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au lieu que fi on ne fe fuft fervi d'un autre mot que Ciceron laiffe fous-entendre, & qu'il n'a eu garde d'écrire, Nemo dit-il, tuliffet, perfonne ne l'auroit pû fouffrir.

Il est donc conftant, felon tous les Philofophes, & les Stoïciens mêmes que les Hommes font convenus, que la mefme chofe eftant exprimée par de certains terines, elle ne blefferoit pas la pudeur; & qu'estant exprimée par d'autres, elle la blefferoit. Car les Stoïciens mêmes demeuroient d'accord de cette forte

de convention mais la croyant déraisonnable, ils foûtenoient qu'on n'eftoit point obligé de la fuivre. Ce qui leur faifoit dire: nihil effe obfcænum nec in verbo nec in re ; & que le Sage appelloit chaque chofe par fon nom.

Mais comme cette opinion des Stoïciens eft infoû tenable, & qu'elle eft contraire à S. Paul, qui met entre les vices, Turpiloquium, les mots fales; il faut neceffairement reconnoître, que la même chofe peut eftre exprimée par de certains termes qui feroient fort deshonneftes; mais qu'elle peut auffi eftre exprimée par de certains termes qui ne le font point du tout au jugement de toutes les personnes raifonnables. Que fi on veut en fçavoir la raifon, que Cicéron n'a point donnée, on peut voir ce qui en a efté écrit dans l'Art de penfer, premiere partie chap. treiziéme.

Mais fans nous arrefter à cette raison, il eft certain que dans toutes les langues policées, car je ne fçai pas s'il en eft de mefme des langues fauvages; il y a de certains termes que l'ufage a voulu qui fusfent regardez comme deshonneftes & dont on ne pourroit fe fervir fans bleffer la pudeur ; & qu'il y en a d'autres qui fignifiant la mefme chofe ou les mefmes actions, mais d'une maniére moins groffiere, & pour ainfi dire, plus voilée, n'étoient point cenfés deshonneftes. Et il falloit bien que cela fuft ainfi. Car fi certaines chofes qui font rougir, quand on les exprime

trop groffierement, ne pouvoient eftre fignifiées par d'autres termes dont la pudeur n'eft point offenfée, il y a de certains vices dont on n'auroit point pû parler, quelque néceffité qu'on en euft, pour en donner de l'horreur, & pour les faire éviter.

Cela eftant donc certain, comment n'avez-vous point vû que les termes que vous avez repris, ne pafferont jamais pour deshonneftes? Les premiers font les voix luxurieufes, & la morale lubrique de l'Opera. Ce que l'on peut dire de ces mots, luxurieux & lubrique, eft qu'ils font un peu vieux : ce qui n'empêche pas qu'ils ne puiffent bien trouver place dans une Satire. Mais il eft inoüy qu'ils ayent jamais efté pris pour des mots deshonneftes, & qui bleffent la pudeur. Si cela eftoit, auroit-on laiffé le mot de luxurieux dans les Commandemens de Dieu que l'on apprend aux enfans? Les rendez-vous chez la Cornu, font affurément de vilaines chofes pour les perfonnes qui les donnent. C'eft auffi dans cette veuë que l'Auteur de la Satire en a parlé, pour les faire détefter. Mais quelle raifon auroit-on de vouloir que cette expreffion foit mal-honnefte? Eft-ce qu'il auroit mieux valu nommer le métier de la Cornu par fon propre nom? C'eft au contraire ce qu'on n'auroit pû faire fans bleffer un peu la pudeur. Il en eft de mefme des plaifirs de l'Enfer goûtez en Paradis. Et je ne voi pas que ce que vous en dites foit bien fondé. C'eft, dites-vous, une expreffion fort obfcure. Un peu d'obscurité ne fied pas mal dans ces matieres. Mais il n'y en a point icy que les gens d'efprit ne developpent fans peine, il ne faut que lire ce qui précede dans la Satire, qui eft (3) la fin de la fauffe Dévote:

REMARQUES.

(3) la fin de la fauffe Dé- du Portrait de la fauffe Dévote, Note: Il a voulu dire: la fin BROSS.

(4) Voilà le digne fruit des foins de fon Docteur.
Encore eft-ce beaucoup, fi ce Guide impofteur,
Par les chemins fleuris d'un charmant Quietisme
Tout-à-coup l'amenant au vrai Molinozifme,
Il ne lui fait bien-toft, aidé de Lucifer,
Goûter en Paradis les plaifirs de l'Enfer.

