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Il ne s'agit donc pas ici de sinistres qui peuvent ne se produire jamais, comme, par exemple, en matière d'incendie, ou d'accidents. mais de sinistres certains et à des époques de plus en plus rapprochées.

Dans cette situation, la Compagnie qui entreprendrait de les couvrir serait obligée d'avoir un tarif très élevé; or, un tarif de cette nature écarterait les intéressés. Dans tous les cas, les candidats à l'assurance se composeraient exclusivement des riverains des cours d'eau, et les propriétaires ou fermiers des terres situées à une certaine distance, se croyant à l'abri de tout danger, resteraient leurs propres assureurs. La Compagnie n'aurait donc qu'une clientèle fort limitée, et elle se verrait obligée, en outre, à n'accepter que de mauvais risques. D'un autre côté, pour pouvoir bénéficier des années sans inondations, elle devrait stipuler des assurances à longs termes. Or, avec un tarif très élevé, ces assurances coûteraient fort cher et le nombre des contrats serait ainsi très réduit.

Les risques, comme dans l'hiver de 1882-83, pourraient être si nombreux et si graves que, malgré la création d'une forte réserve tant ordinaire qu'extraordinaire, la Compagnie se trouverait dans l'impossibilité de tenir ses engagements.

La classification des primes, en raison de l'intensité du risque, c'està-dire de la distance à laquelle se trouveraient des cours d'eau les objets mobiliers ou immobiliers à assurer, soit dans les villes, soit dans les campagnes et encore en raison de l'aptitude à déborder de ces mêmes cours d'eau, rencontrerait les plus grandes difficultés, sans parler de la nécessité de tenir compte du degré de solidité des constructions et de la nature des cultures qui pourraient être atteintes par le fléau.

Enfin, il ne faut pas se dissimuler que la nouveauté d'une pareille assurance, ne s'autorisant d'aucun précédent, d'aucune expérience antérieure, d'aucun résultat encore obtenu, écarterait probablement les capitalistes et qu'on ne réussirait peut être pas à obtenir le capital social ou le fonds de garantie nécessaire.

Dans la pensée des adversaires de l'assurance-inondation, seul l'État peut entreprendre de couvrir un risque aussi dangereux, parce qu'il appliquerait le principe de l'assurance obligatoire et qu'alors les bons risques couvriraient les mauvais. Comme il n'aurait pas de dividende à distribuer à des actionnaires, et par conséquent, pas de bénéfices à réaliser, l'État pourrait, en outre, avoir un tarif moins élevé qu'une Compagnie.

Les partisans de l'assurance par les Compagnies répondent à peu près en ces termes :

Nous reconnaissons les difficultés que rencontrerait une Compagnie qui ferait exclusivement l'assurance contre l'inondation, difficultés dont la plus grande serait, en effet, que cette assurance ne serait sollicitée que par les mauvais risques. Mais la Compagnie pourrait y remédier en joignant à sa branche principale d'autres opérations analogues, comme, par exemple, l'assurance contre les dégâts causés par les ouragans, par la grêle, par la gelée, par les animaux malfaisants. Dans ce cas, un mauvais risque pourrait être couvert par un bon, compensation qui constitue le principe même de l'as

surance.

La Compagnie pourrait également limiter ses pertes en fixant un maximum d'indemnité pour chaque nature de sinistre.

Le calcul des primes pourrait-être plus facilement établi qu'on ne le suppose; car on possède aujourd'hui, sur le degré de fréquence et d'intensité des inondations, des documents qui permettent de déterminer une véritable moyenne, dont l'avenir ne saurait s'écarter sensiblement.

Le mode d'organisation de l'assurance serait encore un élément de succès ou d'insuccès. Des Compagnies isolées, dont la circons.cription serait restreinte, feraient évidemment de moins bonnes. affaires qu'une Compagnie unique, dont l'action s'étendrait ou sur un pays tout entier, ou sur toute la région que baignerait un grand cours d'eau.

