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Qui ne fent point l'effet de Tes foins généreux?
L'Univers fous Ton Regne a-t-il des Malheureux?
Eft-il quelque vertu dans les glaces de l'Ourse,

Ni dans ces lieux brûlés où le jour prend fa fource, 155 Dont la trifte Indigence ofe encore approcher,

Et qu'en foule Tes dons d'abord n'aillent chercher?
C'eft par Toi qu'on va voir les Mufes enrichies,
De leur longue difette à jamais affranchies.

GRAND ROI, pourfuis toûjours, affûre leur repos.
160. Sans elles un Héros n'eft pas long-temps Héros.
Bientôt, quoi qu'il ait fait, la Mort d'une ombre noire
Enveloppe avec lui fon nom & fon hiftoire.
En vain, pour s'exempter de l'oubli du cercueil,
Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil.

165 En vain, malgré les vents, aux bords de l'Hefperie Énée enfin porta fes Dieux & fa Patrie.

Sans le fecours des vers, leurs noms tant publiés

Prêt à juger de tout, comme un qu'il mit à la feconde édition de

jeune Marquis,

Qui plein d'un grand favoir chez

les Dames acquis, Dédaignant le Public, que lui

il attaque,

fon Epître.,,Je m'étois perfuadé, ,,dit-il, que la Fable de l'Huitre ,,que j'avois mife à la fin de cette Épitre au Roi, pourroit y délaffer ,,agréablement l'efprit des Lecteurs, ,,qu'un fublime trop férieux peut ,,enfin fatiguer: joint que la corfeul,,rection que j'y avois mife, fem

,,bloit me mettre à couvert d'une ,,faute dont je faifois voir que je ,,m'appercevois le premier. Mais

Va pleurer au Tartuffe, & rire à j'avoue qu'il y a eu des perfon

l'Andromaque.

L'Auteur expliqua les raifons de ce
changement, dans un Avertissement

,,nes de bon fens qui ne l'ont pas ,,approuvée. J'ai néanmoins balan,,cé long-temps fi je l'òterois, parce qu'il y en avoir plufieurs qui la louoient avec autant d'excès que

Seroient depuis mille ans avec eux oubliés.

Non, à quelques hauts faits que Ton deftin T'appelle, 170 Sans le fecours foigneux d'une Mufe fidelle,

Pour T'immortalifer Tu fais de vains efforts. Apollon Te la doit: ouvre-lui Tes trésors, En Poëtes fameux rends nos climats fertiles. Un Augufte aifément peut faire des Virgiles. 175 Que d'illuftres témoins de Ta vaste bonté Vont pour Toi déposer à la Postérité !

Pour moi, qui fur Ton nom déja brûlant d'écrire,
Sens au bout de ma plume expirer la Satiré,
Je n'ofe de mes Vers vanter ici le prix.
180 Toutefois, fi quelqu'un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,

Peut-être pour Ta gloire aura-t-il fon ufage.
Et comme Tes exploits, étonnant les Lecteurs,
Seront à peine crus fur la foi des Auteurs;

S.IMIT. Vers 160. Sans elles un Héros n'eft pas long-temps Héros, &c.) Horace, L. IV. Od. IX. v. 25.

Vixere fortes ante Agamemnona

les autres la blâmoient. Mais en- des penfions aux Gens de Lettres,
»fin, je me fuis rendu à l'autorité dans toute l'Europe.
d'un Prince, non moins confidéra-
»ble par les lumieres de fon efprit,
que par le nombre de fes victoires.
C'étoit le Grand Prince de CONDE.)
»Comme il m'a déclaré franche-
ment, que cette Fable, quoi que
très-bien contée, ne lui fembloit
"pas digne du refte de l'Ouvrage;
,,je n'ai point réfifté, j'ai mis une
"autre fin à ma Pièce, & je n'ai
"pas cru, pour une vingtaine
»de vers, devoir me brouiller
avec le premier Capitaine de
"notre Siecle &c.

VERS 156. Et qu'en foule Tes

Multi: fed omnes illacrymabiles
Urgentur, ignatique longa
Nocte, carent quia vate facro,

DU MONTEIL.

IMIT. Vers 174. Un Augufte

dons &c.) En 1663. le Roi donna aisément peut faire des Virgiles.)

185 Si quelque Esprit malin les veut traiter de fables,

On dira quelque jour, pour les rendre croyables:
Boileau, qui, dans fes Vers pleins de fincérité,

Martial donne à un Mécénas le même pouvoir que l'on donne ici à un Augufte.

Sint Macenates, non deerunt, Flacce,

Marones. Liv. VIII. Epig. 56.

