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reur des vices, & d'en faire voir le ridicule. Ce qui souvent est plus capable , que les discours serieux d'en détourner plusieurs personnes, selon cette parole d'un Ancien,

(21) Ridiculum acri Fortiùs ac melius magnas plerumque fecat res. Et ce seroit en vain qu'on objecteroit, qu'il ne s'est point contenté, dans son quatriéme portrait , de combattro l'avarice en general, l'ayant appliquée à deux personnes connues. Car ne les ayant point nommées, il n'a rien appris au public qu'il ne içûft déja: Or comme ce seroit porter trop loin cette prétendue regle de ne point nommer les personnes, que de vouloir qu'il fuít interdit aux Prédicateurs de se servir quelquefois d'histoires connuës de tout le monde, pour porter plus efficacement leurs Auditeurs à fuir de certains vices; ce seroit aussi en abuser que d'étendre cette interdi&ion jusqu'aux Auteurs de Satires.

Ce n'est point aussi comme vous le prenez. Vous prétendez que Monsieur Despreaux a encore nommé les personnes dans cette derniere Satire, & d'une maniere qui a déplu aux plus enclins à la médisance. Et toute la preuve que vous en donnez , est qu'il a fait revenir sur les rangs Chapelain, Cotin, Pradon, Corras, & plusieurs autres : ce qui est, dites-vous , la chose du monde la plus ennuyeuse, de la plus degoûtante. Pardonnez-moy, si je vous dis, que vous ne prouvez point du tout par-là ce que vous aviez à prouver. Car'il s'agissoit de sçavoir , & Monsieur Despreaux n'avoit pas contribué à inspirer une bonne Morale, en blâmant dans sa Satire les mêmes defauts, que les Prédicateurs blâment dans leurs Sermons. Vous aviez répondu que pour inspirer une bonne Morale, soit

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21) Ridiculum &c.] Horace, Liv. I. Sat. X. 14. BROSS,

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par les Satires , soit par les Sermons, on doit combat: tre les vices en general, sans nommer les personnes. Il falloit donc montrer, que l'Auteur de la Satire avoit nommé les Femmes dont il combattoit les defauts. Or Chapelain , Cottin, Pradon, Corras, ne sont pas des noms de Femmes, mais de Poëtes. Ils ne sont donc pas propres à montrer que Monsieur Despreaux , combattant differens vices de Femmes

ce que vous avouez luy avoir esté permnis, se soit rendu coupable de médisance, en nommant des Femmes particulieres, à qui il les auroit attribués.

Voilà donc, Monsieur Despréaux juflifié selon vousmême sur le sujet des Femmes, qui est le capital de sa Satire. Je veux bien cependant examiner avec vous, s'il est coupable de médisance à l'égard des Poëtes.

C'est ce que je vous avouë ne pouvoir comprendre. Car tout le monde a crû jusques icy, qu’un Auteur pouvoit écrire contre un Auteur, remarquant les defauts qu'il croyoit avoir trouvé dans ses Ouvrages, fans passer pour médisant, pourveu qu'il agifte de bonne foy, sans luy impofer , & sans le chicaner; lors sur tout qu'il ne reprend que de veritables défauts.

Quand, par exemple, le P. Goulu General des Feüillans, publia il y a plus de soixante ans deux vojumes contre les Lettres de Monsieur de Balzac , qui faisoient grand bruit dans le monde, le Public s'en divertit ; les uns prenoient parti pour Balzac , les autres pour le Feuillant: mais personne ne s'avisa de l'accuser de médisance, & on ne fit point non plus de reproche à Javerfac, qui avoit écrit contre l'un & contre l'autre. Les guerres entre les Auteurs passent pour innocentes, quand elles ne s'attachent qu'à la Critique de ce qui regarde la Littérature, (22) la

REM A Rev E s. ( 22 ) la Grammaire, la Poësie, l'Eloquence ; ] Il y a ainsi dans

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ce ne

faits ;

Grammaire, la Poësie, l'Eloquence ; & que l'on n'y
méle point de calomnies & d'injures personnelles. Or
que fait autre chose Monsieur Despreaux à l'égard
de tous les Poëtes qu'il a nommés dans ses Satires,
Chapelain, Cotin , Pradon, Corras, & autres, fi-
non d'en dire son jugement , & d'avertir le Public

que
sont
pas

des modeles à imiter? Ce qui peut etre de quelque utilité pour faire éviter leurs defauts, & peut contribuer même à la gloire de la Nation , à qui les Ouvrages d'esprit font honneur, quand ils sont bien

comme au contraire ç'a efté un deshonneur à la France d'avoir fait tant d'estime des pitoyables Poëfies de Ronsard.