N'eft-il pas loüable d'avoir cherché les plus noires couleurs qu'il a pû, pour donner de l'horreur d'un fi déteftable abus, dont on a vû depuis peu de fi terribles exemples? On voit affez que ce qu'il a entendu par ce que nous venons de rapporter, eft le crime d'un Directeur hypocrite, qui aidé du Demon fait goûter des plaifirs criminels dignes de l'Enfer, à une malheureufe qu'il auroit feint de conduire en Paradis. Mais, dites-vous, on ne peut creufer cette pensée que l'imagination ne fe faliffe effroyablement. Si creufer une pensée de cette nature, c'eft s'en former dans l'imagination une image fale, quoy qu'on n'en euft donné aucun fujet, tant pis pour ceux qui, comme vous dites,creuferoient celle-cy. Car ces fortes de pensées revêtuës de termes honneftes, comme elles le font dans la Satire, ne prefentent rien proprement à l'imagination, mais feulement à l'efprit, afin d'infpirer de l'averfion pour la chofe dont on parle, Ce qui bien loin de porter au vice, eft un puiffant moyen d'en détourner. Il n'eft donc pas vray qu'on ne puiffe lire cet endroit de la Satire, fans que l'imagination en foit falie: à moins qu'on ne l'ait fort gâtée par une habitude vicieuse d'imaginer ce que l'on doit feulement connoiftre pour le fuir, felon cette belle parole de Tertullien, fi ma mémoire ne me trompe, Spiritualia nequitia, non amicâ confcientiâ, fed inimicâ scientiâ novie

mus.

REMARQUES.

(4) Voilà le digne fruit &c.] Vers 619. & fuiv. DU MONTEIL

Cela me fait fouvenir de la fcrupuleufe pudeur du P. Bouhours, qui s'eft avifé de condamner tous les Traducteurs du nouveau Testament pour avoir traduit, Abraham genuit Ifaac, Abraham engendra Ifaac; parce, dit-il, que ce mot engendra, falit l'imagination. Comme fi le mot Latin, genuit, donnoit une autre idée que le mot engendrer en François. Les perfonnes fages & modeftes ne font point de ces fortes de reflexions, qui banniroient de nôtre langue une infinité de mots, comme celui de concevoir, d'ufer du mariage, de confommer le mariage, & plufieurs autres. Et ce feroit auffi envain que les Hébreux loüeroient la chasteté de la langue fainte dans ces façons de parber, Adam connut fa femme, & elle enfanta Cain. Car ne peut-on pas dire qu'on ne peut creufer ce mot connoifire fa femme, que l'imagination n'en foit falie? S. Paul a-t-il eu cette crainte, quand il a parlé en ces termes de la fornication, dans la premiere Epiftre aux Corinthiens, chap. 6. Ne fçavez-vous pas dit-il, que vos corps font les membres de Fefus-Chrift? Arracherai-je donc à Jesus-Chrift fes propres membres pour en faire les membres d'une Proftituée? A Dieu ne plaife. Ne fçavez-vous pas que celuy qui fe joint à une Prostituée, devient un même corps avec elle? car ceux qui estoient deux, ne feront plus qu'une même chair, dit Ï'Ecriture: mais celuy qui demeure attaché au Seigneur, eft un mefme efprit avec luy. Fuyez la fornication. Qui peut douter que ces paroles ne prefentent à l'efprit des chofes qui feroient rougir, fi elles eftoient exprimées en certains termes que l'honnefteté ne fouffre point? Mais outre que les termes dont l'Apoftre fe fert, font d'une nature à ne point bleffer la pudeur, l'idée qu'on en peut prendre, eft accompagnée d'une idée d'execration, qui non feulement empêche que la pudeur n'en foit offenfée: mais qui fait de plus que les Chrétiens conçoivent une grande horreur du vice dont cet Apoftre a voulu détourner les Fideles. Mais veut-on

fçavoir ce qui peut eftre un fujet de fcandalé aux Foibles? C'eft quand un faux Délicat leur fait appre hender une faleté d'imagination, où perfonne avant luy n'en avoit trouvé; car il eft caufe par là qu'ils penfent à quoy ils n'auroient point penfé, fi on les avoit laiffez dans leur fimplicité. Vous voyez donc, MONSIEUR, que vous n'avez pas eu fujet de reprocher à voftre Adverfaire qu'il avoit eu tort de se vanter, qu'il ne luy eftoit pas échappé un feul mot, qui put bleffer le moins du monde la pudeur.

La feconde chofe qui m'a fait beaucoup de peine MONSIEUR, c'eft que vous blâmiez dans voftre Préface les endroits de la Satire, qui m'avoient paru les plus beaux, les plus édifians, & les plus capables de contribuer aux bonnes mœurs, & à l'honnêteté publique. J'en rapporteray deux ou trois exemples. J'ay efté charmé, je vous l'avoue, de ces vers de la page fixiéme.

(5) L'Epoufe que tu prens fans tache en fa conduite,
Aux vertus, m'a-t-on dit, dans Port-Royal inftruite,
Aux Loix de fon devoir regle tous fes defirs.

Mais qui peut t'afurer qu'invincible aux plaifirs,
Chez toy
dans une vie ouverte à la licence,
Elle confervera fa premiere innocence?
Par toi-même bien-toft conduite à l'Opera,
De quel air penfes-tu que ta Sainte verra
D'un fpectacle enchanteur la pompe harmonieuse,
Ces danfes, ces Heros à voix luxurieuse;
Entendra ces difcours fur l'amour seul roulans,
Ces doucereux Renaulds, ces infenfez Rolans,
Sçaura deux qu'à l'Amour, comme au feul Dieu fuprême;
On doit immoler tout, jufqu'à la vertu même :
Qu'on ne fçauroit trop toft se laisser enflammer ;
Qu'on n'a reçeu du Ciel un cœur que pour aimer;

REMARQUES.

(s) L'Eponse que tu prens &c.] Vers 145. & fuiv. Du MONTEIL.

Et

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