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«Non! c'est, au contraire, en s'adressant à la liberté, en faisant appel à la prévoyance individuelle, que l'on arrivera à un résultat. Des associations libres, volontaires, voilà le seul moyen d'améliorer le sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, de résoudre ce vaste problème de rentes viagères pour les travailleurs âgés de l'industrie et de l'agriculture. »

Et il ajoutait :

« Il faut aussi saluer une nouvelle puissance, à la fois économique et morale, qui apparaît à l'horizon, et qui jusqu'à ces dernières années, n'était, en quelque sorte, qu'une force latente parler des assuranceś. »

Les assurances!

je veux

Les assurances, soit! et les nouveaux amis des ouvriers ont pris la balle au bond. Les assurances sont devenues à la mode. Le grand socialiste impérial, M. de Bismark, a attaché le grelot. Il paraît que les assurances pourvoient à tout, même aux embarras des gouvernements; on en mettra partout.

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et

Il est bien vrai que M. Marcel Barthe, parlant des assurances, dit : « Ce sont là les meilleurs moyens d'amélioration; ils n'imposent aucun sacrifice à la liberté ni à la dignité de l'individu, du citoyen; voilà les moyens qui le moralisent et l'élèvent en même temps », peut-être a-t-il entendu que, pour conserver sa liberté, sa dignité, pour s'élever, l'individu devait y mettre un peu du sien. Mais, au fond, de quoi s'agit-il et que cherche-t-on? Il s'agit avant tout du bien-être des ouvriers. Assurons-le d'abord, et nous aviserons plus tard au surplus.

Une institution comme l'assurance, à laquelle on a déjà demandé divers dégrèvements, doit être exclusivement tutélaire et bienfaisante; elle ne doit pas être une charge!

Voici, en effet, ce que dit M. Martin Nadaud dans le rapport qu'il a déposé dernièrement (12 novembre 1882) sur diverses propositions de loi relatives aux accidents d'ouvriers, notamment sur une proposition de M. Peulevey portant création d'une caisse d'assurances contre les accidents, laquelle a été écartée, et sur les deux propositions de M. Félix Faure, qui font l'objet d'un examen spécial dans le présent numéro. Pour expliquer le rejet de la proposition de M. Peulevey, le rapporteur rappelle que sa caisse d'assurances contre les accidents ne peut fonctionner au profit des ouvriers qu'à la condition pour chacun d'eux de faire entre les mains du percepteur un versement annuel de 2 francs; et il ajoute :

<< Il est tout au moins douteux que la majorité des ouvriers consentent à s'imposer sur leur salaire annuel ce prélèvement, quelque modique qu'il puisse paraître. L'expérience des Compagnies d'assurances et de la Caisse d'assurances en cas d'accidents, instituée sous la garantie de l'État par la loi du 11 juillet 1868, prouve combien les ouvriers sont peu disposés à faire par eux-mêmes un sacrifice, même léger, pour se prémunir contre les conséquences des accidents. »

Le fait est bien acquis la majorité des ouvriers n'est pas disposée à s'imposer un prélèvement de 2 francs (nous disons: deux francs) sur leurs salaires annuels pour payer une prime d'assurances. En conséquence, l'assurance sera pour eux gratuite, ou elle ne sera pas.

Elle sera gratuite pour eux, et par un procédé bien simple. On en fera peser la charge sur d'autres. Rien de plus simple, en effet, et l'on ne voit guère en quoi la liberté individuelle des ouvriers en serait atteinte.

Plusieurs moyens se présentent sans qu'on ait besoin de les aller chercher si loin. L'État d'abord, les communes ensuite ont des caisses qui alimenteront aisément l'assurance, et pourquoi les Compagnies d'assurances elles-mêmes ne se feraient-elles pas un honneur de contribuer à cette œuvre nationale?

Pour l'État et les communes, nous avons eu le projet d'un député, M. Talandier, projet qui contient, comme chacun le sait, la solution de la question sociale, et qui consiste à assurer à chaque enfant des deux sexes un capital d'établissement qu'il touchera à sa majorité. Puis nous avons eu un amendement présenté par deux simples particuliers, MM. Tourrasse et Piche, qui veulent assurer à tout citoyen une pension de retraite, qui sera créée, alimentée et servie par l'État.

