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Que par des vers tout neufs, avoués du Parnaffe,
Il faut de mes dégoûts juftifier l'audace;

Et, fi ma Mufe enfin n'eft égale à mon Roi,
20 Que je prête aux Cotins des armes contre moi.
Eft-ce-là cet Auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devoit des bons vers nous tracer le modele,
Ce Cenfeur, diront-ils, qui nous réformoit tous?
Quoi? ce Critique affreux n'en fait pas plus que nous?
25 N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui, dans nos vers, pris Memphis & Byzance;
Sur les bords de l'Euphrate abattu le Turban,

Apollon lui-même fe trouvoit en la place de lui Despreaux, & qu'il entrat fur les rangs pour louer ce Prince, il auroit peur de tomber dans les défauts que Despreaux a reprochés à ces Auteurs, & de s'expofer à la cenfure. Il eft furprenant, que le Commentateur ait pû s'y tromper. Il n'a pas eré plus exact dans l'idée qu'il donne de la Critique de Des Marets.,,Mais ce ,,qui eft bien plus admirable en ce ,,Poëte, dit Des Marets, c'eft qu'en ,,fe mocquant de l'ambition des Conquérans, il eft lui mesme fi ,,ambitieux, qu'avec tant de mé,,chans vers il prétend s'élever au ,,deffus de tous les Poëtes, lefquels ,,il croit faire trembler. Mefme il ,,dit, qu'il fait trembler Apollon le Dieu des Poëtes, difant de lui,,mefme :

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Et

vers, ainfi que le Commentateur le lui attribue: mais il a cru que notre Poëte vouloit dire, que fi Apollon lui-même entreprenoit de louer le Roi, il craindroit, que lui Despreaux ne le critiquât, comme il a fait tant d'autres Auteurs. Cependant, il a fort bien compris que ces deux Vers faifoient un fens complet, & qu'il falloit les joindre ensemble. Le Commentateur, au contraire, a supprimé le premier Vers, qu'après avoir joué tant d'Auteurs différens qui détermine le véritable fens de Mr. Despreaux, & a joint l'autre: Phébus même auroit peur s'il entroit fur les rangs, avec celui-ci, me dit qu'il faut fortir de la route vulgaire, qui eft deux vers plus haut; & fait dire en général à notre Poëte, que la difficulté qu'il y a, à bien louer le Roi, pourroit même effrayer Apollon. La deffus, il releve la Modeftie de Mr. Despreaux. Il croit donc, que Mr. Despreaux, en reconnoiffant que les talens de ce Dieu des ,,Phébus mefme auroit peur s'il en- Poëtes font fupérieurs aux fiens,

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Qu'après avoir joué tant d'Auteurs
différens,

troit fur les rangs.

Des Marets ne paroît pas avoir af

donne une grande marque de modeftie! DU MONTEIL.

VERS 21.

L'effroi de la

fecté de donner un fens faux à ces deux Pucelle.) Poëme de Chapelain, dont

Et coupé, pour rimer, les Cedres du Liban? De quel front aujourd'hui vient-il fur nos brisées, 30 Se revêtir encor de nos phrases ufées?

Que répondrois-je alors? Honteux & rebuté J'aurois beau me complaire en ma propre beauté, Et de mes triftes vers admirateur unique,

Plaindre, en les relifant, l'ignorance publique.

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35 Quelque orgueil en fecret dont s'aveugle un Auteur, Il eft fâcheux, GRAND ROI, de fe voir fans Lecteur, Et d'aller du récit de Ta gloire immortelle,

Habiller chez Francœur le fucre & la canelle.

il eft parlé en divers endroits des Satires.

VERS 28. Et coupé, pour rimer, les Cedres du Liban.) Dans ce vers & les deux précédens, l'Auteur fe moqué des mauvais Imitateurs de MALHERBE; il fait allufion à cette Stance d'une Ode de ce fameux Poëte: 0 combien lors aura de veuves La Gent qui porte le Turban! Que de fang rougira les fleuves Qui lavent les pieds du Liban!

