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35 On diroit qu'ils ont feuls l'oreille d'Apollon,
Qu'ils difpofent de tout dans le facré Vallon.

C'eft à leurs doctes mains, fi l'on veut les en croire,
Que Phébus a commis tout le foin de Ta gloire :
Et Ton nom du Midi jusqu'à l'Ourse vanté,
40 Ne devra qu'à leurs vers fon immortalité.
Mais pluftoft fans ce nom,
dont la vive lumiere
Donne un luftre éclatant à leur veine groffiere,
Ils verroient leurs écrits, honte de l'Univers,
Pourir dans la pouffiére à la merci des vers.
45 A l'ombre de Ton nom ils trouvent leur afile;
Comme on voit dans les champs un arbriffeau debile,
Qui fans l'heureux appui qui le tient attaché,
Languiçoit triftement fur la terre couché.

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Ce n'eft pas que ma plume injufte & téméraire,
Veuille blâmer en eux le deffein de Te plaire :
Et parmi tant d'Auteurs, je veux bien l'avouer,
Apollon en connoift qui Te peuvent louer.

Oui, je fçai qu'entre ceux qui t'adreffent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles.
Mais je ne puis fouffrir, qu'un efprit de travers,
Qui pour rimer des mots pense faire des vers,

REMARQUES.

VERS 54. Parmi les Pelletiers.] PIERRE DU PELLETIER Parifien, miferable Rimeur, faifoit fa principale occupation de compofer des Sonnets à la louange de toutes fortes de gens. Dès qu'il favoit qu'on imprimoit un Li

vre,

il ne manquoit pas d'aller porter un Sonnet à l'Auteur, pour avoir un exemplaire de

l'Ouvrage. Il gagnoit fa vie à aller en Ville enfeigner la Langue Françoife aux Etrangers.

Ibid.- On compte des Cor neilles. ] Quoique le grand Corneille doive principalement fa réputation à fes excellentes Tragédies. Il eft auffi connu par de très-beaux Poëmes qu'il a compofés à la louange du Roi.

Se donne en Te louant une gefne inutile.
Pour chanter un Augufte, il faut eftre un Virgile.
Et j'approuve les foins du Monarque guerrier,
60 Qui ne pouvoit fouffrir qu'un Artisan groffier
Entreprist de tracer, d'une main criminelle,
Un portait refervé pour le pinceau d'Apelle.

Moi donc, qui connois peu Phebus & fes douceurs :
Qui fuis nouveau fevré fur le mont des neuf Sœurs :
65 Attendant que pour Toi l'âge ait mûri ma Muse,
Sur de moindres fujets je l'exerce & l'amuse :
Et tandis que Ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,
Et retient les Méchans par la peur des fupplices.
70 Moi, la plume à la main, je gourmande les vices,

REMARQUES.

Vers 19. Et j'approuve les Joins du Monarque guerrier.] ALEXANDRE LE GRAND n'avoit permis qu'à Apelle de le peindre, à Lyfippe de faire fon image en bronze, & à Pyrgotèle de le graver fur des pierres précieuses. Il êtoit défendu à tout autre de faire fon Portrait ou fa Statue. Plin. Nat. Hift, VII, 38.

L'Empereur Augufte fit avertir les Magiftrats de ne pas fouffrir que fon nom fût avili, en le faifant fervir de matière aux difputes pour les prix de Profe & de Vers. Suet. c. 89.

IMIT. Vers 60. Qui ne pouvoit fouffrir qu'un Artifan groffier.] Horace, Livre II. Epître 1. Vers 239.

Edicto vetuit, ne quis fe, præter Apellem,
Pingeret; aut alius Lyfippo duceret ara
Fortis Alexandri vultum fimulantia,

VERS 67. Ettandis que ton bras... Va la foudre à la main. ] C'eft mal à propos que l'on a condamné cette expreffion. Mais il fant être Poëte, difoit l'Auteur,

& fentir les beautés de la Poësie, pour juflifier cette faute, qui n'en eft pas une. Il la juftifioit par ce beau Vers de Mr. Racine, dans la dernière Scéne de Mithridate,

Et mes derniers regards ont vû fuir les Romains.

Et gardant pour moi-mefine une jufte rigueur,
Je confie au papier les fecrets de mon cœur.

Ainfi, dés qu'une fois ma verve se réveille,

Comme on voit au printems la diligente abeille, 75 Qui du butin des fleurs va composer fon miel, Des fottifes du tems je compofe mon fiel. Je vais de toutes parts où me guide ma veine, Sans tenir en marchant une route certaine, Et, fans gefner ma plume en ce libre métier, 80 Je la laisse au hafard courir fur le papier.

Le mal eft, qu'en rimant, ma Mufe un peu legere Nomme tout par fon nom, & ne fçauroit rien taire, C'est là ce qui fait peur aux Efprits de ce temps,

Qui tout blancs au dehors, font tout noirs au dedans. 85 Ils tremblent qu'un Cenfeur, que fa verve encourage Ne vienne en fes écrits démafquer leur visage, Et fouillant dans leurs mœurs en toute liberté, N'aille du fond du Puits tirer la Vérité.

REMARQUES.

IMIT. Vers 72. Je confie an papier les fecrets de mon cœur.]