Pour les Compagnies d'assurances, nous avons eu la proposition de MM. Lagrange, Ballue et Chavanne, dont nous avons déjà parlé ici. Une Compagnie d'assurances contre l'incendie s'engage, moyennant une somme qui est le prix du risque qu'elle prend à sa charge, à indemniser, en cas d'incendie, le propriétaire qui souscrit l'assurance et paye la prime, et, le cas échéant, elle verse aux mains de ce dernier une indemnité équivalente à ce qu'il a perdu. Ce contrat paraît complet et a passé longtemps pour complet. Il ne l'est plus. Nos trois honorables législateurs y ont vu une lacune, et veulent la combler. Comment? Voilà un contrat qui intervient entre une Compagnie et un simple propriétaire, au demeurant peu intéressant, qui prévoit l'incendie d'une maison et oblige uniquement l'assureur à payer la

valeur de la maison brûlée ! Et les employés ? Et les ouvriers? Et le chômage? Et les accidents? Non, désormais la Compagnie payera, outre la valeur de la maison au propriétaire, des appointements aux employés, des salaires aux ouvriers, le tout pendant un mois, et en cas d'accidents, soit une indemnité à la victime elle-même, soit une pension à la veuve et à ses enfants; de plus, elle aura à verser à la Caisse des Dépôts et Consignations sommes suffisantes pour garantir le service des indemnités et des pensions.

Vous demanderez peut-être : Mais qui indemnisera la Compagnie des pertes que ce nouveau système doit mettre à sa charge? Cette question ne manquera pas de faire sourire nos trois députés. On devine bien que les Compagnies, une fois averties, se rattraperont sur leurs assurés qui payeront, et faut-il tant le regretter? pour les ouvriers qui n'auront rien à payer du tout, ce qui est bien autrement considérable.

Cela nous amène au projet de M. Félix Faure qui simplifie les choses, tout au moins en ce qui concerne les accidents, et dont nous ne dirons que quelques mots. Il rend l'assurance à peu près inutile pour les ouvriers, et en laisse le soin et la charge aux patrons déclarés légalement responsables du dommage causé à tout ouvrier ou employé tué ou blessé dans le travail.

Nous en avons assez dit pour justifier le titre de cet article. L'assurance a ses privilégiés. On ne s'arrêtera pas là.

Un autre député, M. Blancsubé, a fait aussi sa proposition de loi, dont l'objet est de rendre les ouvriers gratuitement propriétaires du quart des actions de l'entreprise à laquelle ils sont attachés. Nous en verrons bien d'autres.

Mais nous ne voulons pas sortir de notre sujet. Nous finirons en renouvelant une remarque que nous avons déjà faite.

Ceux que nous appelons les amis officiels des ouvriers poursuivent sans contredit un but parfaitement louable; mais nous ne sommes convaincus ni qu'ils soient sur la trace des meilleures solutions, ni qu'ils portent dans leurs recherches tout le sérieux et toute l'étude nécessaires. Ils soulèvent de grands problèmes qui s'imposent aux longues méditations, puis tout à coup, sans crier gare, ils lancent en avant le premier expédient qui leur passe par la tête, et croient que pour lui donner une valeur quelconque, il suffit d'en faire une loi. En somme, quelque diverses que soient les propositions, l'expédient ne varie pas; il est toujours le même et consiste toujours à demander aux uns pour avantager les autres.

Et cependant, que pensent les ouvriers des efforts de leurs amis? Pour nous, qui suivons avec un intérêt passionné les manifestations qui se produisent dans les réunions publiques, dans les cercles ouvriers, nous n'avons pas entendu une seule voix revendiquer l'assurance à aucun titre. Y a-t-il donc dans la classe ouvrière un défaut d'aptitude et de compétence à comprendre ses véritables intérêts? Ou ses amis se font-ils illusion en croyant les mieux comprendre qu'elle, et, mieux qu'elle encore, savoir par quels moyens il les faut servir et protéger. Nous n'hésitons pas, pour notre part, à admettre l'illusion de nos chercheurs de réformes à la minute; nous hésitons d'autant moins que leurs projets improvisés, mal étudiés, mal équilibrés, aussi impraticables qu'inefficaces, nous mettent en défiance de l'intelligence qu'ils peuvent avoir des vrais besoins des travailleurs.

