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Le Public malin jette un œil inévitable;

30 Et bientôt la Cenfure, au regard formidable,

Sait, le crayon en main, marquer nos endroits faux, Et nous développer avec tous nos défauts.

Du Menfonge toûjours le Vrai demeure maître.

Pour paroître honnête Homme, en un mot, il faut l'être: 35 Et jamais, quoi qu'il faffe, un Mortel ici-bas

Ne peut aux yeux du Monde être ce qu'il n'eft pas.
En vain ce Mifanthrope, aux yeux triftes & fombres,
Veut par un air riant en éclaircir les ombres:

Le Ris fur fon vifage eft en mauvaise humeur;
40 L'agrément fuit fes traits, fes careffes font peur ;
Ses mots les plus flatteurs paroiffent des rudeffes,
Et la Vanité brille en toutes fes baffeffes.
Le Naturel toûjours fort, & fait fe montrer.
Vainement on l'arrête, on le force à rentrer,

45

Il rompt tout, perce tout, & trouve enfin paffage.
Mais loin de mon projet je fens que je m'engage.
Revenons de ce pas à mon texte égaré.
L'Honneur par-tout, difois-je, eft du Monde admiré.
Mais l'Honneur, en effet, qu'il faut que l'on admire,

NE le Cynique portoit une lan- IMIT. Vers 43. Le Naturel terne en plein jour, & difoit, qu'il toûjours fort, &c.) Horace, L. L Ep. X. v. 24.

cherchoit un Homme.

CHANG. Vers 30: La Cenfure, au regard formidable.) Premiere maniere: La Cenfure, Epagneule admirable. Seconde maniere: Au regard admirable.

VERS 37. En vain ce Mifanthrope, &c.) L'Auteur, en récitant, difoit toûjours: En vain ce faux Catons

Naturam expellas furca; tamen us“

que recurret,

Et mala perrumpet furtim faftidia

vidrix.

50 Quel eft-il, VALINCOUR? pourras-tu me le dire?

L'Ambitieux le met fouvent à tout brûler;
L'Avare à voir chez lui le Pactole rouler;
Un faux Brave à vanter fa proueffe frivole;
Un vrai Fourbe à jamais ne garder fa parole;
$5 Ce Poëte à noircir d'infipides papiers;

Ce Marquis à favoir frauder fes créanciers;
Un Libertin à rompre & Jefines & Carême;
Un Fou perdu d'honneur à braver l'Honneur inême.
L'un d'Eux a-t-il raifon ? Qui pourroit le penfer?
60 Qu'est-ce, donc que l'Honneur que tout doit embraffer?
Eft-ce de voir, dis-moi, vanter notre éloquence,
D'exceller en courage, en adreffe, en prudence,
De voir à notre afpect tout trembler fous les Cieux;
De pofféder enfin mille dons précieux ?

65 Mais avec tous ces dons de l'efprit & de l'ame, Un Roi même fouvent peut n'être qu'un infame, Qu'un Herode, un Tibere effroyable à nommer. Où donc eft cet Honneur, qui feul doit nous charmer? Quoi qu'en fes beaux discours Saint-Evremond nous prône, 70 Aujourd'hui j'en croirai Séneque avant Petrône.

Le célèbre La Fontaine a paraphrafé ces vers dans la Fable 18. Liv. 2. VERS 52. L'Avare à voir chez lui le Patole rouler.) Le Patole eft une Riviere fameufe qui roule de l'or parmi fon gravier. Elle eft dans l'Afie mineure.

CHANG. Vers 55. Ce Poëte à noircir d'infipides papiers.] Notre Auteur difoit quelquefois en récitant: Liniere à barbouiller d'infipides papîèrs.

VERS 70. Aujourd'hui j'en croi rai Séneque avant Petróne.) L'Auteur oppofe la Morale auftère de SÉN EQUE à la Morále licentieufe de PETRONE, pour condamner un fentiment déraisonnable de ST. EVREMOND, dans fon Jugement fur Séneque, Plutarque & Petrône, où il débute ainfi: Je commencerai, dit-il, par Séneque, & vous dirai avec la derniere impudence, que j'efti

Dans le Monde il n'eft rien de beau que l'Équité. Sans elle la Valeur, la Force, la Bonté,

Et toutes les Vertus, dont s'éblouit la Terre,

A

Ne font que faux brillans, & que morceaux de verre. 75 Un injufte Guerrier, terreur de l'Univers,

