Page images
PDF
EPUB

fées vraies & des expreffions juftes. L'efprit de l'Homme eft naturellement plein d'un nombre infini d'idées confufes du Vrai, que fouvent il n'entrevoit qu'à demi; & rien ne lui eft plus agréable que lorfqu'on lui offre quelqu'une de ces idées bien éclaircie, & mife dans un beau jour. Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante, extraordinaire ? Ce n'eft point,comme fe le perfuadent les ignorans, une penfée que perfonne n'a jamais euë, ni dû avoir. C'eft au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde, & que quelqu'un s'avife le premier d'exprimer. Un bon mot n'eft bon mot qu'en ce qu'il dit une chofe que chacun penfoit,& qu'il la dit d'une maniere vive, fine & nouvelle. Confiderons, par exemple, cette replique fi fameuse de Louis Douziéme à ceux de fes Miniftres qui lui (2) confeilloient de faire punir plufieurs perfonnes, qui fous le regne precedent, & lorsqu'il n'eftoit encore que Duc d'Orleans, avoient pris à tâche de le deffervir. Un Roy de France, leur répondit-il, ne venge point les injures d'un Duc d'Orleans. D'où vient que ce mot frappe d'abord? N'eft-il pas aifé de voir que c'est parce qu'il prefente aux yeux une verité que tout le monde fent, & qu'il dit mieux que tous les plus beaux difcours de Morale, Qu'un grand Prince, lorsqu'il eft une fois fur le throne, ne doit plus agir par des mouvemens particuliers, ni avoir d'autre veuë que la gloire & le bien general de fon Eftat? Veut-on voir au contraire combien une pensée fauffe eft froide & puerile? Je ne fçaurois rapporter un exemple qui le faffe mieux fentir, que deux Vers du Poëte Theophile, dans fa Tragedie

REMARQUES.

(2) confeilloient ] C'eft ainfi qu'il y a dans l'Edition de 1701. Dans celle de 1713. & dans tou

tes celles qui l'ont fuivie, on lit confeillerent. La leçon de 1701. me femble préférable.

intitulée, Pyrâme & Thyfbé; lorsque cette malheureuse Amante ayant ramaffé le poignard encore tout fanglant dont Pyrâme s'estoit tué, Elle querelle ainfi ce poignard,

Ah! voici le poignard qui du fang de fon Maistre S'eft fouillé lâchement. Il en rougit, le Traître. Toutes les glaces du Nord ensemble ne font pas, à mon fens, plus froides que cette penfée. Quelle extravagance, bon Dieu! de vouloir que la rougeur du fang, dont eft teint le poignard d'un Homme qui vient de s'en tuer lui-mefme, foit un effet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué? Voici encore une penfée qui n'eft pas moins fausse, ni par conféquent moins froide. Elle eft de Benferade dans fes Métamorphofes en rondeaux, où parlant du déluge envoyé par les Dieux, pour châtier l'infolence de l'Homme, il s'exprime ainfi :

Dieu lava bien la tefte à fon Image.

Peut-on à propos d'une auffi grande chofe que le Déluge, dire rien de plus petit, ni de plus ridicule que ce quolibet, dont la penfée eft d'autant plus fauffe en toutes manieres, que le Dieu dont il s'agit en cet endroit, c'eft Jupiter, qui n'a jamais paffe chez les Payens pour avoir fait l'Homme à fon image: l'Homme dans la Fable eftant, comme tout le monde fçait, louvrage de Promethée.

Puifqu'une penfée n'eft belle qu'en ce qu'elle eft vraye; & que l'effet infaillible du Vray, quand il est bien énoncé, c'eft de frapper les Hommes; il s'enfuit que ce qui ne frappe point les hommes, n'eft ni beau ni vray, ou qu'il eft mal énoncé : & que par conféquent un ouvrage qui n'eft point goufté du Public, eft un tres-méchant Ouvrage. Le gros des Hommes peut bien, durant quelque temps, prendre le faux pour le vrai, & admirer de méchantes choses: mais il n'eft pas poffible qu'à

[ocr errors]

la longue une bonne chofe ne lui plaife; & je deffie tous les Auteurs les plus mécontens du Public, de me citer un bon Livre que le Public ait jamais rebuté: à moins qu'ils ne mettent en ce rang leurs écrits, de la bonté defquels Eux feuls font perfuadez. J'avoue neanmoins, & on ne le fçauroit nier, que quelquefois, lorfque d'excellens ouvrages viennent à paroître, la cabale & l'envie trouvent moyen de les rabbaiffer; (3) & d'en rendre en apparence le fuccez douteux: mais cela ne dure guéres; & il arrive de ces ouvrages comme d'un morceau de bois qu'on enfonce dans l'eau avec la main: il demeure au fond tant qu'on l'y retient; mais bien-toft la main venant à fe laffer, il fe releve & gagne le deffus. Je pourrois dire un nombre infini de pareilles chofes fur cè fujet, & ce feroit la matiere d'un gros Livre: mais en voilà affez ce me femble, pour marquer au Public ma reconnoiffance, & la bonne idée que j'ay de fon gouft & de fes jugemens.