Cette intelligence ne fait pas, autant qu'on le croit, défaut aux travailleurs. Si l'assurance, pour ne parler que d'elle, est encore lettre close pour la majorité des ouvriers qui l'ignorent encore, on en trouve déjà beaucoup qui savent lui demander ce que leurs ressources leur permettent d'en attendre.

Il ne saurait y avoir une si grande différence entre nos ouvriers français et les ouvriers anglais qui se portent en foule aux bureaux de la Prudential. Seulement les uns ont à apprendre de l'assurance ce que les autres connaissent depuis longtemps.

Nos ouvriers sont intelligents; ils ont aussi le sentiment de leur dignité. Ils vont tous à l'instruction gratuite, parce qu'elle est gratuite pour tout le monde. Ils savent profiter également des services de toutes les institutions qu'ils contribuent à créer et à entretenir. Leur indifférence à l'égard de propositions de loi qui leur feraient, dans certains cás, un privilège de gratuité, ne vient-elle pas du besoin qu'ils éprouvent de conserver leur liberté? Est-on sûr qu'ils ne comprennent pas, clairement ou confusément, qu'en leur ôtant la charge et le stimulant de la prévoyance pour eux et leurs familles, et en les transportant à d'autres, on tend à amoindrir leur personnalité, et que cette sorte de tutelle, quelque libérale qu'elle fût, serait faite pour les maintenir dans un état de minorité qui n'est plus de notre siècle ni de notre civilisation?

A, VAUZANGES.

ASSURANCES SUR LA VIE

L'ATTRIBUTION DU BÉNÉFICE DE L'ASSURANCE
SUR LA VIE EN ALLEMAGNE

En Allemagne, non seulement les savants, mais encore les industriels, les corps d'arts et métiers, certains fonctionnaires, se réunissent périodiquement pour discuter en commun ou des questions scientifiques ou des intérêts économiques, sociaux et même purement administratifs. On peut dire, à ce sujet, que la tendance au congrès est une des caractéristiques de l'esprit allemand.

Les jurisconsultes sont naturellement au nombre des savants qui tiennent, dans ce pays, leurs assises annuelles, et ces assises sont très fréquentées. A l'ordre du jour de la dernière et relativement récente session de leur congrès (8 octobre 1882), figurait la question qui sert de titre à cette étude. La discussion a été très vive entre les partisans des créanciers et ceux des bénéficiaires du contrat d'assurance. Il ne nous est pas possible de reproduire, même par voie d'analyse, les opinions qui s'y sont produites; nous sommes obligé, faute d'espace, de limiter cette analyse aux deux discours qui ont décidé le vote de l'assemblée.

L'un des deux orateurs s'est exprimé en substance comme suit : Constatons avant tout les variations de la jurisprudence sur la matière. Elles s'expliquent, en Prusse, par le droit actuel. Le code civil (art. 74, § 1 à 5) est ainsi conçu: «Il peut certainement être stipulé, par un contrat, des avantages au profit d'un tiers; mais ces avantages ne lui sont assurés que lorsqu'il a concouru au contrat avec l'assentiment des parties principales. » Citons un exemple : « A assure sa vie à la Compagnie B en faveur de sa femme C. » La femme ne sait rien de ce contrat, nous le supposons du moins; elle n'y a pas été partie, et, par suite, en exécution du code prussien, il est au moins très douteux que les réclamations des créanciers de la succession de l'assuré, après son décès, doivent être repoussées. Et si, malgré cette disposition formelle de la loi, la Cour de cassation de l'Empire a résolu négativement, il y a peu de temps, la question de savoir si, dans une espèce analogue, la somme assurée devait être considérée comme faisant partie de la succession de l'assuré, c'est

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