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455

LETTRE

DE MONSIEUR

ARNA ULD,

DOCTEUR DE SORBONNE.

AM. PERRAULT, au fujet de la dixiéme Satire de M. DESPRE AUX.

VOUS pouvez eftre furpris, MONSIEUR de ce

que j'ai tant differé à vous faire réponse, ayant à vous remercier de vôtre prefent, & de la maniere honnefte dont vous me faite fouvenir de l'affection que vous m'avez toujours témoignée, vous & Meffieurs vos Freres, depuis que j'ai le bien de vous connoiftre. Je n'ai pû lire voftre Lettre fans m'y trouver obligé Mais pour vous parler franchement, la

REMARQUES.

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Ave

on lit au titre : A M. p** an fujet de ma dixième Satire. Ce qui fe trouve dans les Editions faites depuis.

2°. La Lettre de M. Arnauld eft du. Mai 1694. & dans le Recueil de fes Lettres (Tom. VII. page 413.) elle eft la DCLXI.

3°. On ne peut pas dire que cette Lettre foit le dernier Ouvrage de M. Arnauld, puifqu'il en écrivit depuis deux au P. Malebranche fur des matières do Métaphysique, l'une le 22. Mai

t

lecture que je fis enfuite de la Préface de votre Apo logie des Femmes, me jetta dans un grand embarras, & me fit trouver cette réponse plus difficile que je ne penfois. En voicy la raifon.

Tout le monde fçait que Monfieur Defpreaux eft de mes meilleurs amis, & qu'il m'a rendu des témoignages d'eftime & d'amitié en toutes fortes de temps. Un de mes Amis m'avoit envoyé fa derniere Satire. Je témoignai à cet Ami la fatisfaction que j'en avois euë, & lui marquai en particulier; que ce que j'en eftimois le plus, par rapport à la Morale, c'eftoit la maniere fi ingenieufe, & fi vive dont il avoit repréfenté les mauvais effets que pouvoient produire dans les jeunes perfonnes les Opera, & les Ro mans. Mais comme je ne puis m'empêcher de parler

REMARQUES.

& l'autre le 25. Juillet, qua-
torze jours avant fa mort argi-
vée le 8. Août 1694.

4. Cette Lettre à M. Perrault
ne lui fut point rendue, & fit
à M. Arnauld une véritable af-
faire avec la plufpart de fes Amis
de Paris. Le détail en feroit af-
fés curieux, mais on fent que
je n'y puis pas entrer. Ceux qui
voudront s'en inftruire peuvent
lire dans le Tomé VII. des Let-
tres de M. Arnauld, les DCLVII,
DCLX. DCLXIV. DCLXVIII.
DCLXXV. & DCLXXVIII.avec
une Lettre de M. Dodart, qui ter.
mine le Vol. p. 616. Elle eft da-
tée du 6. Août 1694. & n'arriva
dans le lieu de la retraite de M.
Arnauld qu'après fa mort. S'il
avoit pu la recevoir, elle l'au-
roit conblé de joie, en l'inf-
truifant de la reconciliation de
M. Defpréaux & de M. Perrault,
qu'il fouhaitoit paffionnément,
& pour laquelle beaucoup d'hon
nêtes gens s'entremettoient.

Ce fut M. Racine, qui les raccommoda dans les premiers jours du mois d'Août. Jufques. là,comme on l'apprend par cette Lettre de M. Dodart, M. Perrauls favoit feulement que M. Arnauld avoit écrit quelque chofe au fujet de la Préface de l'Apologie des Femmes, mais il n'en avoit encore rien vu. M. Racine, qu'il queftionna fur ce fujet, ne le mit point au fait, & ne lui dit que des généralités. Je ne dois pas oublier d'avertir d'une erreur de chifre qui fe trouve dans la Remarque 1. fur la Lettre de M. Defpréaux à M. Perrault, Tome III. p. 368. On y lit: il ef certain que M. DESPRE AUX & M. PERRAULT étoient reconciliés dès 1696. Il faut 1694. Je n'en ai parlé que d'après la Lettre de M. Dodart,

°. Avant la reconciliation de ces deux célèbres Adversajres l'Ami, que M. Arnauld avoit chargé de la Lettre, & qui

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à cœur ouvert à mes Amis, je ne lui diffimulai pas que j'aurois fouhaité qu'il n'y eût point parlé (1) de Auteur de Saint Paulin. Cela a efté écrit avant que j'euffe rien fceu de l'Apologie des Femmes, que je n'ai receuë qu'un mois aprés. J'ay fort approuvé ce que vous y dites en faveur des peres & des meres, qui portent leurs enfans à embraffer l'état du mariage par des motifs honneftes & chrétiens, & j'y ai trouvé beacoup de douceur & d'agrément dans les Vers.

Mais ayant rencontré dans la Préface diverses chofes que je ne pouvois approuver fans bleffer ma confcience, cela me jetta dans l'inquietude de ce que j'avois à faire. Enfin, je me fuis déterminé à vous marquer à vous-mefme quatre ou cinq points qui m'y ont fait le

REMARQUES.

ne croïoit pas devoir la rendre à M. Perrault, n'avoit pas fait difficulté d'en donner une Copie à M. Defpréaux. Efpèce d'infidélité, que M. Arnauld désapprouva hautement.