Celui dont Monsieur Despreaux a le plus parlé,
c'est Monsieur Chapelain. Mais qu'en a-t-il dit? ii
en rend lui-même compte au Public dans la neuyić-
me Satire.
(33) il a tort dira l’un ; pourquoi faut-il qu'il nomme ?
Attaquer Chapelain! Ab! c'est un fa bon homme.
Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers.
Il est vrai, s'il m'eust crû , qu'il n'eust point fait de Verso
Il se tuë à rimer:que n'écrit-il en Prose?
Voilà ce que l'on dit; ego que dis-je autre chose ?
En blâmant ses Ecrits, ai-je d'un stile affreux
Distilé sur sa vie un venin dangereux ?
Ma Mufe, en l'attaquant , charitable con discrete,
Sçait de l'homme d'honneur distinguer le Poëte:
Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité,
Qu'on prise sa candeur, a su civilité,
Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincere;
On le veut , j'y souscris, (y suis preft de me taire.

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R E MARQUE S.

l'Edition de 1713. & dans toutes 1701. porte : la Grammaire , Poë.
celles faites depuis , aussi bien fie, Eloquence.
que dans le Recueil des Lettres (23) Il a tort, dira l'un ; &c.]
de M. Arnauld, L'Edition de Sas, IX, Vers 202. & fuiy,

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Mais que pour un modele on montre ses écrits

Qu'il soit le mieux renté de tous les beaux Esprits, Comme Roy des Auteurs qu'on l'éleve à l'Empire, Mabile alors s'échauffe , ego je brûle d'écrire. Cependant, MONSIEUR

vous ne pouvez pas douter que ce ne soit estre médisant, que de taxer de médisance celuy qui n'en seroit pas coupable. Or fi on prétendoit que Monsieur Despreaux s'en fust rendu coupable, en disant que Monsieur Chapelain , quoique d'ailleurs honneste, civil & officieux , n'estoit pas un fort bon Poëte, illuy seroit bien aisé de confondre ceux qui lui feroient ce reproche ; il n'auroit qu'à leur faire lire ces Vers de ce grand Poëte sur la belle Agnés. On voit hors des deux bouts de ses deux courtes manches Sortir à découvert deux mains longues dos blanches, Dont les doigts inégaux , mais tous ronds menus Imitent l'embonpoint des bras ronds de charnus.

Enfin, MONSIEUR, je ne comprends pas comment vous n'avez point apprehendé, qu'on ne vous appliquât ce que vous dites de Monsieur Despreaux (24) dans vos Vers; Qu'il croit avoir droit de maltraiter dans ses Satires ce qu'il lui plait , pg que la raison a beau luy crier sans cesse , que l'équuté naturelle nous deffend de faire à autrey ce que nous ne voudrions pas(25) qui nous

à Soit fait à nous-mêmes. Cette voix ne l'émeut point. Car si vous le trouvez blåmable d'avoir fait parler la Pucelle & le Jonas pour de méchans Poëmes, pourquoy ne le seriez-vous pas d'avoir parlé avec tant de mépris de son Ode Pindarique, qui paroist avoir esté fi eiti

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REMARQU E S.

(24) Dans vos Vers. ] Il fal. ait. Les Editions de 1701, & de loit : Dans zôtre Préface. 1713. ont, qu'il nous soit &c, c'est

(25) qui nous soit &c.] C'est une faure corrigée par MM. ainsi qu'il y a dans la Préface de Brossette , & Du Monteil , mais M. Perranli , & qu'il faut qu'il y rétablie dans les Editions de

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mée, que (26) trois des meilleurs Poëtes Latins de ce temps ont bien voulu prendre la peine d'en faire chacun une Ode Latine. Je ne vous en dis

pas

davantage. Vous ne voudriez pas, sans doute, contre la deffense que Dieu en fait, avoir deux poids & deux mesures.

Je vous supplie, MONSIEUR, de ne pas trouver mauvais qu'un homme de mon âge vous donne ce dernier avis en vrai ami.

On doit avoir du respect pour le jugement du Public; & quand il s'est déclaré hautement pour un Auteur , ou pour un Ouvrage, on ne peut gueres le combattre de front & le contredire ouvertement , qu'on ne s'expose à en estre maltraité. Les vains efforts du Cardinal de Richelieu contre le Cid en font un grand exemple; & on ne peut rien voir de plus heureusement exprimé que ce qu'en dit votre Adverfaire.

En vain contre le Cid un Ministre se ligue:
Tout Paris pour Chimene a les yeux de Rodrigue,
L'Academie en corps a beau le censurer ;

Le public révolté s'obstine à l'admirer. Jugez par-là, MONSIEUR, de ce que vous devez esperer du mépris que vous tâchez d'inspirer pour les Ouvrages de Monsieur Despreaux dans vôtre Préface. Vous n'ignorez pas combien ce qu'il a mis au jour a esté bien receu dans le monde, à la Cour, à Paris, dans les Provinces, & même dans tous les Païs étrangers, où l'on entend le François. Il n'est pas moins certain que tous les bons connoisseurs (27) trouvent

R & MAR e o E s.

1735. & de 1740. Il y a dans le & de Saint-Remy. Bross. Recueil des Lettres de M. AR- ( 27 ) trouvent le même esprit , NAULD : qui nous soit &c. le même art, ca les mêmes agré.

(26) trois des meilleurs Poëtes mens dans les autres Piéces Lutins 1 MM, Rollin , Lenglet, dans for Satires.] C'est aina qu'on

i que

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