Qui fans fujet courant chez cent Peuples divers,

a

S'en

me beaucoup plus fa Perfonne que fes la raifon. La voici. Dans la difpuOuvrages. Jeftime le Précepteur de te fur la préférence des Anciens Néron, l'Amant d'Agrippine, un Am- & des Modernes, Mr. de St. Evrebitieux qui prétendoit à l'Empire: du mond prit le parti des Modernes; Philofophe & de l'Écrivain, je n'en & Mr. Despreaux, qui s'étoit dé fais pas grand cas. Au contraire, claré le défenfeur des Anciens, ne les louanges que St. Evremond put fouffrir cette contradiction, & donne aux fentimens délicats, au lança ce trait fatirique contre lui. luxe poli, & aux voluptes étudiées Voyez la Vie de St. Evremond, de de Petrone, qu'il appelle un des l'édition d'Amfterdam 1726. pag.261. plus honnêtes hommes du monde, font bien juger que St. Evremond a regardé ce fameux Epicurien comme fon Heros en fait de Morale. Voyez les Réf. fur la doctr. d'Epicure. Notre Auteur regardoit Mr. de St. Evremond comme un homme, qui avoit toûjours fait profes fion d'une Philofophie profane & voluptueufe, dont les maximes ne feroient autorisées qu'à peine dans la licence du Paganiíme. Sa Morale. étoit une Morale de Cour, d'autant plus dangereufe qu'il avoit l'art de la faire påffer pour une ingénieufe délicateffe.

§. Dans l'édition des Euvres de Mr. Despreaux, imprimée à Paris en 1713, on trouve cette Note, que le Commentateur a fupprimée: St. Evremond a fait une Differtation, dans laquelle il donne la préférence à Petrone fur Séneque. Mais la préférence que Mr. de St. Evremond donne à Petrône fur Séneque, ne regarde pas le vrai & le faux Honneur, qui eft le fujet de cette Satire; ainfi Mr. Despreaux eft forti de fon fujet, pour faire entrer ici Mr. de St. Evremond. Son Commentateur ne l'a pas fenti, & n'en a pas fû

Je ne ferai que deux ou trois Remasques fur la longue Note du Commentateur. 1. Il dit, que Mr. Despreaux oppofe la Morale de Séneque à celle de Petrône pour condamner un sentiment déraisonnable de Mr. de St. Evremond, dans fon Jugement fur Séneque, Plutarque & Petrône: mais au lieu de nous apprendre ce que c'est que ce fentiment déraisonnable, il fe contente de rapporter le début de cet Écrit de Mr. de St. Evremond, encore l'a-t-il tronqué.

2. Lorfque Mr. de St. Evremond appelle Petrône un des plus honnêtes hommes du monde, ce n'eft pas par rapport à la Morale, mais par rapport au Caractère d'un Galant-homme, qui joint à un grand amour pour les Plaisirs les qualités de l'efprit & du coeur qui rendent eftimable dans la Societé; & il fe fonde fur l'éloge qu'en fait Tacite. Pour juger du mérite de Petróne, ditil, je ne veux que voir ce qu'en dit Tacite; & fans mentir il faut bien que c'ait été un des plus honnêteshommes du monde, puisqu'il a obligé un Hiftorien fi févere de renoncer à fon naturel, & de s'étendre avec plaifir fur les louanges d'un voluptueux.

S'en va tout ravager jufqu'aux rives du Gange,
N'eft qu'un plus grand Voleur que Du Terte & Saint Ange.
Du premier des Céfars on vante les exploits;

so Mais dans quel Tribunal, jugé fuivant les Loix,
Eut-il pu difculper fon injufte manie?

Qu'on livre fon pareil en France à La Reynie,

3. Le Commentateur ajoute,que Mr. Séneque appelle ces fortes de Conde St. Evremond a regardé Petrône quérans injuftes, magnos & furiofos comme fon Héros en fait de Morale: latrones; & St. Auguftin dit encore & pour le prouver, il renvoye à avec plus d'énergie: quid enim funt SES Réflexions fur la Doctrine d'Epi- regna, remota juftitia, nifi magna cure: mais il devoit favoir, que cet latrocinia? Ouvrage n'eft pas de Mr. de St. Evremond. Mr. Sarrafin en eft l'Auteur. On le trouvera à la tête de fes Nouvelles Euvres, imprimées à Paris en 1674. DU MONTEIL.

IMIT. Vers 74. Ne font que faux brillans, & que morceaux de vare.) Fortuna vitrea eft, tum cum splendet, frangitur. Publ. Syrus.

VERS 75. Un injufte Guerrier, &c.) Alexandre le Grand, après avoir foumis une partie de l'Afie, voulut affujettir le reste de l'Orient, & porter fes conquêtes au-delà du Gange; mais fes Soldats refuferent de le fuivre. Plutarque rapporte ainfi le fait, fuivant la traduction d'Amiot: Ils desdirent fort & ferme Alexandre, quand il les cuida à toute force faire encore paffer la Riviere de Ganges, entendant dire aux gens du pays qu'elle avoit deux lieues de large, & cent braffes de profond, & que la rive de delà étoit toute couverte d'ar mes, de chevaux, & d'élephans, &c.

