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Et tous ces lieux communs de Morale lubrique,
Que Lully rechauffa des fons de fa Mufique?
Mais de quels mouvemens dans fon cœur excitez,
Sentira-t-elle alors tous fes fens agitez?

On trouvera quelque chofe de femblable dans un Livre imprimé il y a dix ans. Car on y fait voir par l'autorité des Payens mêmes, combien c'eft une cho fe pernicieuse de faire un Dieu de l'Amour, & d'infpirer aux jeunes personnes qu'il n'y a rien de plus doux que d'aimer. Permettez-moi, MONSIEUR, de rap. porter ici ce qui eft dit dans ce Livre,qui eft affez rare. Peut-on avoir un peu de zéle pour le falut des ames: qu'on ne déplore le mal que font dans l'efprit d'une infinité de perfonnes, les Romans, les Comedies, & les Opera? Ce n'est pas qu'on n'ait foin prefentement de n'y rien mettre qui foit groffierement deshonnefte: mais c'eft qu'on s'y étudie à faire paroistre l'Amour comme la chofe du monde la plus charmante, & la plus douce. Il n'en faut pas davantage pour donner une grande pente à cette malheureufe paffion. Ce qui fait souvent de fi grandes playes, qu'il faut une grace bien extraordinaire pour en guerir. Les Payers mêmes ont reconnu combien cela pouvoit caufer de defordres dans les mœurs. (6) Car Ciceron ayant rapporté les vers d'une Comedie, où il eft dit que l'Amour est le plus grand des Dieux (ce qui ne fe dit que trop dans celles de ce temps-cy) il s'écrie avec raifon: 0 la belle réformatrice des mœurs que la Poefie, qui nous fait une divinité de l'Amour, qui eft une fource de tant de folies de déreglemens honteux ! Mais il n'est pas étonnant de lire de telles chofes dans une Comédie ;

REMARQUES.

(6) Car Ciceron ayant rapporté les vers d'une Comedie, ] Du Poëte CE'CILIUS. Après quoi CICE'RON s'écrie: O præclaram emendatricem vite, poëticam! que Amo

rem, flagitii & levitatis auctorem; in concilio Deorum collocandum putet. De Comedia loquor &c. Cic. Tufcul. Liv. IV. vers la fin, BROS

SETTE.

puifque nous n'en aurions aucune, fi nous n'approuvions ces defordres: De comoedia loquor, qua, fi hac flagitia non approbaremus, nulla effet omnino.

Mais ce qu'il y a de particulier dans l'Auteur de la Satire, & en quoi il eft le plus loüable, c'est d'avoir reprefenté avec tant d'efprit & de force, le ravage que peuvent faire dans les bonnes mœurs les vers de l'Opera, qui roulent tous fur l'Amour, chantés fur des airs, qu'il a eu grande raifon d'appeller luxurieux; puifqu'on ne fçauroit s'en imaginer de plus propres à enflâmer les paffions, & à faire entrer dans les cœurs la Morale lubrique des Vers. Et ce qu'il y a de pis, c'eft que (7) le poifon de ces chanfons lafcives ne fe termine pas au lieu où fe joüent ces pieces mais fe répand par toute la France, où une infinité de gens s'appliquent à les apprendre par cœur, & se font un plaifir de les chanter par tout où ils fe trou

vent.

Cependant, MONSIEUR, bien loin de reconnoiftre le fervice que l'Auteur de la Satire a rendu par-là au Public, vous voudriez faire croire, que c'eft pour donner un coup de dent à Mr. Quinault, Auteur de ces vers de l'Opera, qu'il en a parlé fi mal; & c'eft dans cet endroit-là même, que vous avez crû avoir trouvé des mots deshonneftes dont la pudeur eft offenfée.

Ce qui m'a auffi beaucoup plû dans la Satire, c'est ce qu'il dit contre les mauvais effets de la lecture des Romans. Trouvez bon, MONSIEUR, que je le rapporte encore icy:

REMARQUES.

(7) le poifon de ces chansons lafcives &c.] Ce que M. Arnauld & M. Defpréaux ont dit de la Morale lubrique & des Chanfons de l'Opera, CICE'RON l'avoit dit suparavant des POETES. Sed wi

defne, dit-il, Poëta quid mali afferant? Lamentantes inducunt fortiffimos viros: molliunt animos noftros: ita funt deinde dulces ut non legantur modo, fed etiam edifcan. tur. Sic ad malam domefticam dif

(8) Suppofons toutefois qu'encor fidelle & pure,
Sa vertu de ce choc revienne fans blessure,
Bien-toft dans ce grand monde, où tu vas l'entraîner,
Au milieu des écueils qui vont l'environner,
Crois-tu que toujours ferme aux bords du précipice,
Elle pourra marcher fans que le pied lui gliffe;
Que toujours infenfible aux difcours enchanteurs
D'un idolâtre amas de jeunes Seducteurs,
Sa fageffe jamais ne deviendra folie?

D'abord tu la verras, ainfi que dans Clelie,
Recevant fes Amans fous le doux nom d'Amis,
S'en tenir avec eux aux petits foins permis,
Puis bien-toft en grande eau fur le fleuve de Tendre
Naviger à fouhait, tout dire & tout entendre.
Et ne préfume pas que Venus, ou Satan,
Souffre qu'elle en demeure aux termes du Roman.
Dans le crime il fuffit qu'une fois on débutte,
Une chute tousjours attire une autre chute:
L'honneur eft comme une Ifle escarpée & fans bords.
On n'y peut plus rentrer dés qu'on en eft. dehors.

