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A. QUEL fujet inconnu vous trouble & vous altere
D'où vous vient aujourd'huy cet air fombre & fevere
Et ce vifage enfin plus pafle qu'un Rentier,
A l'aspect d'une Arreft qui retranche un quartier ?

REMARQUES.

VERS 1. A.] Cette lettre qui eft au commencement du premier Vers, fignifie l'Auditeur, ou celui qui interroge; & la lettre P. qui eft devant le quatorziéme Vers, dénote le Poëte. L'Auteur avoit deffein d'y mettre un

B. pour marquer le Brouffin: mais il craignit que fon intention ne fût trop marquée.

IMIT. Ibid. Quel fujet inconnu vous trouble & vous altere?]JUVENAL commence ainfi fa neuviéme Satire:

Scire velim, quare toties mihi, Navole, triflis
Occurras, fronte obducta?

Tot ruga?

VERS 4. A l'aspect d'un Arrest qui retranche un quartier?] Le Roi en ce temps-là avoit fupprimé un quartier des Rentes. DES P.

Ce fut en 1664. que fe fit cette

unde

repente

fuppreffion, fur laquelle le Che valier de Cailli fit l'Epigramme fuivante, dont M. Despréaus faifoit cas.

,

De nos Rentes pour nos pechex
Si les quartiers font retranchez:

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Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Sembloit d'ortolans feuls, & de bifques nourrie,
Où la joye en fon luftre attiroit les regards,
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts ?
Qui vous a pû plonger dans cette humeur chagrine §
A-t-on par quelque Edit reformé la cuifine:

Ou quelque longue pluye, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons?

Répondez donc enfin, ou bien je me retire.

P. Ah! de grace, un moment, fouffrez que je respire. 15 Je fors de chez un Fat, qui, pour m'empoisonner, Je penfe, exprés chez lui m'a forcé de difner. Je l'avois bien prévû. Depuis prés d'une année, J'éludois tous les jours fa poursuite obstinée. Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main.: 20 Ah ! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous attens demain. N'y manquez pas au moins. J'ay quatorze bouteilles D'un vin vieux ... Boucingo n'en a point de pareilles :

REMARQUES.

Pourquoi s'en émouvoir la bile?
Nous n'aurons qu'à changer de lien:
Nous allions à l'Hôtel de Ville,
Et nous irons à l'Hôtel-Dieu.

VERS 6. Et de bifques nour rie.] Les Bifques êtoient alors un mets fort eftimé.

VERSIO. A-t-on par quelque Edit reformé la cuifine?] On publia alors divers Edits de réformation.

CHANG. Vers 12. Vos vins vos melons.] Dans la première Edition il y avoit, Vos vins on vos melons.

CHANG. Vers 13. Répondez

donc enfin.] Il y avoit ici : Répon dez donc du moins.

VERS 15. Je fors de chez un Fat.] C'est celui qui avoit donné le dîner; mais c'eft un Perfonnage feint.

CHANG. Vers 19. Mais hier.] Il y avoit dans les premières Editions: Quand hier.

VERS 22. Boucingo &c.] Illuftre Marchand de vin. DES P.

Et je gagerois bien que chez le Commandeur, Villandri priferoit sa féve, & sa verdeur. 25 Moliere avec Tartuffe y doit jouer fon rôle : Et Lambert, qui plus eft, m'a donné fa parole. C'est tout dire en un mot, & vous le connoissez. Quoi Lambert? Oui, Lambert. A demain. C'eft affez. Ce matin donc, féduit par fa vaine promeffe, 30 J'y cours, midi fonnant, au fortir de la Messe. A peine eftois-je entré, que ravi de me voir, Mon Homme, en m'embrassant, m'est venu recevoir, Et montrant à mes yeux une allegreffe entiere, Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere: 35 Mais puifque je vous voy, je me tiens trop content. Vous eftes un brave homme: Entrez. On vous attend.

REMARQUES.

ton,

Seigneur de Villandri, Confeiller d'Etat, Gentilhomme de la Chambre du Roi.

VERS 25. Moliere avec Tartuffe.] Le Tartuffe en ce temps-là, avoit efté deffendu, & tout le monde vouloit avoir Moliere pour le lui entendre reciter. DES P.

VERS 26. Et Lambert.] LAMBERT le fameux Muficien, eftoir un fort bon homme, qui promettoit à tout le monde de venir: mais qui ne venoit jamais. DESP.

VERS 23.1 Chez le Commandeur. JACQUES de Souvré, Commandeur de S. Jean de Latran, & enfuite Grand Prieur de France, aimoit la bonne chère, & tenoit ordinairement une ta ble fomptueufe, à laquelle affiftoient fouvent M. du Brouffin, & M. de Villandri, qui eft nommé dans le Vers fuivant. Les repas du Commandeur êtoient re nommés en ce tems-là, & SaintEvremond en fait mention dans La Converfation avec le Duc de Candale, Le Commandeur de Sou-vré êtoit Fils du Maréchal de Souvré, Gouverneur de Louis XIII. & Oncle de Madame de Louvois. VERS 24. Villandri priferoit.] Homme de qualité, qui alloit fréquemment chez le Commandeur de Souvré. DES P. Ilêtoit fils de Baltazar le Bre--fon Gendre.