VERS 78. N'eft qu'un plus grand Voleur &c.) Ce vers & les trois précédens contiennent le fens de la réponse, que fit un Pirate au même Alexandre, qui lui reprochoit fa condition: Je fuis un Pirate, dit-il, parce que je n'ai qu'un vaiffeau; fi j'avois une armée navale, je ferois un Conquérant. Apophth. des Anciens.

Tome I.

Ibid.

Que Du Terte & Saint Ange.) Deux fameux Voleurs de grand-chemin. DUTERTE étoit un Joueur de profeffion, qui étoit reçu dans la plupart des maisons diftinguées de Paris. Il fit un vol au milieu du Cours-la-Reine : on le prit, & il fut condamné au dernier fupplice ordonné contre les Voleurs de grand-chemin. Ce qui rendit fon fupplice remarquable, c'eft que fon corps demeura expofe fur la roue pendant plus d'un mois à la porte du Cours. SAINT ANGE, autre Voleur, eut la même deftinée. Il étoit, dit-on, fils d'un Maître d'armes, qui avoit eu l'hon neur de montrer au Roi; & il avoit été Capitaine dans le Regiment de Languedoc des Troupes de Gafton de France, Duc d'Orléans. Notre Auteur avoit connu Saint Ange.

CHANG. Vers 82. Qu'on livre fon pareil, &c.) Dans l'édition pofthume de 1713. on lit: Qu'on trouve fon pareil.

Ibid. A La Reynie.) _GABRIEL NICOLAS DE LA REYNIE, Confeiller d'Etat ordinaire, & Lieutenant - Général de Police, étoit né à Limoges, en 1625. Il fur pourvu de la Charge de Maitre des Requêtes en 1661. Mais le Roi voulant établir un bon ordre dans la

N

Dans trois jours nous verrons le Phénix des Guerriers Laiffer fur l'échaffaut fa tête & fes lauriers.

$5 C'eft d'un Roi que l'on tient cette maxime augufte, Que jamais on n'eft grand qu'autant que l'on eft jufte. Raffemblez à la fois Mithridate & Sylla;

Joignez-y Tamerlan, Genferic, Attila;

Tous ces fiers Conquérans, Rois, Princes, Capitaines, 90 Sont moins grands à mes yeux que ce Bourgeois d'Athenes, Qui fût, pour tous exploits, doux, modéré, frugal, Toujours vers la Juftice aller d'un pas égal.

Oui, la Juftice en nous eft la Vertu qui brille. Il faut de fes couleurs qu'ici bas tout s'habille. 95 Dans un Mortel chéri, tout injufte qu'il eft,

Ville de Paris, fépara la Police dé la Charge de Lieutenant - Civil, & créa une Charge de Lieutenant de Police, dont Mr. de la Reynie fut pourvu le premier jour de l'année 1667. Il l'a exercée avec une fermeté & une vigilance, qu'on ne peut affez louer. En l'année 1680. Sa Majesté l'honora d'un Brevet de Confeiller d'État. Il mourut le 14. de Juin, 1709. âgé de 84. ans. Il avoit été un des Commiffaires de la Chambre ardente, établie à l'Arfenal pour la recherche des perfonnes accufées de Sortilege, où de Poison.

VERS 84. Sa tête & fes lauriers.) Jules Céfar étoit chauve, & il cachoit ce défaut autant qu'il pouvoir. C'est pourquoi, parmi les honneurs que le Sénat & le Peuple lui deférerent, il reçut & conferva plus volontiers le privilege de porter toujours une Couronne de lauriers. C'est à quoi ce vers fait allufion.

Le Roi de Perfe.

VERS S5. C'eft d'un Roi, &c.j AGÉSILAS, Roi de Sparte, felon Plutarque, traduit par Amiot, avoit tousjours accouftume de dire en fes privez devis, que Justice eftoit la premiere de toutes les Vertus; pour au tant, difoit-il, que la Proueffe ne vaut rien, fi elle n'eft conjointe avec la Justice, & que fi tous les hommes eftoient juftes, alors on n'auroit que faire de la Proueffe. Et à ceux qui difoient: le Grand Roi* le veut ainfi ; Et en quoi, difoit il, eft il plus grand que moi, s'il n'est plus jufte ? Le même Agéfilas étant preffe de tenir une promeffe injufte fi la chofe n'eft pas jufte, dit-il, je ne l'ai pas promife.

VERS 90. Ce Bourgeois d'Athenes. SOCRATE.

VERS 104. Tout n'eft pas Caumartin, Bignon, ni Dagueffeau.] L'Auteur loue ici l'équité de trois Perfonnes illuftres, dont les vertus méritent bien d'être données pour exemple.

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