Peut-on mieux reprefenter le mal que font capables de faire les Romans les plus eftimés, & par quels degrés infenfibles ils peuvent mener les jeunes gens, qui s'en laiffent empoifonner, bien loin au delà des termes du Roman, & jufqu'aux derniers defordres ? Mais parce qu'on y a nommé la Clelie, il n'y a prefque rien dont vous faffiez un plus grand crime à l'Auteur de la Satire. Combien, dites-vous, a-t-on efté indigné de voir continuer fon acharnement fur la Clelie? L'ef "time qu'on a toûjours faite de cet Ouvrage, & l'extrême veneration qu'on a toûjours euë pour (9) l'illuftre Per

REMARQUES.

ciplinam, vitamque umbratilem delicatam cùm accefferunt etiam Poëta nervos omnes virtutis elidunt. TUSCUL. Liv. II. avant le milicu. BROSS.

(8) Suppofons toutefois &c. 1 Vers 149. & fuiv. DU MONTEIL. (9) Pilluftre Perfonne qui l'a compofé, ] Mademoiselle de Scn. deri. BROSS.

fonne qui l'a compofé, ont fait foulever tout le monde contre une attaque fi souvent & fi inutilement repetée. Il paroift bien que le vray merite eft bien plutoft une raison pour avoir place dans ces Satires, qu'une raison d'en eftre exempt.

Il ne s'agit point, MONSIEUR, du merite de la Perfonne qui a compofé la Clelie, ni de l'eftime qu'on a faite de cet Ouvrage. Il en a pû meriter pour l'esprit, pour la politeffe, pour l'agrément des inventions, pour les caracteres bien suivis, & pour les autres chofes qui rendent agreable à tant de personnes la lecture des Romans. Que ce foit, fi vous voulez, le plus beau de tous les Romans: mais enfin c'est un Roman. C'est tout dire. Le caractere de ces pieces eft de rouler fur l'Amour, & d'en donner des leçons d'une maniere ingenieuse, & qui foit d'autant mieux receuë, qu'on en écarte (10) le plus en apparence tout ce qui pourroit paroiftre de trop groffierement contraire à la pureté. C'eft par-là qu'on va infenfiblement jufqu'au bord du précipice, s'imaginant qu'on n'y tombera pas, quoiqu'on y foit déja à demi tombé par le plaifir qu'on a pris à fe remplir l'efprit & le cœur de la doucereufe Morale qui s'enfeigne au pays de Tendre. Vous pouvez dire, tant qu'il vous plaira, que cet Ouvrage eft en veneration à tout le monde. Mais voici deux faits dont je fuis tres-bien informé. Le premier eft que (11) feu Madame la Princesse de Conty & Madame de Longueville, ayant fceu que Monfieur Defpreaux avoit fait (12) une piece en Profe contre les Romans, où la Clelie n'eftoit pas

REMARQUES.

(10) le ] Ce Monofillabe, néceffaire ici, manque dans l'Edition de 1701.

(11) Fu Madame ] Il y a dans l'Edition de 1713. & daus toutes celles qui Pont fuivic,

Fenë Madame. C'eft une faute contre la Langue. Ce mot feu qui vient du Latin fuit, eft un indéclinable de tout Genre & de tout Nombre,

(12) une Piéce en Profe contra

'épargnée; comme ces Princeffes connciffoient mieux que perfonne, combien ces lectures font dangereufes : elles lui firent dire qu'elles feroient bien aifes de la voir. Il la leur récita; & elles en furent tellement fatisfaites, qu'elles témoignerent fouhaiter beaucoup qu'elle fût imprimée. Mais il s'en excufa, pour ne pas s'attirer fur les bras de nouveaux Ennemis.

L'autre fait eft, qu'un Abbé de grand merite, & qui n'avoit pas moins de pieté que de lumiere, fe réfolut de lire la Clelie, pour en juger avec connoiffance de caufe; & le jugement qu'il en porta, fut le même que celuy de ces deux Princeffes. Plus on eftime l'illuftre Perfonne à qui on attribue cet Ouvrage, plus on eft porté à croire qu'elle n'eft pas à cette heure d'un autre fentiment que ces Princeffes, & qu'elle a un vrai repentir de ce qu'elle a fait autrefois lorf qu'elle efloit moins éclairée. Tous les amis de (13) Monfieur de Gomberville, qui avoit aufsi beaucoup de merite, & qui a efté un des premiers Académiciens, fçavent que ç'a efté fa difpofition à l'égard de fon Polexandre; & qu'il eût voulu, fi cela eût eflé poffible, l'avoir effacé de fes larmes. Suppofé que Dieu ait fait la même grace à la perfonne que

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(13) Monfieur de Gomberville,] MARIN le Roi de Gomberville, de l'Académie Françoife.Outre fon Poléxandre, il a compofé encore deux autres Romans la Cythérée & la jeune Alciane, BROSS.

Tous les Editeurs ont fait la même faute que M. Broffette. Ils ont tous mis, la jeune Alciane, au lieu de La Jeune Alcidiane.

M. Dodart dans fa Lettre, que

j'ai citée plus haut, femble donner à M. Arnauld une espèce de démenti fur ce qui concerne GOMBERVILLE. Je me fouviens, dit-il, que fes M. de Gomberville moins pieux fur la fin de fa converfion qu'au commencement, me releva rudement fur le compliment que je lui fis exprès fur fon regres d'avoir fait le Polexandre, Com que j'en fus très-fcandalife. M. Dodart fe peint dans ce peu de paroles. On y voit une délicateffe de confcience portée jufqu'à la tétricité.

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