6. Plufieurs des Amis du Docteur trouvoient mauvais qu'il eût écrit fur les matières, qui font l'objet de la Préface de l'Apologie des Femmes. Comme c'eft une objection que l'on a depuis oppofée plufieurs fois à la Lettre de M. Arnauld, je crois qu'il eft de l'équité de rapporter ce qu'il écrivit fur ce fujet pour fa défenfe dans la Lettre DCLXXV. Je n'ai point encore parlé du principal de votre Lettre (y dit-il à M. DoDART), qui eft qu'il y va de mon bonneur qu'on ne voie point celle que j'ai écrite à M. Perrault. C'eft de quoi, Monfieur, je ne faurois demeurer d'accord. Car qu'il me convienne ou non de juger des Ourages de deux Poëtes, ce n'eft pas de quoi il s'agit. La Préface de Apologie des Femmes, qui eft

a

le fujet de ma Lettre, n'est poins une Pièce de Poëfie, & quand c'en feroit une, je n'en aurois pas moins de droit comme Théologien, & même comme Chretien, de répréfenter à l'Auteur qu'il eu très-grand tort de blåmer ce qui eft dans la X. Satire contre les Opera & contre les Romans, & de reprocher à M. Defpréaux de s'être cru permis, à l'exemple d'Horace & de Juvenal, de parler contre le Mariage d'une manière fcandaleufe, & en des termes qui bleffent la pudeur, ce qui eft une outragenfe calomnie. Enfin je ne vois rien dans ma Lettre qui foit indigne de moi fur quoi on me puiffe faire des affaires, fi ce n'eft fort mal à propos.

(1) de l'Auteur de Saint Paulin.] Dans la première Edition de la Satire X. l'Auteur avoit mis quatorze Vers contre M. Perrault, Auteur du Poëme de S. Paulin. Ces Vers ont êté retranchés dans les Editions fuivantes. Voïés la Remarque fur le Vers 459. de la X. Satire, BROSS.

plus de peine, dans l'efperance que vous ne trouveriez pas mauvais que j'agiffe à voftre égard avec cette naïve & cordiale fincerité, que les Chrétiens doivent pratiquer envers leurs Amis.

La premiere chofe que je n'ai pû approuver, c'eft que vous ayez attribué à votre adverfaire cette propofition generale: Que l'on ne peut manquer en fuivant l'exemple des Anciens ; & que vous ayez conclû; que parce qu'Horace & Juvenal ont declamé contre les Femmes d'une maniere fcandaleufe, il avoit penfé qu'il eftoit en droit de faire la même chofe. Vous l'accufez donc d'avoir déclamé contre les Femmes d'une maniere scandaleufe, & en des termes qui bleffent la pudeur, & de s'eftre crû en droit de le faire à l'exemple d'Horace & de Juvenal. Mais bien loin de cela, il declare pofitivement le contraire. Car aprés avoir dit dans fa Préface, qu'il n'apprehende pas que les Femmes s'offenfent de fa Satire, il ajoute, qu'une chofe au moins dont il eft certain qu'elle loueront, c'est d'avoir trouvé moyen dans une matiére auffi délicate que celle qu'il y traitoit, de ne pas laiffer échapper un seul mot qui put bleffer le moins du monde la pudeur. C'est ce que vous-même, MONSIEUR, avez rapporté de lui dans votre Préface; & ce que vous prétendez avoir refuté par ces paroles: Quelle erreur! Eft-ce que des. Heros à voix luxurieufe, des Morales lubriques, des rendez-vous chez la Cornu, & les plaifirs de l'Enfer qu'on goûte en Paradis, peuvent fe prefenter à l'efprit, Jans y faire des images dont la pudeur est offensée?

Je vous avoue MONSIEUR, que j'ai esté extrêmement furpris de vous voir foûtenir une accufation de cette nature contre l'Auteur de la Satire avec fi peu de fondement. Car il n'eft point vray que les termes que vous rapportez foient des termes deshonnêtes, & qui bleffent la pudeur : & la raison que vous en donnez ne le prouve point. S'il eftoit vrai que la pudeur fuft offenfée de tous les termes qui peuvent pre

fenter à noftre efprit certaines chofes dans la matiere de la pureté, vous l'auriez bien offensée vous-mesme, quand vous avez dit, Que les anciens Poëtes enfeignoient divers moyens pour le paffer du mariage, qui font des crimes farmi les Chrétiens, & des crimes abominables. Car y a-t-il rien de plus horrible & de plus infâme que ce que ces mots de crimes abominables prefentent à l'efprit? Ce n'eft donc point par là qu'on doit juger fi un mot eft deshonnefte ou non.

On peut voir fur cela (2) une Lettre de Ciceron à Papirius Poetus, qui commence par ces mots, Amo verecundiam, tu potiùs libertatem loquendi, car c'est ainfi qu'il faut lire, & non pas Amo verecundiam, vel potius libertatem loquendi, (qui eft une faute vifible qui fe trouve prefque dans toutes les éditions de Ciceron.) Il y traite fort au long cette question, fur laquelle les Philofophes eftoient partagez : S'il y a des paroles qu'on doive regarder comme mal-honneftes, & dont la modeftie ne permette pas que l'on fe ferve. Il dit que les Stoïciens nioient qu'il y en euft: il rapporte leurs raifons. Ils difoient que l'obfcenité, pour parler ainfi, ne pouvoit eftre que dans les mots ou dans les chofes; Qu'elle n'eftoit point dans les mots, puifque plufieurs mots eftant équivoques, & ayant diverfes fignifications, ils ne paffoient point pour deshonneftes felon une de leurs fignifications,dont il apporte plufieurs exemples:Qu'elle n'eftoit point auffi dans les chofes; parce que la mefme chose pouvant eftre fignifiée par plufieurs façons de parler, il y en avoit quelques-unes, dont les Perfonnes les plus modeftes ne faifoient point de difficulté de fe fervir; Comme, dit-il, perfonne ne se bleffoit d'entendre dire, Virginem me quondam invitam, is per vim violat

REMARQUES.

( 2 ) une Lettre de Ciceron] Liv. IX, Epitre 22. BROSS,

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