Page images
PDF
EPUB

Voulant fe redreffer foi-mefme on s'estropie, 100 Et d'un original on fait une copie.

L'Ignorance vaut mieux qu'un fçavoir affecté.
Rien n'eft beau, je reviens, que par la verité.

C'est par elle qu'on plaift, & qu'on peut long-temps plaire. L'esprit lasse aisément, fi le cœur n'est fincere. 105 Envain, par fa grimace un Bouffon odieux

A table nous fait rire, & divertit nos yeux.
Ses bons mots ont besoin de farine & de plâtre.
Prenez-le tefte à teste, oftez-lui fon theâtre,
Ce n'eft plus qu'un cœur bas, un Coquin tenebreux.
110 Son visage effuyé n'a plus rien que d'affreux.

J'aime un Esprit aifé qui fe montre, qui s'ouvre,
Et qui plaift d'autant plus, que plus il fe découvre.
Mais la feule Vertu peut fouffrir la clarté.

Le Vice toûjours fombre aime l'obscurité.

115 Pour paroiftre au grand jour, il faut qu'il se déguise.
C'eft luy qui de nos mœurs a banni la franchise.
Jadis l'Homme vivoit au travail occupé,

Et ne trompant jamais, n'eftoit jamais trompé. On ne connoiffoit point la rufe & l'imposture. 120 Le Normand mefme alors ignoroit le parjure.

REMARQUES.

VERS TO En vain, par fa grimace un Bouffon odieux, &c.] On apprend par le Boleana, Nomb. XL. que le Poëte a voulu peindre ici le célèbre Lulli. C'eft en effet là fon véritable caractère, à s'en rapporter à tout ce que l'on fait de lui.

VERS 120. Le Normand mefme

alors ignoroit le parjure. ] L'Au-
teur difoit à propos de ce Vers:
Je date de loin. C'étoit deux cens
ans avant le déluge. Ce n'eft pas
d'aujourd'hui que l'on reproche
aux Normands leur peu de fin-
cérité. Le Roman de la Rofe les
donne pour
Soldats à Male-Bou
che, fol. 25. Edition de 1531.

Male-Bouche que Dieu maudie,
Eut de fouldoyers de Normandie.

Aucun Rheteur encore arrangeant le discours,
N'avoit d'un art menteur enfeigné les détours.
Mais fi-toft qu'aux Humains faciles à seduire,
L'Abondance eut donné le loifir de fe nuire,
125 La Molleffe amena la fausse Vanité.

Chacun chercha, pour plaire, un vifage emprunté.
Pour éblouir les yeux,
la Fortune arrogante

Affecta d'étaler une pompe infolente. L'or éclata par tout fur les riches habits. 130 On polit l'Emeraude, on tailla le Rubis,

Et la laine & la foye en cent façons nouvelles
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles.
La trop courte Beauté monta fur des patins.
La Coquette tendit fes laqs tous les matins,
135 Et mettant la cérufe & le plâtre en usage,

Compofa de fa main les fleurs de fon visage.
L'ardeur de s'enrichir chaffa la bonne foy.
Le Courtizan n'eut plus de fentimens à foy.
Tout ne fut plus que fard, qu'erreur, que tromperie.
140 On vid par tout regner la baffe flatterię.

[blocks in formation]

Nec varios difcet mentiri lana colores.
En ce cas-là ce feroit une Imi-
eation fort imparfaite. Le Vers

de Virgile eft fort fupérieur aux deux qui font içi.

[ocr errors]

Le Parnaffe fur tout fecond en Impofteurs,
Diffama le papier par fes propos menteurs.
De là vint cet amas d'ouvrages mercenaires
Stances, Odes, Sonnets, Epiftres liminaires,
145 Ou toûjours le Heros paffe pour fans pareil,
Et fuft-il louche & borgne, eft reputé Soleil.

Ne crois pas toutefois, fur ce difcours bizarre,
Que d'un frivole encens malignement avare,
J'en veuille fans raison fruftrer tout l'Univers.
150 La loüange agreable est l'ame des beaux Vers.

REMARQUES.

VERS 146. Et fuft-il louche & borgne, eft reputé Soleil.] M. Servien, Sur-Intendant des Finances, n'avoit qu'un œil; & on ne laifloit pas de le traiter de Soleil dans les Epitres dédicatoires, & les autres éloges qu'on lui

Le grand, l'illuflre Abel, Plus clair, plus pénétrant ABEL Servien, Chevalier, Marquis de Sablé & de Châteauneuf, Comte de la Roche-desAubiers Baron de Meudon, Grand-Senechal d'Anjou, Confeiller du Roi en fes Confeils d'Etat & privé, Miniftre & Secre. taire d'Etat, Sur-Intendant des Finances, Chancelier des Ordres du Roi & l'un des quarante de l'Académie Françoife, êtoit d'une ancienne Famille Noble de Dauphiné, & nâquit à Grenoble en 1593. Il fut en 1616. Procureur Général au Parlement de Dauphiné, deux ans après fait Confeiller d'Etat ; & en 1630. nommé Premier Président du Parlement de Bourdeaux, où il n'alla point, parce que peu de tems après il fut fait Se

adreffoit. Le trait de Satire, lancé dans ce Vers, tombe en particulier fur cet endroit de l'Eglogue intitulée Chriftine que l'Abbé Ménage fit pour la Reine de Suede en 1656. Vers 171.

cet Efprit fans pareil, que les traits du Soleil.

cretaire d'Etat. Au retour d'une Ambaflade extraordinaire en Italie, après avoir conclu le traité de Querafque, il donna la démiffion de fa Charge de Secretaire d'Etat & fe retira de la Cour, parce qu'il n'êtoit pas agréable au Cardinal de Richelieu. La Reine Anne le fit revenir d'Anjou en 1643. & l'envoïa Plénipotentiaire à Munster avec le Duc de Longueville & le Comte d'Avaux. Pendant la Guerre civile de la France, il fut encore obligé de quitter la Cour. Il y . revint enfuite & ne la quitta plus. Ses talens & fes fervices lui valurent les différentes Charges dont il fut honoré. Il mourut à Meudon le 17. de Février 1659. dans fa 66. année.

