant, Plus beau que le Soleil.
Enfin parlant toûjours d'Aftres & de Merveilles,

De Chef-d'œuvres des Cieux, de Beautez fans pareilles;

J

Avec

VERS 35. Je ferois comme un autre.] Mr. Ménage, fur fon Églogue intituGILLES MÉNAGE, dont les lée: Chriftine, p. 16. Poëfies font remplies d'expreffions femblables à celles que notre Auteur reprend dans les vers fuivans: ce qui marque un génie froid &ftérile, tel qu'étoit celui de l'Abbé Ménage, qui n'avoit point de Naturel à la Poefic, & qui ne faifoit des vers qu'en dépit des Mufes; comme il l'a dit lui-même dans la Préface de fes Obfervations fur Malherbe.

Gilles Boileau, frere de notre Auteur, avoit déja repris l'Abbé Ménage de fon affectation à employer ces fortes de Phrases Poëtiques: En charmes féconde, A nulle autre pareille, A nulle autre feconde: Ce Chef-d'œuvre des Cieux, Ce miracle d'amour, &c. on peut voir l'Avis à

VERS 46. Dans mes Vers recoufus mettre en pièces Malherbe.] Il étoit difficile de faire un vers qui rimât avec celui-ci. Cela parut même impoflible à La Fontaine, a Moliere, & à tous les amis que notre Poete confulta. Cependant il trouva le vers qu'il cherchoit. i

(Et tranfpofant cent fois & le nom & le verbe.)

Quand il le dit à La Fontaine, Ah! le voilà, s'écria celui-ci, en l'interrompant: Vous êtes bien - heureux. Je donnerois le plus beau de mes Contes pour avoir trouvé cela. Mr.

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Avec tous ces beaux mots fouvent mis au hazard,

Je pourrois aisément, fans génie & fans art,

45 Et tranfpofant cent fois & le nom & le verbe,
Dans mes vers recoufus mettre en pièces Malherbe.
Mais mon Efprit, tremblant fur le choix de fes mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne fauroit fouffrir, qu'une phrase infipide
59 Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide.
Ainfi recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit foit le premier, dont la verve infenfée
Dans les bornes d'un vers renferma fá pensée,
55 Et donnant à fes mots une étroite prifon,
Voulut avec la Rime enchainer la Raison.

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Sans ce métier, fatal au repos de ma vie,
Mes jours pleins de loifir couleroient fans envie,

Mr. Despreaux faifoit ordinaire-
ment le fecond
vers avant le pre-
mier. C'est un des plus grands fe-
crets de la Poëfie, pour donner aux
vers beaucoup de fens & de force.
Il confeilla à Mr. Racine de fuivre
cette méthode; & il difoit à ce pro-
pos: Je lui ai appris à rimer difficile-

ment.

VERS 53. Maudit foit le premier,
dont la verve infenfée, &c.] Mr. Ar-
nauld d'Andilly entendant réciter
cette Satire, fut extrêmement tou-
ché de ces quatre vers; il en ad-
mira la beauté, & les compara à
ceux-ci de BREBE UF, qui font
fi fameux: Pharf. L. III.

C'eft de lui que nous vient cet Art
ingénieux,
Tome I.

33

De peindre la parole & de parler

aux yeux;

Et par les traits divers de figure's

tracées

Donner de la couleur & du corps aux penfées.

Mr. d'Andilly fe fit réciter cette
Satire trois fois de fuite,
par l'Au-
teur.

CHANG. Vers 57. Sans ce métier fatal au repos de ma vie, &c.] Premiere maniere:

Sans ce métier, hélas! fi contraire à ma joie,

Mes jours auroient été filés d'or & de foie.

C

Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant;

60 Et comme un gras Chanoine, à mon aife, & content, Paffer tranquillement, fans fouci, sans affaire,

La nuit à bien dormir, & le jour à rien faire.
Mon cœur exempt de foins, libre de paffion,
Sait donner une borne à fon ambition;
65 Et fuyant des grandeurs la préfence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune.
Et je ferois heureux, fi, pour me consumer,
Un deftin envieux ne m'avoit fait rimer.

Mais depuis le moment que cette frénéfie 70 De fes noires vapeurs troubla ma fantaisie, Et qu'un Démon, jaloux de mon contentement,

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