VERS 187. Boileau, qui, dans fes vers &c.) Cet endroit a été comparé avec un autre de l'Épître huitieme. Voyez la Remarque fur le Vers So. de cette derniere Épître.

les mettre ainfi dans la balance. N'importe, dit le Roi, Je veux que vous me difiez votre fentiment. Mr. Despreaux obéit, en difant que l'endroit dont il étoit le plus content, étoit la fin d'une Építre qu'il avoit pris la liberté d'adresfer à Sa Majefté; & récita les quarante vers par lefquels finit cette Épître. Le Roi n'avoit pas vu cette fin, parce que l'Auteur l'avoit faite depuis peu, pour être mife à la place de la Fable de l'Huitre & des Plaideurs. Ces derniers vers toucherent fenfibleVERS dernier. A pourtant de ce ment le Roi, fon émotion parut Roi parlé comme l'Hiftoire.) Dans dans les yeux, & fur fon vifage. le temps que notre Auteur compo- Il fe leva de fon fauteuil avec fa cette Épître, il travailloit au Poë- un air vif & fatisfait. Cepenme du Lutrin. Pour louer le Roi dant, comme il eft toûjours maîd'une maniere nouvelle, il fit l'ad tre de fes mouvemens, & qu'il mirable Récit de la Molleffe, qui parle fur le champ avec tant de eft à la fin du fecond Chant de ce jufteffe qu'on ne pourroit mieux Poëme. Cette ingénieufe fiction dire après y avoir penfe longeut un fuccès extrêmement heu- temps: Voilà qui eft très-beau, reux. Le Roi, qui ne connoiffoit dit-il, cela eft admirable. Je vous Boileau que par fes Satires, vou- louerois davantage, fi vous ne m'alut voir le Poëte qui le favoit fi viez pas tant loué. Le Public donbien louer; & ordonna à Mr. Col- nera à vos Ouvrages les éloges bert de le faire venir à la Cour. qu'ils méritent; mais ce n'eft pas Quelques jours après, Mr. Des- affez pour moi de vous louer : Je preaux parut devant le Roi, étant vous donne une penfion de deux milpréfenté par Mr. de Vivonne. Il le livres : j'ordonnerai à Colbert de récita a Sa Majesté une partie vous la payer d'avance; & je vous du Lutrin, qui n'avoit pas encore accorde le privilège pour l'impreffion paru, & quelques autres Pièces, de tous vos Ouvrages. Ce font les dont le Roi fut très-fatisfait, A propres paroles du Roi; & l'on la fin, Sa Majesté lui demanda, peut croire, que l'Auteur ne les a quel étoit l'endroit de fes Poëfies pas oubliées. qu'il trouvoit le plus beau? Il pria le Roi de le difpenfer de faire un pareil jugement: ajoûtant qu'un Auteur étoit peu capable de donner le jufte prix à fes propres Ouvrages; & que pour lui, il l'eftimoit pas affez les fiens, pour

Avant que le Roi eût ainfi parlé, Mr. de Vivonne, frappé de la beauté des vers qu'il venoit d'entendre, prit brusquement l'Auteur à la gorge, & lui dit, par une faillie que la présence du Roi ne

Jadis à tout fon fiecle a dit la vérité;

Qui mit à tout blâmer fon étude & fa gloire, 190 A pourtant de ce Roi parlé comme l'Hiftoire.

put retenir: Ah! Traitre, vous ne que la premiere réflexion, que lui m'aviez pas dit cela.

Notre Poëte revint de la Cour, comblé d'honneurs & de biens. Cependant il a dit plufieurs fois,

infpira fa nouvelle fortune, fut un fentiment de trifteffe: envisageant la perte de fa liberté, comme une fuite inévitable des bienfaits dont il venoit d'être honoré.

ÉPITRE II.

A M. L'ABBÉ DES ROCHES.

A

Quoi bon réveiller mes Mufes endormies, Pour tracer aux Auteurs des regles ennemies? Penfes-tu, qu'aucun d'eux veuille fubir mes loix, Ni fuivre une Raifon qui parle par ma voix? O le plaifant Docteur, qui, fur les pas d'Horace, Vient prêcher, diront-ils, la réforme au Parnaffe! Nos écrits font mauvais, les fiens valent-ils mieux? J'entends déja d'ici Liniere furieux,

Qui m'appelle au combat, fans prendre un plus long terme. to De l'encre, du papier, dit-il qu'on nous enferme. Voyons qui de nous deux plus aifé dans fes vers, Aura plutôt rempli la page & le revers?

Moi donc qui fuis peu fait à ce genre d'efcrime,
Je le laiffe tout feul verfer rime fur rime,

La principale raifon, pour la

quelle l'Auteur compofa cette Epitre, fut pour conferver la fable de l'Huitre & des Plaideurs, qu'il avoit retranchée de l'Épître précé dente. L'Abbé DES ROCHES à qui l'Epitre II. eft adreffée, fe nom moit JEAN-FRANÇOIS ARMAND FUMÉE, fils de FRANÇOIS FUMÉE, Seigneur DES ROCHES. Il defcendoit d'A DAM FUMÉE, Premier Médecin de Charles VII. L'Abbé Des Roches mourut en 1711. âgé d'environ 75. ans, & c'eft à ce même Abbé qu'eft dédié le Parnaffe Réformé de GABRIEL GUERET.

VERS I. A quoi bon réveiller, &c.] Les fix premiers vers ont connoi tre, que l'Auteur travailloit alors à fon Art Poëtique.

VERS 8. J'entends déja d'ici Liniere furieux.] Le Poëte LINIERE avoit beaucoup de facilité à faire de méchans vers. Notre Auteur l'avoit pourtant nommé honorablement dans la Satire IX. v. 236. Mais Liniere s'avifa de faire une Critique très-offenfante de l'Epitre IV. qui avoit été faite avant celle-ci. Pour toute vengeance, notre Auteur le plaça ici, & en quelques autres endroits de fes Ouvrages. Voyez

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