Que le Bofphore en fes deux rives

Aura de Sultanes captives! Et que de mères à Memphis, En pleurant, diront la vaillance De fon courage & de sa lance, Aux funerailles de leurs fils! THEOPHILE s'eft auffi moqué de certains Poëtes de fon temps, qui croyoient avoir bien imité Malherbe, quand ils avoient employé ces fortes de rimes extraordinaires:

Tome I.

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VERS 38. Habiller chez Francœur le fucre & la canelle.] CLAUDE JULIENNE, dit FRANCŒUR, fameux Épicier, qui demeuroit dans la Rue St. Honoré, devant la Croix du Tiroir, à l'enfeigne du Franc-cœur. L'Auteur a préféré le nom de cet Epicier, parce qu'il fourniffoit la Maifon du Roi, & qu'il étoit connu de Sa Majefté. On dit que le furnom de Francœur lui eft venu de ce que l'un de fes Ancêtres étant Fruitier d'Henri III. ce Roi fut fi content de l'affection & de la franchife avec laquelle cet Officier le fervoit, qu'un jour il dit obligeamment, que Julienne étoit un franc caur. Ce furnom demeura à Julienne, & fes Descendans en ont

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Ainfi, craignant toûjours un funefte accident, 40 J'imite de Conrart le filence prudent:

Je laiffe aux plus hardis l'honneur de la carriere,

Et regarde le champ, affis fur la barriere.

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Malgré moi toutefois, un mouvement fecret

Vient flatter mon efprit qui fe taît à regret. 45 Quoi, dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile, Des vertus de mon Roi fpectateur inutile,

Faudra-t-il fur fa gloire attendre à m'exercer,
Que ma tremblante voix commence à fe glacer?
Dans un fi beau projet, fi ma Mufe rebelle

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so N'ofe le fuivre aux champs de Lille & de Bruxelle, Sans le chercher aux bords de l'Efcaut & du Rhin, La Paix l'offre à mes yeux plus calme & plus ferein. Oui, GRAND RO1, laiffons-là les fieges, les batailles.

hérité. Mr. Despreaux ignoroit cette particularité touchant le nom de Francœur. C'eft à propos de ce fait & de quelques autres femblables, qu'il me dit un jour: A l'air dont vous y allez, vous faurez mieux votre Boileau que moi-même.

VERS 40. J'imite de Conrart le filence prudent.] VALENTIN CONRART, Académicien célèbre, qui n'a jamais rien écrit. Il étoit né à Paris en 1603. & il fut nommé Valentin, parce que fon Pere & fes Ayeuls étoient de Valenciennes en Flandres: Ses Parens, en lui donnant ce nom, voulurent conferver le fouvenir du lieu de leur origine. Conrart étoit Secretaire du Roi; & c'eft chez lui que commencerent les Affemblées qui donnerent naiffance à l'Académie Françoife. Quoi

qu'il ne fût pas la Langue Latine, il ne laifloit pas d'avoir acquis toutes les connoiffances qu'un Homme de Lettres peut avoir. Il étoit même confulté fur les Ouvrages d'efprit, comme un Homme qui s'étoit acquis le droit de juger & de décider, Il mourut le 21. de Septembre 1675. & ce ne fut qu'après fa mort que notre Auteur le nomma dans ce vers; car dans toutes les éditions précédentes il avoit mis: J'obferve Jur Ton nom un filence prudent. Ce dernier mot eft une louange équiyoque & fait allufion à cette Epigramme de LINIERE:

Conrart, comment as-tu pu faire
Pour acquérir tant de renom?
Toi qui n'as, pauvre Secretaire
Jamais imprimé que ton nom.

* Il étoit auffi Secretaire de l'Académie Françoise.

Qu'un autre aille en rimant renverfer des murailles; 55 Et fouvent fur Tes pas marchant fans Ton aveu,

S'aille couvrir de fang, de pouffiere & de feu.
A quoi bon d'une Mufe au carnage animée,
Échauffer Ta valeur déja trop allumée ?

