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plus fortement à toutes les Vertus oppofées. C'eft par-là principalement qu'il a mérité l'eftime de tant de perfonnes, non moins diftinguées par leur rang que par leur mérite. Son équité, fa droiture & fa bonne foi, étoient fi bien établies, qu'il n'a pas fait difficulté de les étaler lui-même dans l'Épître à fes Vers, & de s'en faire un fujet de gloire:

Que fi mêmes un jour le Lecteur gracieux
Amorcé par mon nom fur vous tourne les yeux :
Pour m'en dédommager, mes Vers, avec ufure,
De votre Auteur alors faites lui la peinture:
Et fur tout prenez foin d'effacer bien les traits
Dont tant de peintres faux ont flétri mes portraits.
Depofez hardiment: qu'au fond cet homme horrible,
Ce Cenfeur qu'il ont peint fi noir, & fi terrible,
Fut un efprit doux, fimple, ami de l'équité,
Qui cherchant dans fes Vers la feule Vérité,
Fit fans être malin fes plus grandes malices,
Et qu'enfin fa Candeur feule a fait tous fes Vices.
Dites; que harcelé par les plus vils Rimeurs
Jamais, bleffant leurs Vers, il n'effleura leurs Mœurs:
Libre dans fes difcours, mais pourtant toûjours fage,
Allez foible de Corps, affez doux de vifage,
Ni petit, ni trop grand, très-peu voluptueux,
Ami de la Vertu plûtôt que Vertueux.

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Il eft vrai auffi, que c'eft fa probité & fon innocence qui lui ont, pour ainfi dire, confére le droit de compofer des Satires. Un Auteur qui repren

droit dans les autres des défauts dont il feroit luimême coupable, s'expoferoit à la rifée publique, & ne feroit écouté de perfonne. Il faut qu'un Poëte Satirique joigne à un grand fonds d'équité & de droiture un parfait éloignement des Vices qu'il attaque dans fes Écrits. C'eft par-là qu'il gagne la bienveillance des Honnêtes-gens; & qu'il fe met à couvert de la malice de fes Ennemis

On fe réprésente ordinairement un Auteur Satirique comme un homme né malin, envieux, chagrin & mifanthrope: mais il n'y a rien de plus mal fondé que ce Préjugé. Ce n'eft ni la malignité, ni l'envie, ni une humeur bizarre & farouche qui le portent à écrire: mais la feule paffion de rendre les hommes meilleurs. C'eft la confidération de leurs défordres qui le met en colère: fon aigreur ne vient que du déplaifir qu'il a de voir triompher le Vice, l'Erreur, ou le Ridicule. Comme il a des fentimens naturels de bonté, de juftice & d'humanité, il s'intéreffe dans tout ce qui regarde les autres hommes i compatit à leurs infortunes, & l'injure qu'ils reçoivent en leur perfonne ou en leur réputation, le touche auffi vivement, que s'il fouffroit ces indignités lui-même. Un de nos plus polis Écrivains qui s'eft fait admirer de toute la Grande - Bretagne par une nouvelle, mais inimitable manière de corriger les mœurs de ce Siècle: qui a l'Art de dire noblement les chofes les plus communes, de trouver de l'abondance dans les fujets les plus ftériles, & de

*Si quis Opprobriis dignum latraverit, inger ipfe;

Solventur rifu tabula, tu miffus abibis.

Horat. SAT. Lib. II. Sat 1.

faire un fi heureux mêlange de l'utile & de l'agréable que la Cenfure devient aimable entre fes mains & la réprimande gracieufe; Mr. Steele, en un mot, a parfaitement bien développé cette matière dans fon incomparable TATLER:

