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tout, plus un sixième, soit 140,000 fr. au lieu de 120,000 fr., montant des dommages.

La difficulté, à notre avis, est plus apparente que réelle.

Pour la résoudre, il suffit d'appliquer les deux règles suivantes : 1° L'incendie ne peut jamais être pour le propriétaire une cause de bénéfice.

2o Les conventions ne produisent que des effets relatifs; elles ne peuvent donc ni nuire ni profiter aux tiers.

Le second de ces principes est nécessairement subordonné au premier et recevra indirectement une certaine atteinte quand ils seront tous deux en opposition.

Appliquons ces règles à notre première espèce: nous dirons que chacun des locataires ne doit pas, en définitive, contribuer à la perte pour une somme supérieure à celle qu'il a à supporter d'après son contrat la convention passée avec ses co-locataires ne peut pas lui préjudicier.

Par conséquent, nous admettrons, dans ce premier cas, que le propriétaire se trouve à découvert pour un sixième, soit 20,000 fr.

Ce résultat n'a rien que de très juridique, c'est, nous le répétons, la conséquence de la maxime: res inter alios acta, aliis, neque nocere, neque prodesse potest.

Le propriétaire avait, d'ailleurs, un moyen de parer à cette éventualité fâcheuse, c'était de stipuler formellement que ses nouveaux locataires resteraient soumis à l'ancien article 1734, jusqu'à l'expiration des premiers baux.

Dans la seconde espèce, au contraire, l'application de la maxime précitée, se heurtant forcément au principe d'ordre public que nous avons signalé, nous n'accorderons pas, bien entendu, au propriétaire le droit d'exiger que, chacun de ses locataires s'exécutant pour le montant intégral de sa part contributoire, lui paient, à eux tous, une somme supérieure au montant de la perte.

Voici, d'après nous, la seule solution pratique et équitable. Nous répartirons les dommages entre les différents locataires proportionnellement à la somme maximum garantie par chacun d'eux. Nous nous trouvons, en effet, absolument dans la même situation que si le propriétaire avait en face de lui quatre assureurs: Primus et Secundus lui garantissent 40,000 fr. chacun; Tertius et Quartus, 30,000 fr. chacun.

Leur parts seront donc établies, conformément à la jurisprudence

suivie en cette matière, d'après les règles proportionnelles sui

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Cette question de contribution une fois réglée, il ne nous reste plus qu'un mot à dire de la question d'obligation.

D'abord, en ce qui concerne les nouveaux locataires, elle ne se pose même pas, puisqu'ils ne sauraient être tenus au delà de leurs parts contributoires.

Le propriétaire ne pourra donc leur réclamer que leurs parts proportionnelles, d'après leurs loyers, ou même une somme moindre, suivant la distinction précédemment établie.

Quant aux anciens locataires, ils restent bien tenus entre eux solidairement, mais sous la déduction de la part des nouveaux, conformément à l'article 1210 du Code civil, qui est ainsi conçu :

« Le créancier qui consent à la division de la dette à l'égard d'un « des codébiteurs, conserve son action solidaire contre les autres, << mais sous la déduction de la part du débiteur qu'il a déchargé de « la solidarité. »

Cette part à déduire sera, en principe, la part virile, suivant la maxime res inter alios acta, etc.

Mais elle pourra être supérieure toutes les fois qu'en appliquant cette maxime on s'exposerait à voir le propriétaire bénéficier de l'incendie.

Ainsi, dans notre première espèce, le propriétaire aura le droit de réclamer, soit à Primus, soit à Secundus, la somme de 60,000 fr., puisqu'en agissant ensuite contre les nouveaux locataires séparément, il ne pourra obtenir d'eux que 40,000 fr., soit en tout 100,000 fr.

Dans la seconde espèce, au contraire, il n'aura à exiger de Tertius ou de Quartus que 51,428 fr. 60 c., parce qu'en agissant ensuite contre Primus et Secundus, il peut obtenir de chacun d'eux la somme de 34,285 fr. 70 c., soit en tout celle de 120,000 fr., montant intégral des dommages.

Nous avons, jusqu'ici, supposé tous les locataires solvables, mais il va de soi que si, vu l'insolvabilité de l'un quelconque de ceux-ci, le propriétaire ne pouvait, en fait, même dans la seconde hypothèse,

arriver à toucher plus que le montant des dommages, les questions d'obligation et de contribution se régleraient alors uniquement d'après le principe que les conventions n'ont d'effets qu'entre les parties contractantes; c'est-à-dire qu'on devrait les résoudre, en définitive, absolument comme si l'on se trouvait dans le premier cas.

C. OUDIETTE,

avocat.

ASSURANCES CONTRE LES ACCIDENTS

DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE RÉSULTANT

DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

ET DE LA FAUTE LOURDE EN MATIÈRE D'ASSURANCE (fin.)

D'autre part, il faut ne pas perdre de vue que le preneur d'assurance et l'assuré peuvent être deux personnes distinctes, dont les rapports différents avec l'assureur doivent être pris en considération dans la question de savoir quel degré de faute exclut la responsabilité de l'assureur.

Le preneur d'assurance est l'une des parties contractantes; comme tel, le contrat d'assurance étant un contrat bilatéral intéressant chacun des contractants, il sera tenu de toute faute en vertu des bases générales du projet. -On pourrait aussi alléguer qu'il est dans la nature du contrat que l'assureur n'ait à indemniser que des dommages purement accidentels, parce que, sinon, il dépendrait de l'autre partie contractante d'aggraver arbitrairement le risque accepté par l'assureur. Au contraire, le tiers assuré, bien que le contrat soit conclu en sa faveur, n'est point contractant, il n'est en face de lui personne envers qui il pourrait commettre une faute par suite d'un rapport obligatoire et il serait assez épineux de faire dépendre la perte de l'indemnité assurée d'une faute légère, par lui commise.

