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don avoit eu la noirceur d'inventer; & qu'un homme de la robe de Sanlecque devoit encore moins écrire , que tout autre.

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M. le Duc de Nevers fe contenta des menaces contenues dans le dernier Vers de fon Sonnet. M. Defpréaux & M. Racine, qui furent, au mois d'Octobre de la même année, choifis par le Roi lui-même pour écrire l'Hiftoire de fon Regne étoient affurément déja trop bien en Cour pour que perfonne ofat en venir à des voies de fait avec eux, au rifque d'encourir toute l'indignation du Roi. D'ailleurs (19) M. le Prince fut pourvoir à ce que les menaces de M. le Duc de Nevers n'euffent point de fuite. Son Sonnet n'eut pas plutôt paru, que ce Prince lui fit dire, & même en termes affes durs, qu'il vangeroit, comme faites à lui même, les infultes, qu'on s'aviferoit de faire à deux Hommes d'efprit, qu'il aimoit, & qu'il prenoit fous fa protection. La Querelle n'alla pas plus loin. On n'en parloit même déja plus dans le Public, que

la Phédre de Pradon étoit encore au Théatre.

Quelque mauvaife que fut cette Tragédie, elle ne laiffa pas de paroître d'abord avec éclat & de fe foutenir pendant quelque tems. Ce fut l'effet de la concurrence des deux Tragédies, & des ap

REMARQUES.

(19.) M. le Prince. ] Le Grand Condé. M. Broffette finit fa Remarque fur le dernier Vers de l'Epitre VII. par dire, que la que

relle occafionnée par le Sonnet de Madame Deshoulières, "fut termi

"

née par des Perfonnes du premier rang,,. Qui l'empêchoit

plaudiffemens exceffifs, dont la Cabale, ameutée par les protecteurs de Pradon, faifoit retentir les Répréfentations de fa Pièce. Ajoutés-y la mauvaife humeur de ceux, qui ne pouvant pas entrer à la Phédre de Racine (& c'étoit le plus grand nombre) alloient à celle de Pradon, que l'on donnoit les mêmes jours. Mais le Public ne tarda pas longtems à decider du mérite de ces deux Ouvrages. La Tragédie de Pradon tomba dans un mépris fi général, qu'on n'a pas ofé la faire reparoître depuis; & celle de Racine, malgré tous les défauts qu'on lui peut juftement reprocher, fut regardée dès-lors, & l'eft encore aujourd'hui, comme ce qu'il a fait de plus parfait, & comme un des Chefs-d'œuvre du Théatre.

Les deux Phédres furent critiqués dans le tems (20) par Subligni, dont la Differtation renferme des Anecdotes, qui ne font point ailleurs, & des réflexions très-folides. Il ne ménage point M. Racine: Il en releve même fouvent les fautes avec trop de malignité ; mais il lui rend justice & ne parle de fon concurrent que comme d'un Auteur très-méprifable. Il loue pourtant dans Pradon ce qui lui paroît digne d'éloge. En général il condamne le choix du fujet de Phédre, lequel, felon

REMARQUES.

de dire comment la chofe s'êtoit paffée. Il l'avoit certainement appris de M. Defpréaux, Je fuis fûr, autant qu'on peut l'être en matière de Faits, de la vé.

rité de celui que je rapporte ici.

(20.) par Subligni.] Cet Auteur êtoit un Comédien de la Troupe du Roi. Sa Differtation fur les Tragédies de Phédre

lui, bleffe également la Religion & la délicateffe Françoife. A cette décifion, qui, partant d'un Comédien, peut être de quelque poids; oppofons celle de M. Arnauld. Ce Docteur ne lut point la Phédre de M. Racine, fans l'admirer. Il convint même que de pareils fpectacles ne feroient point nuifibles aux mœurs. Il défaprouva feulement l'amour d'Hippolite, comme contraire au véritable caractère de ce Prince. En condamnant hautement le choix du fujet de Phédre, Subligni convient pourtant qu'il ne le falloit point altérer. Il aprouve M. Racine d'avoir confervé la principale circonStance, & montre à Pradon qu'il n'a fait qu'une fotife, en feignant que Phedre n'étoit point encore la Femme de Théfée.