En présence des services que rendraient ou une seule Compagnie ou un petit nombre de Compagnies à grandes circonscriptions, l'État ne leur refuserait probablement pas son concours, et tout d'abord en mettant à leur disposition les renseignements statistiques qu'il a dù recueillir sur les inondations jusqu'à des époques reculées. Il pourrait encore, après s'être assuré de la solvabilité de çes Compagnies et de la parfaite honorabilité de leurs fondateurs, appeler sur leur entreprise, considérée comme œuvre d'utilité publique, toute l'attention des autorités locales. Enfin, il serait en mesure de leur rendre un service qui ne lui coûterait rien et qui réduirait notablement leurs frais d'administration; il consisterait à faire recueillir, par ses agents financiers, les primes des assurés.

Sans doute, il s'agit d'une expérience à faire; mais si cette expérience réussissait, si les résultats démontraient la possibilité de faire entrer désormais dans le domaine de l'assurance, sans aucun pré

judice pour les Compagnies, un élément de destruction encore plus redoutable que le feu, le pays qui la tenterait le premier, et ceux qui, en cas de succès, la renouvelleraient chez eux, en tireraient d'inappréciables avantages.

Nous croyons avoir résumé assez fidèlement cette discussion. Nous avons trouvé quelque intérêt à la faire connaître, mais, hâtons nous de le dire, elle n'est pas de nature à affaiblir, elle fortifierait plutôt notre opinion sur la question. Nous continuons à reléguer l'assurance contre l'inondation dans le domaine des chimères les plus dangereuses. Il reste bien démontré pour nous que l'inondation ne relève de l'assurance ni particulière ni publique et qu'il n'y a rien à faire en dehors des mesures préventives.

Les derniers et formidables débordements des principaux cours d'eau de l'Europe font aux gouvernements un devoir impérieux de remettre à l'étude les projets destinés à atténuer la gravité de ces sinistres. En France, il a été déjà fait, dans ce but, des travaux d'une certaine importance. Mais ces travaux, à moins de dépenses énormes, ont dû être limités à la défense des villes les plus menacées. Le gouvernement a réalisé, en outre, dans la mesure des crédits modestes mis à sa disposition, un projet dont il attend les meilleurs effets le reboisement, et là où il n'est pas possible, le gazonnement des montagnes. Nous ne croyons pas qu'il ait encore. entrepris cette autre et essentielle partie de son programme, la création, au bas de ces mêmes montagnes, de vastes réservoirs destinés à dépouiller de leur force torrentielle les grandes eaux qui en descendent à la suite des pluies prolongées ou de la fonte des neiges.

Quand ces travaux seront terminés, et si les prévisions des ingénieurs sur leur efficacité se réalisent, peut être deviendra-t-il moins déraisonnable de soulever le problème de l'assurance contre l'inondation; mais il faut nous résoudre à en laisser la solution à nos arrière petits-enfants.

LA FAILLITE D'UNE COMPAGNIE D'ASSURANCES.

Ses conséquences pour les actionnaires et pour les assurés. La faillite d'une Compagnie d'assurances n'est pas un sujet qui se renouvelle souvent: on le voit bien aux controverses et aux difficultés

d'application qu'il soulève. Il était réservé à cette crise de concurrence, qui date de quelques années, de faire surgir de nouveau la question de faillite. Elle n'a fait, à proprement dire, dans l'histoire des assurances terrestres, que deux apparitions, l'une en 1822, l'autre en 1854.

Les années 1882 et 1883 ont créé la troisième. Après le Globe, nous avons vu, successivement et presque coup sur coup, la Provinciale, l'Union nationale et le Capital, déclarés en état de faillite. Que ce soit la fin de cette crise spéciale ou qu'elle soit destinée à avoir encore quelques tressaillements de ce genre, il convient de fixer, comme souvenir ou comme conseil, les principes qui paraissent convenir à cet état de faillite d'une Compagnie d'assurances.

L'industrie des assurances a, en effet, des allures et un fonctionnement qui la distinguent des autres industries. Elle est régie par une loi spéciale; son principal actif son portefeuille est soumis

à des règles particulières de liquidation. Les syndics des Compagnies se trouvent placés en face de deux groupes distincts: les actionnaires et les assurés. Pour sauvegarder les intérêts des uns et des autres, il faut peut-être plus que la connaissance du droit et la pratique des affaires. A tous ces points de vue, l'étude que nous plaçons sous les yeux de nos lecteurs a sa raison d'être et son opportunité.