Michel Lambert êtoit l'homme de France,qui chantoit le mieux, & on le regardoit comme l'inventeur du beau chant. Il mourut à Paris au mois de Juin 1696. âgé de quatre-vingt-fept ans. Son corps fut mis dans le tombeau de Jean-Baptifte Lullà

A ces mots, mais trop tard, reconnoiffant ma faute
Je le fuis en tremblant dans une chambre haute,
Où malgré les volets, le Soleil irrité

40 Formoit un poëfle ardent, au milieu de l'efté.
Le couvert eftoit mis dans ce lieu de plaisance :
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoissance,
Deux nobles Campagnards, grands lecteurs de Romans
Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs complimens.
45 J'enrageois. Cependant on apporte un potage.
Un coq y paroiffoit en pompeux équipage,
Qui changeant fur ce plat & d'eftat & de nom,
Par tous les Conviez s'eft appellé chapon.

Deux affiettes fuivoient, donc l'une eftoit ornée
Jo D'une langue en ragouft de perfil couronnée :

REMARQUES.

VERS 43: gnards, &c.] De ces deux Cani pagnards il n'y en a qu'un qui foit un perfonnage réel. Voïés le Vers 173.

Deux nobles Campa

VERS 44. Qui m'ont dit tout Cy rus &c.] Roman de dix tômes de Mademoiselle de Scuderi, DESP.

Artamene ou le Grand Cyrus, eft rempli de longues converfations, & fur tout de grands complimens fort ennuïeux. C'eft pourquoi Furetière a dit dans 'Hiftoire des troubles arrivés au Royaume d'Eloquence Que les Bourgeois de cette Place (le Roman de Cyrus) affectoient furtout d'être fort civils, & de fort bon entretien. La plufpart des gens de Province, qui s'imaginoient que le ftile de ces Romans êtoit le ftile de la Cour, & un modèle de politeffe, formoient leur lan

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gage & leurs complimens fur le Cyrus & fur la Clélie dont ils retenoient les façons de parler. Ces Romans, dont le goût s'êtoit répandu dans toute la France, avoient auffi produit les Précienfes, caractère, que Moliere a fi bien joué. Les premiers Volumes du Roman de Cyrus commencerent à paroître en 1649.

VERS 45. Cependant on apporte un potage, &c.] M. Fourcroy, célèbre Avocat, s'avifa un jour de donner un repas femblable en tout à celui qui eft décrit dans cette Satire, à M. de Lamoignon, Avocat Général; à M. de Menars, Maître des Requêtes, enfuite Préfident à Mortier; à M. Defpréaux; & à quelques autres, Mais fa plaifanterie ne plût point aux conviés; & l'on dit alors que ces fortes de repas font bons à décrire & non pas à donner,

L'autre d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondoit tous les bords.
On s'affied: mais d'abord, noftre Troupe ferrée
Tenoit à peine autour d'une table quarrée :
55 Où chacun malgré foi, l'un fur l'autre porté,
Faifoit un tour à gauche, & mangeoit de costé.
Jugez en cet eftat fi je pouvois me plaire,
Moy qui ne compte rien ni le vin, ni la chere;
Si l'on n'eft plus au large affis en un festin,
60 Qu'aux Sermons de Caffaigne, ou de l'Abbé Cotin.

REMARQUES.

VERS 8. Moi qui ne compte rien ni le vin, ni la chere. ] Il auroit pu mettre: Moi qui compte pour rien & le vin & la chère. Mais il a crû l'autre manière plus conforme à l'ufage. L'un

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& l'autre fe peuvent dire. Cependant il femble que l'ufage y ait mis cette différence, qu'après Ne compter pour rien il faut une négation; & après. Compter pour rien, il faut une affirmation: Jene compte pour rien ni le vin ni la chère. Moi qui compte pour rien & le vin & la chère. VERS 60. Qu'aux Sermons de Caffaigne, ou de l'Abbé Cotin.] Ce fut l'Abbé Furetière, qui indiqua à nôtre Auteur les deux mauvais Prédicateurs qui font ici nommés; l'Abbé Caßaigne & l'Abbé Cotin, tous deux de l'Académie Françoife. Jacques Caffaigne, de la Ville de Nimes, êtoit Docteur en Théologie, & Prieur de faint Etienne. Il fut reçu à l'Académie Françoife en l'année 1661. à la place de SaintAmant & mourut au mois de Mai 1679. Il a fait la Préface des Oeuvres de Balzac, qui eft eftimée il a encore traduit Salufte, &c. Il eut affés de bon fens pour ne témoigner aucun reffentiment contre l'Auteur des Satires.

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L'Abbé Cotin ne fit pas de mê

me. Il ne put fouffrir que fon talent pour la Chaire lui fut contefté. Pour s'en vanger, il fit une mauvaise Satire contre M. Defpréaux, dans laquelle il lui reprochoit, comme un grand crime, d'avoir imité Horace & Juvénal. Cotin ne s'en tint pas là: il publia un Libelle en profe, intitulé: La Critique défintéressée fur les Satires du tems; dans lequel il chargeoit nôtre Auteur des injures les plus groffières, & lui imputoit des crimes imaginaires. Il s'avifa encore malheureufement pour lui, de faire entrer Molière dans cette difpute, & ne l'épargna pas plus que M. Defpréaux. Celui-ci ne s'en vangea que par de nouvelles railleries, comme on le verra dans les Satires fuivantes; mais Molière

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