Parlons maintenant (4) de mon édition nouvelle. C'eft la plus correcte qui ait encore paru; & non feulement je l'ai revûë avec beaucoup de foin, mais j'y ay retouché de nouveau plufieurs endroits de mes ouvrages. Car je ne fuis point de ces Auteurs fuians la peine, qui ne fe croient plus obligez de rien raccommoder à leurs écrits, dès qu'ils les ont une fois donnez au Public. Ils alleguent pour excufer leur pareffe, qu'ils auroient peur en les trop remaniant, de les affoiblir, & de leur ofter cet air libre & facile qui fait, difent-ils,

REMARQUES.

(3) d'en rendre le fuc sex douteux:] M. Defpréaux citoit pour exemples, l'Ecole des Fen Femmes de Molière, & la Pbédre

de M. Racine. BROSS.

(4) de mon édition nouvelle.] Celle de 1701. pour laquelle cer te Préface fut faite.

un des plus grands charmes du difcours : mais leur excufe, à mon avis, eft tres-mauvaise. Ce font les ouvrages faits à la hâte, &, comme on dit, au courant de la plume, qui font ordinairement fecs, durs & forcés. Un ouvrage ne doit point paroiftre trop travaillé; mais il ne fçauroit eftre. trop travaillé; & c'eft fouvent le travail mefme qui en le poliffant luy donne cette facilité tant vantée qui charme le Lecteur. Il y a bien de la difference entre des vers faciles & des vers facilement faits. Les Ecrits de Virgile, quoiqu'extraordinairement travaillez, font bien plus naturels que ceux de Lucain, qui écrivoit, dit-on, avec une rapidité prodigieufe. C'eft ordinairement la peine que s'eft donnée un Auteur à limer & à perfectionner fes Ecrits, qui fait que le Lecteur n'a point de peine en les lifant. Voiture, qui paroift fi aifé, travailloit extrêmement fes ouvrages. On ne voit que des gens qui font aifément des chofes mediocres; mais des gens qui en faffent, mefme difficilement, de fort bonnes, on en trouve tres-peu.

Je n'ay donc point de regret d'avoir encore employé quelques-unes de nes veilles à rectifier mes Ecrits dans cette nouvelle Edition, qui eft, pour ainfi dire, mon Edition favorite. Auffi y ai-je mis mon nom, que je m'eftois abftenu de mettre à toutes les autres. J'en avois ainsi usé par pure modeftie: mais aujourd'hui que mes ouvrages font entre les mains de tout le monde, il m'a paru que cette modeftie pourroit avoir quelque chofe d'affecté. D'ailleurs, j'ai efté bien aife, en le mettant à la tefte de mon Livre, de faire voir par-là quels font précisément les ouvrages que j'avouë, & d'arrefter, s'il eft poffible, le cours d'un nombre infini de méchantes piéces qu'on répand partout fous mon nom, & principalement dans les Provinces & dans les Païs étrangers. J'ay mefme,

pour

pour mieux prévenir cet inconvénient, fait mettre au commencement de ce volume, (5) une liste exacte & détaillée de tous mes Ecrits, & on la trouvera immediatement aprés cette Préface. Voilà de quoy il eft bon que le Lecteur foit instruit.

Il ne reste plus prefentement qu'à luy dire quels font les ouvrages dont j'ay augmenté ce volume. Le plus confiderable eft une onziéme Satire que j'ay tout recemment compofée, & qu'on trouvera à la fuite des dix precedentes. Elle eft adreffée à Monfieur de Valincour mon illuftre Affocié à l'Hiftoire. J'y traite du vray & du faux Honneur & je l'ay compofée avec le mefme foin que tous mes autres Ecrits. Je ne fçaurois pourtant dire fi elle eft bonne ou mauvaise: car je ne l'ay encore communiquée qu'à deux ou trois de mes meilleurs Amis, à qui mefme je n'ay fait que la reciter fort vîte, dans la peur qu'il ne lui arrivaft ce qui eft arrivé à quelques autres de mes pieces, que j'ay vû devenir publiques avant mefme que je les euffe mifes fur le papier: plufieurs perfonnes à qui je les avois dites plus d'une fois, les ayant retenues par cœur, & en ayant donné des copies. C'eft donc au public à m'apprendre ce que je dois penfer de cet ouvra→ ge, ainfi que de plufieurs autres petites pieces de Poëfie qu'on trouvera dans cette nouvelle Edition, & qu'on y a mêlées parmi les Epigrammes qui y eftoient déja. Ce font toutes bagatelles que j'ay la plupart compofées dans (6) ma premiere jeuneffe: mais que j'ay un peu rajustées, pour les

REMARQUES.

(5) une life... de tous mes Ecrits,] Elle êtoit différente de celle qui depuis a êté mife dans I'Fdition de 1713. & dont on a parlé dans la Remarque 1. fur Bette Préface, BROSS.

Cette Lifle de 1701. n'eft qu'un fimple Catalogue des Ouvrages contenus dans cette Edition, fclon l'ordre qu'ils y tiennent.

(6) ma premiere jeunesse: 1 Conformément à l'Edition de

« PreviousContinue »