1.- La première question à examiner est celle du droit des assurés Si, comme le soutiennent quelques écrivains de la presse spéciale des assurances, la faillite résiliait les contrats et rendait de plein droit leur liberté aux assurés, la chose serait des plus simples et le syndic n'aurait qu'à liquider le passé, sans s'inquiéter du portefeuille, c'està-dire des créances à terme de la Compagnie qu'il représente. Mais ce premier point est hors de controverse. Les principes du droit commun, à défaut d'une loi spéciale, proclament que l'état de faillite d'une Compagnie ne délie pas ses assurés: ils sont obligés de demander la résiliation de leurs contrats; c'est l'application de l'article 1184 du Code civil, et nous ne connaissons ni dans la jurisprudence, ni dans la doctrine, aucune opinion autorisée qui s'élève contre cette application. On peut donc s'étonner qu'elle ait été émise par le syndic du Capital et qu'il ait répondu à un assuré: « par le fait de la mise en faillite de l'Union nationale et du Capital, les assurés de ces Compagnies ont le droit de résilier leurs polices, à la condition de m'en prévenir par lettre recommandée. »

Il faut plus qu'une lettre recommandée pour amener la résiliation. Elle ne peut résulter que du consentement du syndic ou, à son

défaut, d'un jugement. Mais ce serait là une question de procédure. Le syndic est-il tenu, dans tous les cas, de consentir ou de subir judiciairement la résiliation? C'est là la vraie question à examiner, celle qui doit servir de point de départ à cette étude, et qui donne une physionomie particulière à la faillite d'une Compagnie d'assurances contre l'incendie.

Le syndic peut avoir, comme actif de la faillite, des créances, des valeurs ou des espèces; il a, comme ressource éventuelle, les versements qui restent à faire sur le capital social. Mais il possède une valeur spéciale, l'ensemble des engagements pris envers la Compagnie par ses assurés. C'est le portefeuille, composé de polices qui ont une durée moyenne de six à sept années, et qui a coûté à la Compagnie une somme considérable en frais généraux et en commissions payées d'avance aux agents et aux courtiers. Ce portefeuille peut avoir une valeur vénale et nous savons, par l'expérience de ces dernières années, qu'il peut faire l'objet de marchés quelquefois avantageux pour le cédant.

Le syndic est-il réduit à perdre cette valeur? Ne peut-il pas, comme le ferait une Compagnie in bonis ou en liquidation, la céder à une autre Compagnie? Nous n'hésitons pas à répondre affirmativement et nous approuvons sur ce point le langage de M. Barbot, syndic de la faillite de la Provinciale, qui, dans sa réponse aux assurés, a protesté contre la résiliation de plein droit et a annoncé l'existence de pourparlers pour arriver à la cession du portefeuille de la Compa-. gnie. Mais, si, d'une part, les assurés ont le droit de demander la résiliation des polices; si, d'autre part, le syndic a intérêt à céder le portefeuille qui renferme ces polices, - quel sera le moyen légal offert aux assurés et au syndic pour sauvegarder leurs intérêts respectifs? C'est l'article 346 du Code de commerce qui le fournit; il est ainsi conçu: « Si l'assureur tombe en faillite, lorsque le risque n'est pas encore fini, l'assuré peut demander caution ou la résiliation du

contrat. >>

Bien que cet article soit relatif aux assurances maritimes, tout le monde s'accorde à l'appliquer aux assurances terrestres. Il n'y a de dissentiment que sur son interprétation. Pour les uns, cet article donne aux assurés le droit de demander, à son choix, une caution ou la résiliation du contrat. Pour les autres, le mot ou n'est pas une conjonction alternative; il veut dire : ou à défaut, ou sinon. Autrement dit, l'assuré n'a le droit à la résiliation que si l'assureur ne fournit pas caution.

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