,,La bonté du cœur, dit-il eft une qualité ef,,fentielle dans un Auteur Satirique, & tous les ,,beaux fentimens qu'il étale doivent en être des ,,productions. La bonté du cœur fait regarder avec ,,dédain toute forte de déreglement, de baffeffe, & ,,de folie: & porte à lancer des traits piquans con,,tre les Erreurs des Hommes, fans qu'il y entre au,,cune aigreur contre leurs perfonnes. Cette qualité ,,tient l'efprit dans une affiette égale & tranquille; ,,& fait qu'en reprenant les fautes les plus groffie,,res, on ne s'éloigne jamais de la douceur & de „l'équité. Lorsque Virgile a dit que qui ne méprifoit point Bavius, pouvoit eftimer Mévius, il n'étoit ,,poffédé d'aucune humeur chagrine ou mifanthrope; ,,& les abfurdités de ces deux Poëtes ne l'échauf,,foient pas jusqu'à lui fuggérer des injures, & les ,,faire appeller des fots ou des ignorans: il fe con,,tente de les railler d'une manière délicate, & ,,exempte de tout emportement

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Les dés,,ordres qui font le fujet ordinaire de la Satire, exci,,tent une indignation extrême dans les efprits les ,,plus doux & les plus indulgens; & c'eft ce qui les ,,rend plus propres à écrire contre les défauts des ,,hommes. Ils peuvent regarder leurs défordres, ,,lors même qu'ils ne caufent du préjudice qu'à des ,,personnes inconnues, avec la même févérité que ,,chacun envifage fes propres maux. Un homme ,,qui a le cœur bon, ne fauroit voir un infolent fe

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* The Lucubrations of Ifaac Bickerstaff, Esq.; Vol. IV. Tatler, No.

,,jouer de la modeftie d'un Honnête-homme; ou le ,,fupplanter dans la pourfuite de quelque avantage : ,,mais il brule d'ardeur de fécourir les opprimés, de ,,faire valoir le mérite des uns, & de réprimer l'in,,folence des autres.

Mr. Steele ajoute, qu'Horace & Juvénal fe font particulierement diftingués par ces qualités: & que dans tous leurs Ecrits il ne fe fouvient pas d'avoir trouvé aucune expreffion, qui fentit un mauvais cœur, ni aucun jugement févere, qui ne parut marquer un bon naaurel: quoiqu'ils attaquent le Vice avec la même force, mais non pas du même style, fe conformant T'un & l'autre au Génie particulier, aux Manières & au Ridicule des divers tems où ils ont vêcu.

Tel a auffi été Mr. Despreaux. Simple & naturel dans fes manières, plein de fentimens d'humanité, de douceur, & de droiture: il a fortement cenfuré le Vice & attaqué vivement le mauvais goût, fans y être porté par aucun mouvement d'envie, ou par aucun efprit de médifance. Mais tout ce qui choquoit le Bon-Sens ou la Vérité, excitoit en lui un chagrin dont il n'étoit pas le Maître, & auquel peut-être fommes-nous redevables de fes plus ingénieufes compofitions: mais en attaquant ce défaut des Ecrivains, il a toûjours épargné leurs perfonnes *

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J'ai déja remarqué que d'habiles gens fouhaiteroient qu'il eut épargné jufqu'aux Noms de ces Auteurs-là; & je puis ajouter ici, que c'eft auffi le fentiment de Mr. Houdart de la Motte; comme on le peut voir das l'ODE qu'il vient de publier †, adref

* RÉPONSE de Mr. de Valincour au Difcours, que fit Mr. Abbé d'Efirées à l'Académie Fransoife, lorfqu'il y fut reçu le 25. de

Juin, 1711. à la place de Mr. Despreaux.

+ Dans la troisième Édition de fes ODES.

fée à l'Ombre de Mr. Despreaux; où, avant que de faire fon éloge, il lui parle de cette manière:

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Ces Noms confacrés aux outrages
Par un zele outré du bon goût:
Oui, j'ofe en attefter tes Manes
Toi-même aujourd'hui tu condamnes
Ce que notre malice abfout.
Heureux, que de fages fcrupules
Retranchant ces traits féducteurs,

Ton Vers n'eut rendu ridicules

Que les fautes, nón les Auteurs;
Qu'un Nom quelquefois refpectable,
D'un Hemiftiche irrévocable
N'eut pas fait l'injufte ornement.
Rival de Lucile & d'Horace,

Craignois-tu de manquer de grace
Sans ce dangereux agrément?

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