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Mais fameux par fa probité,

Refte de l'Or du fiècle antique,

Sa Conduite dans le Palais
Par-tout pour exemple citée,
Mieux que leur plume fi vantée
Fit la Satire des Rollets.

Cette heureuse difpofition d'efprit n'étoit pas moins naturelle à la Mere de Mr. Despreaux; comme il nous l'apprend dans l'Epitaphe fuivante, où cette Dame est introduite parlant ainfi:

Epoufe d'un Mari doux, fimple, officieux,
Par la même douceur je fus plaire à fes yeux:
Nous ne fumes jamais ni railler, ni médire.
Paffant, ne t'enquiers point, fi de cette bonté
Tous mes enfans ont hérité.

Lis feulement ces Vers & garde-toi d'écrire.

Mr. Despreaux commença fes Études au Collège de Beauvais; & lorsqu'il fut en troifième, Mr. Sévin, habile homme, qui régentoit cette Claffe depuis près de cinquante ans, fous qui avoient étudié les le Maître, les Patru, les Gautier, & dont il avoit prédit la gloire avec connoiffance de caufe, reconnut le premier dans fon Disciple le talent qu'il avoit pour les Vers; & affûra publiquement, qu'il acquerroit par là une grande Réputation; perfuadé que quand on est né Poëte, il faut abfolument l'être. La Lecture continuelle des Poëtes & des Romans

Ecrits, ne doit pas être pris à la rigueur. Je m'y conformerai néanmoins quelquefois dans ces Mé

moires.

† LE NOUVEAU MERCURE, imprimé à Trevoux, Mois d'Avril

1711. p 180. dans l'Extrait de l'ÉLOGE de Mr. Despreaux par Mr. de Boze, lû dans l'Académie des Infcriptions & des Medailles, le 14. d'Avril, 1711.

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décela le goût de Mr. Despreaux pour la Poëfie; mais cette
Lecture que lui-même appelloit une fureur, bien loin de lui
gáter l'efprit par un amas confus d'idées bizarres, 'ne fer-
vit qu'à lui infpirer une Critique plus exacte, & des traits
plus vifs contre le Ridicule des Auteurs*. Et cela fait
voir, Monfieur, qu'un Efprit naturellement droit & fo-
lide fe perfectionne par les mêmes chofes, qui gâtent
ordinairement les petits génies. Mais les Auteurs que
Mr. Despreaux lifoit avec le plus de goût & de plaifir,
c'étoit ceux où il trouvoit une Satire fine & judicieuse;
comme il nous l'apprend lui-même dans ces quatre Vers;
où, après avoir parlé de l'utilité de la Satire, il ajoute :

C'est elle qui m'ouvrant le chemin qu'il faut fuivre,
M'infpira dès quinze ans la haine d'un fot Livre,
Et fur ce Mont fameux, où j'ofai la chercher,
Fortifia mes pas, & m'apprit à marcher †.

Mr.Despreaux,ne fut pas long-tems fans fatisfaire la paffion qu'il avoit pour la Poefie. A peine avoit-il dixhuit ans qu'il compofa une ODE, fur le bruit qui courut dans ce tems-là que les Anglois alloient faire la guerré à la France. Cette petite Pièce ne manque pas de feu ni d'élevation; la diction en eft pure; & la Verfification douce & harmonieufe. Mr. Despreaux l'a inferée dans la derniere Edition de fes Ouvrages, après l'avoir corrigée en quelques endroits ††:

Il eut le malheur de perdre fa Mere lorsqu'il étoit encore au berceau, & de voir mourir fon Pere feize ans après. Mais une fi grande perte ne fut pas capable de rien diminuer de l'ardeur qu'il avoit pour l'étude. Les grands génies n'ont befoin que d'eux-mêmes pour se

LE NOUVEAU MERCURE, ubi fupr. pag. 180. 181. + Satire IX.

++ On trouvera cette Ode, telle que Mr. Despreaux l'avoit d'abord faite, dans le RECUEIL de Poëfies

pouffer: la feule force de leur Efprit les conduit à ce qu'il y a de plus fin & de plus fublime dans le genre d'étude qui leur eft propre. Vous verrez bien-tôt, Monfieur, que cela eft arrivé à Mr. Despreaux.