Jouiffons à loifir du fruit de Tes bienfaits,

60 Et ne nous laffons point des douceurs de la Paix.
Pourquoi ces Éléphans, ces armes, ce bagage,
Et ces vaiffeaux tout prêts à quitter le rivage?
Difoit au Roi Pyrrhus un fage Confident,

Confeiller très-fenfé d'un Roi très-imprudent.

65 Je vais, lui dit ce Prince, à Rome où l'on m'appelle.
Quoi faire? L'affiéger. L'entreprise eft fort belle,
Et digne feulement d'Alexandre ou de vous:
Mais, Rome prise enfin, Seigneur, où courons-nous?

Après fa mort on'a publié un Recueil de fes Lettres, & il avoit fait des Satires qui n'ont pas vù le jour.

VERS SÓ. De Lille & de Bruxelle.) La campagne de Flandres, "faite par le Roi, en l'année 1667.

VERS 61. Pourquoi ces Eléphans, &c.) Ce Dialogue entre Pyrrhus & Cynéas, eft tiré de PLUTARQUE, dans la Vie de Pyrrhus, & il a été imité par RABELAIS, L. I. ch. 33,

VERS 64. Confeiller très-fenfé &c.] Pyrrhus convenoit, qu'il avoit conquis moins de villes par fes armès, que par l'éloquence de Cynéas.

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VERS 67% Et digne feulement d'Alexandre ou de vous.] Le Poëte compare Pyrrhus à Alexandre, parce que Plutarque rapporte, que ceux qui voyoient l'ardeur de Pyrthus dans les combats, difoient, qu'il faifoit revivre Alexandre; & qu'au lieu que les autres Rois n'imi toient ce Conquérant que par les habits de pourpre, par les gardes, par le penchement du cou, & par un haut ton de voix; Pyrrhus le repréfentoit par fa valeur & par fes belles actions. Vie de Pyrrhus.

CHANG. Vers 68. Mais, Rome prife enfin, Seigneur, où courons nous? Dans les premieres édi tions, il y avoit :

Mais quand nous l'aurons prife, he bien que ferons-nous?

Du refte des Latins la conquête eft facile.

70 Sans doute on les peut vaincre: Eft-ce tout? La Sicile De là nous tend les bras, & bientôt fans effort Syracuse reçoit nos vaiffeaux dans fon port.

75

Bornez-vous là vos pas? Dès que nous l'aurons prise,

Il ne faut qu'un bon vent, & Carthage eft conquife.

Les chemins font ouverts: qui peut nous arrêter?

Je vous entends, Seigneur, nous allons tout domter. Nous allons traverser les fables de Libye,

Affervir en paffant l'Egypte, l'Arabie,

Courir de là le Gange en de nouveaux pays,

80 Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs :
Et ranger fous nos Loix tout ce váfte Hémisphere.
Mais de retour enfin, que prétendez-vous faire ?
Alors, cher Cyneas, victorieux, contens,

Nous pourrons rire à l'aife, & prendre du bon temps. 85 Hé, Seigneur, dès ce jour, fans fortir de l'Epire,

90

Du matin jufqu'au foir qui vous défend de rire?

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Le confeil étoit fage, & facile à goûter.

Pyrrhus vivoit heureux, s'il eut pû l'écouter:
Mais à l'Ambition d'oppofer la Prudence,
C'eft aux Prélats de Cour prêcher la réfidence.

CHANG. Vers 70. Sans doute on les peut vaincre:] Il y avoit ici: Fort bien, ils font à nous. Dans la feconde édition il mit: Sans doute ils font à vous. Et enfin il le changea comme il eft ici.

la premiere édition: Nous y voi
là, fuivons. Dans la feconde: Vous
arrêtez-vous là? & dans celle
de 1674. il mit:
En demeurez-
vous là ?

CHANG. Vers S4. Nous

pourrons

CHANG. Vers 73. Bornez-vous rire à l'aife.] Premiere édition: Nous là vos pas?] Il avoit mis dans pourrons chanter, rire,

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