Mais je tiens, comme toy, qu'il faut qu'elle foit vraye,
Et que fon tour adroit n'ait rien qui nous effraye.
Alors, comme j'ai dit, tu la fçais écouter,

Et fans crainte à tes yeux on pourroit t'exalter.
155 Mais fans t'aller chercher des vertus dans les nuës,
Il faudroit peindre en toy des veritez connuës :
Décrire ton efprit ami de la raison,

Ton ardeur pour ton Roy puisée en ta maison,
A fervir fes deffeins ta vigilance heureuse;

160 Ta probité fincere, utile, officieuse.

Tel, qui hait à fe voir peint en de faux portraits,
Sans chagrin voit tracer ses veritables traits.

Condé mefine, Condé, ce Heros formidable,

Et non moins qu'aux Flamans aux Flatteurs redoutable, 165 Ne s'offenferoit pas, fi quelque adroit Pinceau Traçoit de fes Exploits le fidele Tableau :

Et dans Seneffe en feu contemplant fa peinture,
Ne defavoûroit pas Malherbe ni Voiture.
Mais malheur au Poëte infipide, odieux,
170 Qui viendroit le glacer d'un éloge ennuyeux.

Il auroit beau crier: Premier Prince du monde,
Courage fans pareil, lumiere fans feconde ;

REMARQUES.

VERS 163. Condé mefme, &c.] Louis de Bourbon, Prince de Condé, mort en 1686. DES P.

VERS 167. Et dans Seneffe en feu, &c.] Fameux combat de Monfeigneur le Prince. DES P. Les Troupes réunies des Allemands, des Efpagnols & des Hollandois, commandées par le Prince d'Orange, furent défai

tes à la Bataille de Seneffe en Flandres, le 11. d'Août 1674. par M. le Prince de Condé. C'est la plus éclatante & la plus fingulière des actions de ce grand Général.

VERS 171.

[ocr errors]

Premier Prince

du Monde, &c.] Commencement du Poëme de Charlemagne.D E S P. Ce Poëme commençoit ain

Ses Vers jettez d'abord, fans tourner le feuillet,
Iroient dans l'antichambre amufer Pacolet.

REMARQUES.

dans la première Edition, qui parut en 1664.
Premier Prince du Sang du plus grand Roi du monde,
Courage fans pareil, lumière fans feconde ;

Et dont l'efprit égal en diverfe faifon

Scait triompher de tous, & cede à la raison, &c.

Dans la feconde Edit. en 1666. le fecond Vers fut mis ainfi : Prince d'une valeur en victoires feconde.

Ce Poëme eft de Louis le Laboureur, Tréforier de France & Bailli du Duché de Montmorenci, aujourd'hui Enguien près Paris. Son Père & fon Grand-père en avoient êté Baillis avant lui. Outre fon Poëme de Charlemagne on a de lui trois Poëmes fur les Conquêtes de M. le Prince alors Duc d'Enguien, lefquels furent imprimés en 1647. La Promenade de Saint Germain à Mademoiselle de Scudery; Ouvrage mêlé de Profe & de Vers; & les Avantages de la Langue Françoife fur la Latine, qui parurent la même année. C'eft ce qu'il a fait de mieux. Il mourut le 21. de Juin 1679. Il êtoit Neveu de Dom Claude le Laboureur, ancien Prévôt de l'Ifle-Barbe fur la Saône près Lion, & frère de Jean le Laboureur, Aumônier du Roi & Prieur de Juvigné, mort au mois de Juin 1675. dans fa cinquante - troifiéme année. Ces deux Auteurs font célèbres par les grands fervices, qu'ils ont rendus à nôtre Hiftoire.

Nous avons un autre Poëme de Charlemagne fur un plan fort différent de celui de M. Le Labosreur. Il fe trouve dans un volume in-12. imprimé à Paris chés Sercy en 1667. fous ce titre : Poëfies Chrétiennes. CHARLEMAGNE PENITENT. Les IV. Fins de l'Homme, où il eft traité de la Mort du Jugement dernier, du Paradis, & de l'Enfer. Avec la Chute du premier Homme, par M. Courtin. Ce Livre eft dédié à David Pénitent. Dans l'Approbation l'Auteur eft qualifié: Ancien Profeffeur en Humanité de l'Univerfité de Paris; & non Profeffeur en Rhé'torique comme l'a dit M. Brof fette.

[ocr errors]

VERS dernier. -amufer Pacolet.] Fameux Valet de pied de Monfeigneur le Prince. D E S P.

Quand M. Le Laboureur eut préfenté fon Poëme de Charlemagne, M. le Prince en lut quelque chofe, après quoi il donna le Livre à Pacolet, à qui il renvoïoit ordinairement tous les Ouvrages qui l'ennuïoient.

« PreviousContinue »