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choix. J'ai été prié, fi je puis m'exprimer ainfi, & ceux qui me prioient, étoient en droit de m'ordonner. Pour M. Despréaux il n'a pas befoin de mes éloges. La réputation que fes Ecrits lui ont acquife eft confirmée par le tems; & toutes les Nations polies s'accordent à le placer áu rang de ces Ecrivains rares qui doivent paffer à la poftérité. Non que durant fa vie il ait obtenu tous les fuffrages: il vit au contraire fe déchaifner contre lui un grand nombre d'Auteurs médiocres qu'il avoit ofé attaquer comme tels. Mais ily a long-temps que leurs critiques font tombées dans l'oubli avec leurs noms mêmes.

Je ne me prévaudrai donc point de l'ufage. Mon unique objet eft de rendre compte du plan que je me fuis propofé: heureux fi j'avois fçû le remplir, puifqu'il a mérité la plus glorieufe approbation.

On s'eft principalement conformé pour le texte à l'Edition qui parut en 1713. fous les yeux de M. de Valincourt: & l'ortographe qu'il a fuívie étant celle de l'Auteur même (1), on s'eft fait une loi de la copier. Quand une ortographe différente ne changeroit rien à la mesure du vers, ni à la rime: pourquoi envier aux Ecrivains qui ont immortalifé le dernier regne un honneur qu'on rend tous les jours aux Anciens, & qu'on a rendu, pour me renfermer dans la claffe de nos Poëtes, à Marot, & à Regnier ?

Quant aux éclairciffemens, je m'en fuis tenu à l'idée précise du mot: c'eft-à-dire, que j'ai tâché de prendre un jufte milieu entre des notes, qui, pour être trop concifes, n'éclairciffent pas, & un commen

REMARQUES.

(1) Cette Ortographe n'eft nullement celle de M. Defpréaux, comme on peut aifément s'en convaincre en la comparant à l'Edition de 1701. C'est l'Ortegraphe de M. l'Abbé Renaudot:

du moins eft-elle prefque par tout conforme à celle des Ouvrages de ce favant Abbé, qui, prenant foin de l'Edit, de 1713. avec M. de Valincour, en revig lui-même toutes les Epreuves.

taire chargé de faits étrangers, ou amenés de loin, qui détourne & fatigue l'attention. Je suis bien éloigné, au refte, de m'attribuer ce qui ne m'appartient pas. J'avoue ingenument & avec reconnoiffance que j'ai profité du travail de M. Broffette, & que s'il m'eft arrivé quelquefois de le rectifier, je n'ai prefque fait d'ailleurs que choifir dans fon commentaire ce qui étoit convenable à mes vûës, fans m'affujettir néanmoins à fes expreffions.

Le même efprit m'a guidé dans les imitations. Je n'ai point envisagé fous cette idée les endroits où M. Defpréaux s'eft rencontré avec des Auteurs modernes fans le vouloir, & fans les avoir peut-être jamais lûs. Je n'ai regardé comme imités que les endroits remarquables, où l'on voit clairement que le Poëte a eu les Anciens en vûe, & qu'il a, pour ainfi dire, lutté contr'eux.

A propos de ces vers :

Comme un Pilote en mer qu'épouvante l'orage, Dés que le bord paroît, fans fonger où je fuis, Je me fauve à la nage, j'aborde où je puis. (2) Qu'on dife que le Bembe a dit la même chofe en Latin; un Lecteur judicieux n'y prend nul interêt parce qu'il ne trouve rien qui le frappe, ni dans le fonds de la penfée, ni dans le tour. Mais, fi à l'occafion de ce vers,

La colére fuffit, & vaut un Apollon.

on lui rappelle celui-ci de Juvenal:

Si natura negat, facit indignatio versum.

Alors il lui femble qu'il voit deux Athletes qui fe difputent la victoire ; & que, juge du combat, il couronne lui-même le vainqueur.

REMARQUES.

(2) Qu'on dife &c.] Voïés, Tom. I. page 11. Remarques,

xxviij PRE'F. DE L'EDITEUR DE 1740,

Je dois maintenant parler des additions & des ornej mens dont on a enrichi cette édition.

Les additions les plus confidérables font l'éloge de M. Defpréaux compofé par M. de Boze, & le Boleana.