Après qu'il eut achevé fes Humanités, & fa Philofophie, fes Parens l'engagèrent à étudier le Droit; & il fit de fi grands progrès qu'il fut reçu Avocat dans un âge très-peu avancé. Mais quoi qu'il eut toutes les difpofitions défirables pour le Barreau, l'inclination, c'est-à-dire, le premier de tous les talens, lui manquoit *. Les obli quités de la Chicane ne convenoient point à fa candeur naturelle: il ne put s'accommoder d'une Science qui roule fur des Equivoques perpétuelles, & où l'on fe trouve fouvent obligé de revêtir le Menfonge des Caraêtères de la Verité. Il refolut donc de prendre un autre parti; & regardant la Sorbone comme l'Antipode du Palais, il fe détermina à y faire un Cours de Théologie. Mais il ne put foutenir long-tems les Leçons d'une Scholaftique épineufe. Il fut également furpris & choqué d'y voir les Points les plus importans du falut reduits à de creuses fpeculations, obfcurcis par un Langage barbare, & foumis à des conteftations éternelles. Enfin, il s'imagina que pour le fuivre plus adroitement la Chicane n'avoit fait que changer d'habit t; & il renonça à la Sorbone.

Il fe livra enfuite tout entier à fon génie; & s'abandonnant à la paffion qu'il avoit pour les Belles-Lettres, & fur tout pour la Pocfie, il alla, conduit par lui-même, prendre une des premières places fur le Parnaffe François. Mais vous me permettrez bien, Monfieur, de rapporter ici ce qu'il a dit fur ce fujet, dans quelques-unes de fes EPITRES. Vous y trouverez en même tems

diverfes, compilé par Meffieurs de PortRoyal, & publié par Mr. de la Fontaine, en 1671. Tom. III. pag. 28. 29.

* Le Nouveau Mercure. ibid.
LE Nouveau Mercure, ubi fupra

P. 18.2.

de nouvelles particularités fur fa famille, & la confirmation de la plupart de celles que j'ai rapportées :

Mon Pere foixante ans au travail appliqué
En mourant me laiffa pour rouler &
pour vivre
Un revenu leger & fon exemple à fuivre.
Mais bien-tôt amoureux d'un plus noble métier,
Fils, Frere, Oncle, Coufin, Beaufrere de Greffier,
Pouvant charger mon bras d'une utile liaffe,
J'allai loin du Palais errer fur le Parnaffe.
La famille en pálit, & vit en frémint
Dans la poudre du Greffe un Poëte naissant.
On vit avec horreur une Mufe effrénée
Dormir chez un Greffier la graffe matinée *.

Mr. Despreaux dit encore à peu près la même chofe dans l'EPITRE à fes Verst:

Que fi quelqu'un, mes Vers, alors vous importune,
Pour favoir mes parens, ma vie & ma fortune;
Contez-lui qu'allié d'affez hauts Magiftrats,
Fils d'un Pere Greffier, né d'Ayeux Avocats,
Dès le berceau perdant une fort jeune Mere,
Reduit feize ans après à pleurer mon vieux Pere,
J'allai d'un pas hardi, par moi-même guidé,
Et de mon feul Génie en marchant secondé,
Studieux Amateur & de Perfe & d'Horace,
Affez près de Regnier m'affeoir fur le Parnaffe.

Il y avoit alors en France un grand nombre de Poëtes, qui bien que très-médiocres ne laiffoient pas de faire

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du bruit; & il s'en trouvoit même quelques-uns de cet ordre, qu'on regardoit comme des modeles. Mr. Despreaux ne pût fouffrir, que le mauvais Goût triomphât, & qu'on fe laiffat duper par des Auteurs fans génie, & qui fembloient écrire en depit du Bon-Sens & de la Poëfie. Il crût devoir vanger l'un & l'autre : & il compofa là-deffus quelques SATIRES, qui lui acquirent une grande Réputation, & en même-tems lui attirerent la haine & le reffentiment d'une Legion de méchans Poëtes. L'attachement qu'il avoit pour la Vertu, l'engagea auffi à ne pas épargner le Vice dans fes SATIRES, & le porta à cenfurer vivement les mœurs corrompues de fon fiècle. Il fe fit par là de nouveaux Ennemis, quoique moins redoutables que les premiers. Mais tout cela n'empêcha pas que le Public, charmé de la beauté de fes SATIRES, ne fe déclarât pour lui. On ne pouvoit fe laffer de les lui faire reciter; & à force d'en repeter les plus beaux endroits, on en fit des espèces de Proverbes. Mr. Despreaux nous a appris lui-même l'heureux fuccès qu'eurent fes premiers Ouvrages. C'eft dans l'EPITRE à fes Vers, où il s'adreffe ainfi à fes dernieres Productions:

Vains & foibles Enfans dans ma Vieilleffe nés,
Vous croyez fur les pas de vos heureux Ainés,
Voir bien-tôt vos bons Mots passant du Peuple aux Princes,
Charmer également la Ville & les Provinces,

Et

par

le prompt effet d'un fel réjouissant

Devenir quelquefois Proverbes en naissant.

Mais perdez cette erreur dont l'appas vous amorce.
Le tems n'eft plus, mes Vers, où ma Mufe en fa force
Du Parnaffe François formant les Nourriçons,
De fi riches couleurs habilloit fes leçons :

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