-

Mais, en général, il ne paraît pas que les nécessités de l'assurance exigent que le preneur d'assurance et l'assuré répondent de la faute légère. Je puis à peine admettre qu'en contractant le preneur d'assurance ait voulu s'astreindre à administrer et à défendre son avoir d'une manière beaucoup plus soigneuse que celle à laquelle il était accoutumé et il ne semble point que la nature du contrat d'assurance implique pareille sollicitude.

En outre par l'imposition des soins d'un bon père de famille, on ouvre à la chicane une large porte par laquelle toute l'utilité de l'assurance peut disparaître.

Dans les anciennes législations étrangères se trouve aussi une disposition répondant totalement au but, suivant laquelle l'assureur n'est déchargé du paiement de la somme assurée que par la preuve de la faute lourde à charge de l'assuré et pareilles dispositions ne se rencontrent pas seulement dans les statuts de maintes sociétés d'assurances contre l'incendie, mais dans quelques lois particulières allemandes, telles par exemple qu'une loi du Royaume de Saxe sur l'assurance contre l'incendie; d'après cette loi, l'assuré n'est déclaré déchu de l'indemnité que s'il a intentionnellement causé l'incendie.

V

Nous estimons qu'il est suffisamment attesté par les citations qui précèdent que législation, jurisprudence, doctrine se prononcent fortement en faveur de l'exclusion de la faute lourde du preneur d'assurance, de la garantie assurée.

Parmi les Compagnies d'assurances, les unes jugent utile de stipuler expressément cette exclusion dans leurs polices, les autres se taisent sur ce point, considérant une stipulation expresse comme inutile, parce qu'elle ne fait que traduire une règle d'ordre public.

Qu'il y ait stipulation expresse d'exclusion ou qu'il y ait silence, il est bon de le constater, la situation du preneur d'assurance est absolument identique ; il y a plus, toute stipulation par laquelle l'assureur s'engagerait à couvrir la faute lourde de ce preneur d'assurance serait jugée immorale et illicite.

Lorsque surgit une discussion à propos de cette exclusion, il arrive fréquemment que l'on réclame de l'assureur une définition de la faute lourde; on désire savoir nettement quels sont les caractères distinctifs de cette faute.

C'est là un désir fort légitime et l'on doit comprendre que, s'il était possible d'y satisfaire en donnant cette définition, l'assureur s'empresserait de la donner; mais il faut reconnaître aussi qu'on ne peut exiger de lui plus qu'on n'exige du législateur lui-même, or celui-ci s'étant abstenu à bon droit de donner pareille définition, on ne peut trouver mauvais que l'assureur imite sa prudente réserve.

Une bonne définition est toujours chose difficile; si l'on voulait, par exemple définir l'antithèse de la faute lourde, le cas fortuit, l'ac

cident, « on pourrait faire un livre sur ce mot seul. Nos écrivains le << mettent pour ainsi dire partout et cet accident menace de devenir « un malheur pour la grammaire. J'ouvre le journal du matin : outre «<le chapitre obligé des accidents, j'y vois que la nomination de mon« sieur tel ou tel au ministère ne doit être considérée que comme «< un accident de la politique. Plus loin, il est question de chemins « de fer, je ne vois qu'accidents de terrains qui s'opposent à leur « exécution. Le feuilleton traite des beaux-arts et de l'exposition << annuelle. Celui qui l'écrit est fort savant. Aujourd'hui selon lui, << nos peintres n'entendent plus rien aux accidents du clair obscur. Fatigué de tant d'accidents je rencontre par accident sous ma main <«< un livre de philosophie, l'auteur m'oppose tout d'abord accident à <«<essence et trouve toujours moyen d'échapper à la raison qui n'est << vraiment chez lui qu'un accident. La fièvre me gagne; mon mé<< decin qui connaît la cause de mon mal emploie avec habileté le « mot épiphénomène qui, me dit-il, est le synonyme médical d'acci «dent et me voilà sauvé. » (Boutades grammaticales).

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Si l'accident est d'acception grammaticale aussi ondoyante, aussi diverse, on peut se faire une idée de la difficulté que doit rencontrer le jurisconsulte qui voudrait en donner une définition juridique. L'accident, dit Bliss, The Law of-Life Assurance. - Insurance against accidents, p. 684), est la survenance d'un événement produit sans le concours et sans la volonté de la personne qui en a été la cause. C'est un événement imprévu, un malheur qui n'est dû, ni à la négligence, ni à la maladresse (mis conduct). C'est un événement qui a lieu sans qu'on puisse le prévoir, sans qu'on puisse s'y attendre. C'est un cas fortuit, un hasard, une éventualité. C'est ce qui se produit sans cause compréhensible ou apparente, sans intention et contrairement à la marche ordinaire des choses. Un résultat extraordinaire et inattendu résultant de l'accomplissement d'un acte ordinaire et nécessaire, un événement qui a lieu sans qu'on puisse le prévoir ou s'y attendre, est un accident comme l'entend la police. Il faut certes rendre hommage aux bonnes intentions qui ont guidé Bliss dans sa tentative de définition, mais on ne rencontre guère, dans ce qui précède, la concision serrée que l'on exige généralement en pareil cas.

Quant à la faute lourde, Agnel (Manuel général de l'assurance n° 41) estime qu'elle existe lorsque le dommage a été causé par une négligence telle qu'il est impossible de croire que le propriétaire d'une chose s'en fût rendu coupable si cette chose n'avait pas été assurée.

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