Horace dit, parlant du Poëte Lu cilius ; Ille, velut fidis arcana fodalibus, olim Credebat libris. L. II. Sat. I. v. 30. Ce n'eft ni à Lucilius ni à Ho- butin des fleurs va compofer fon race que M. Defpréaux doit ce miel. ] C'eft ainfi que l'Auteur Vers; c'eft à Montagne, Il en con- a corrigé dans l'Edition de 1674. venoit lui-même. ED. P. 1740. Dans les précédentes Editions CHANG. Vers 75. Qui du on lifoit: Qui des fleurs qu'elle pille en compofe fon miel. La Particule en qui ne peut figni- vicieux. her ici que la même chofe exprimée par ces mots : des fleurs, gâtoit ce Vers par un Pléonafme

VERS 82. Nomme tout par fon nom. ] L'Auteur fait allufion à cet endroit de la Satire I.

Je ne puis rien nommer fi ce n'est par fon nom.

VERS 88, N'aille du fond du Puits tirer la Vérité, ] DEMOCRITE

Tous ces gens éperdus au feul nom de Satire,
90 Font d'abord le procès à quiconque ofe rire.
Ce font eux que l'on voit, d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout eft renversé,

Au moindre bruit qui court, qu'un Auteur les menace
De joier des Bigots la trompeufe grimace.

95 Pour eux un tel ouvrage eft un monftre odieux ;
C'eft offenfer les loix, c'eft s'attaquer aux Cieux.
Mais bien que d'un faux zele ils masquent leur foibleffe,
Chacun voit qu'en effet la Vérité les blesse.

En vain d'un lâche orgueil leur esprit revétu 100 Se couvre du manteau d'une auftere vertu :

Leur cœur qui fe connoift, & qui fuit la lumiere, S'il fe mocque de Dieu, craint Tartuffe & Moliere. Mais pourquoi fur ce point fans raifon m'écarter? GRAND ROI, c'est mon défaut, je ne fçaurois flatter. 105 Je ne fçai point au Ciel placer un Ridicule,

D'un Nain faire un Atlas, ou d'un Lâche un Hercule, Et fans ceffe en esclave à la fuite des Grands, A des Dieux fans vertu prodiguer mon encens, On ne me verra point d'une veine forcée, 110 Mesmes pour Te louer, déguiser ma pensée : Et quelque grand que foit Ton pouvoir fouverain, Si mon coeur en ces vers ne parloit par ma main,

REMARQUES.

difoit que la Vérité êtoit au
fond d'un Puits, & que perfon-
ne ne l'en avoit encore pû tirer.

DESP.

VERS 93.
Qu'un Auteur les
menace.]MOLIERE vers ce temps-

la fit jouer fon Tartuffe. DESP.

Molière compofa cette Comédie en 1664. mais la cabale des faux Devots obtint du Roi une défenfe de la repréfenter, qui ne fut levée qu'en 1669.

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Il n'est espoir de biens, ni raison, ni maxime,
Qui puft en Ta faveur m'arracher une rime.

Mais lorsque je Te voi, d'une fi noble ardeur,
T'appliquer fans relâche aux foins de Ta grandeur,
Faire honte à ces Rois que le travail étonne,

Et qui font accablés du faix de leur Couronne :
Quand je voi Ta fageffe, en fes juftes projets,
120 D'une heureuse abondance enrichir Tes fujets ;
Fouler aux pieds l'orgueil & du Tage & du Tibre;
Nous faire de la mer une campagne libre ;

Et Tes braves Guerriers fecondant Ton grand cœur,
Rendre à l'Aigle éperdu fa premiere vigueur :
125 La France fous Tes loix maistriser la Fortune;
Et nos vaiffeaux domtant l'un & l'autre Neptune,
Nous aller chercher l'or, malgré l'onde & le vent,
Aux lieux où le Soleil le forme en fe levant :

REMARQUES.

VERS 121. & 124. Fouler aux pieds l'orgueil, &c. Rendre à l'Aigle éperdu, &c.] LE ROI fe fit faire fatisfaction dans ce temps-là des deux infultes faites à fes Ambaffadeurs à Rome & à Londres ; & fes troupes envoiées au fecours de l'Empereur défirent les Turcs fur les bords du Raab.

DES P.

Ce fut en 1661. que l'Ambaffadeur d'Espagne infulta celui de France dans Londres, au fujet de la Préfeance, Philippe IV. fatisfit la deffus le Roi fon gendre en

1662.

Dans la même année les Corfes de la Garde du Pape infulté rent l'Ambassadeur de France à Rome, en réparation de quoi il

y fut élevé une Pyramide en 1664.

Ce fut auffi en 1664. que le Roi envoïa du fecours à l'Empe reur.

VERS 122. Nous faire de la mer une campagne libre. ] La mer fut purgée de Pirates par la victoire remportée en 1665. fur les Cor. faires de Tunis & d'Alger, aux Côtes d'Afrique.

VERS 128. Aux lieux où le Soleil le forme en Je levant.] En l'année 1664. le Roi établit la Compagnie des Indes Orientales, à laquelle il accorda de grands priviléges, fournit des fommes confidérables, & prêta des Vaiffeaux pour le premier embar» quement.

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