Le public eft redevable du Bolaana à M. de Monchefnay fi connu par fes fuccès dramatiques, & par fes liaisons avec M. Defpréaux dont il a partagé la plus étroite confiance. C'eft par là qu'il a été à portée de nous communiquer des fingularités, des jugemens, des traits qui feroient reftés dans l'oubli, s'ils avoient eû pour témoin un ami moins zélé, ou moins éclairé.

A l'égard des ornemens, on n'a point fongé à les multiplier, moins encore à les annoncer ici d'un air faftueux (3). On s'eft propofé feulement de les rendre convenables pour le deffein, & dignes du Public par l'exécution.

REMARQUES.

aux

(3) L'Editeur en veut Editions d'Amfterdam, enrichies de Gravures de Bernard Picart. On a mis à la tête de ces Editions

une Explication des Figures & Vi gnettes; & je n'ai rien vu de faf tueux dans cette explication toute fimple.

xxix

ELOGE

DE M. DESPRÉAUX,

Tiré du Difcours (1) que M. DE VALINCOUR, Secretaire du Cabinet du Roi, Chancelier de l'Academie, prononça à la réception de M. Abbé D'ESTRE'ES (2).

JE ne crains point ici, MESSIEURS, que l'amitié me rende fufpect fur le fujet de Monfieur Delpreaux. Elle me fourniroit plûtoft des larmes hors de faifon, que des loiianges exagérées. Ami dés mon enfance, & ami intime de deux des plus grands Perfonnages, qui jamais ayent efté parmi vous, je les ai perdus tous deux (3) dans un petit nombre d'années. Vos fuffrages m'ont élevé à la place du premier, que j'aurois voulu ne voir jamais vacante. Par quelle fatalité faut-il que je fois encore destiné à recevoir aujourd'huy en voftre nom l'Homme illuftre qui varemplir la place de l'autre ; & que dans deux occafions, où ma douleur ne demandoit que le filence & la folitude, pour pleurer des Amis d'un fi rare merite, je me fois trouvé engagé à paroiftre devant vous pour faire leur éloge!

Mais quel éloge puis-je faire ici de Monfieur Def

REMARQUES.

(1) M. de Valincour fit imprimer fon Difcours entier à la têse de l'Edition de 1713.

(2) M. l'Abbé d'Eftrées, Arshevêque de Cambrai, mourut

le 3. Mars 1718. dans fa 52. an. née. Du MONTEIL.

(3) M. Racine, mort en 1699. M. Despréaux, mort en 1711. BROSS.

preaux, que vous n'ayez desja prévenu? J'ofe attefter, MESSIEURS,le jugement que tant de fois vous en avez porté vous-mefmes. J'attefte celui de tous les Peuples de l'Europe, qui font de fes Vers l'objet de leur admiration. Ils les fçavent par cœur; ils les traduisent en leur Langue;ils apprennent la noftre pour les mieux goufter, & pour en mieux fentir toutes les beautez. Approbation univerfelle, qui eft le plus grand éloge que les hommes puiffent donner à un Efcrivain, & en mefme-tems la marque la plus certaine de la fection d'un Ouvrage.

per

Par quel heureux fecret peut-on acquerir cette approbation fi generalement recherchée, & fi rarement obtenue? Monfieur Defpreaux nous l'a appris luymefme; c'eft par l'amour du vray.

En effet, ce n'est que dans le vray feulement que tous les hommes fe réuniffent. Differens d'ailleurs dans leurs mœurs, dans leurs préjugez, dans leur maniere de penfer, d'efcrire, & de juger de ceux qui écrivent, dés que le vray paroift clairement à leurs yeux, il enleve tousjours leur confentement & leur admiration.

Comme il ne fe trouve que dans la Nature, ou pour mieux dire, comme il n'eft autre chofe que la Nature mefme, Monfieur Defpreaux en avoit fait fa principale eftude. Il avoit puifé dans fon fein ces graces qu'elle feule peut donner, que l'Art employe toufjours avec fuccés, & que jamais il ne fçauroit contrefaire. Il y avoit contemplé à loifir ces grands modelles de beauté & de perfection, qu'on ne peut voir qu'en elle, mais qu'elle ne laiffe voir qu'à fes Favoris. Il l'admiroit fur tout dans les Ouvrages d'Homere, où elle s'eft confervée avec toute la fimplicité, & pour ainfi dire, avec toute l'innocence des premiers temps, & où elle eft d'autant plus belle, qu'elle affecte moins de le paroiftre.

Il ne s'agit point ici de renouveller la fameuse guer

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