REMARQUES.

d'Hippolite fut imprimée à Paris in-12. en 1677. feu M. l'Abbé Granet, Homme de goût & Cri tique très judicieux, quand il lui plaifoit de l'être, l'a depuis fait réimprimer dans le Livre utile, qui parut en 1740. à Paris chés Giffey & Bordelet, fous ce titre: RECUEIL DE DISSERTA

TIONS fur plufieurs Tragédies de CORNEILLE & de RACINE; avec des REFLEXIONS pour & contre la critique des Ouvrages d'efprit, Ce font 2. Volumes in-12. La Differtation dont il s'agit ici, termine le fecond Tome. Il eft encore parlé de Subligny dans la Remarque fur le Vers 53. Epit. VII.

EPISTRE VII.

M. RACINE.

A M.

QUE tu

UE tu fçais bien, Racine, à l'aide d'un Acteur, Emouvoir, étonner, ravir un Spectateur ! Jamais Iphigenie en Aulide immolée,

N'a coufté tant de pleurs à la Grece assemblée,

REMARQUES.

VERS I. Que tu fais bien, Racine. ] JEAN RACINE né à la Ferté-Milon fur la fin de 1639. fut élevé à Port-Roïal, où il s'appliqua tellement à l'étude des anciens Auteurs, que leur Langue lui êtoit devenue auffi familière, que la fienne propre. Il commença à 21. ans à donner des Pièces de Théatre, qui feront à jamais l'honneur de fon fiècle. A ces rares talens, il joignit, dans les dernières années de fa vie, une pieté folide & fincère, qui le fit renoncer aux Mufes profanes, pour fe confa

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crer à des objets plus dignes de lui. Il fut reçu à l'Académie Françoife en 1673. & mourut le 22. Avril 1699. ED. P. 1735. Ibid. à l'aide d'un Acteur.] Les Ennemis même de M. Racine ont êté forcés de convenir du grand fuccès de fes Tragédies mais ils ont cru diminuer la réputation de cet illuftre Poëte, en difant qu'une partie de fa gloire êtoit dûe au jeu des Acteurs. Ceux d'à préfent ont bien fait évanouir ce reproche. Cette réflexion, que M. Broffette faifoit en 1717. eft peut-être aujour

5 Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé,
En a fait fous fon nom verfer la Chanmeflé.
Ne croy pas toutefois, par tes fçavans Ouvrages,
Entraînant tous les cœurs gagner tous les fuffrages.
Si-toft que d'Apollon un Genie inspiré,
10 Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,

En cent lieux contre lui les cabales s'amâffent,
Ses Rivaux obfcurcis autour de lui croaffent,
Et fon trop de lumiere importunant les yeux,
De fes propres Amis lui fait des envieux.
15 La mort feul icy-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer fur fon nom l'injustice & l'envie ;

REMARQUES.

d'hui plus vraie, qu'elle n'êtoit alors. Il ajoute, que véritablement M. Racine avoit trouvé d'excellens Acteurs. Montfleuri fit de fi grands efforts pour repréfenter Orefte dans Androma. que, qu'il en mourut. Le Rôle d'Hérode dans la Marianne de Triftan, avoit caufé le même fort à Mondori,

VERS 6. En a fait fous fon nom verfer la Chanmeflé, ] Célèbre Comédienne. DES P.

M. Racine, qui l'avoit aimée long-tems, & qui, felon le goût de fon fiècle, récitoit adinirablement bien, avoit pris foin de la former. Elle-même forma Mademoiselle Du Clos fa Nièce, que nous avons fi long-tems & fi juftement admirée parce qu'elle alloit toujours au cœur. Ainfi nous fommes en êtat de juger du goût de Déclamation de M. Racine. Nous y trouverions aujourd'hui trop d'apprêt

& trop d'enflure. Baron & Ma. demoiselle Le Couvreur nous ont ramenés au goût du fimple & du naturel, qui fuient la pompe, mais qui favent s'allier avec la nobleffe & la majefté. Mademoiselle Chanmeflé mourut au mois de Juillet 1698. à Auteuil, près de Paris, où elle êtoit allée prendre l'air. Pendant fa dernière maladie, elle avoit renoncé au Théatre en présence du Curé de faint Sulpice. Elle renouvella cette abjuration avant fa mort, entre les mains du Curé d'Auteuil. Elle fut enterrée à faint Sulpice fa Paroiffe. Chanmeflé, fon Mari, qui êtoit auffi Comédien, mourut fubitement en 1701. comme il fortoit du Cabaret.

CHANG, Ibid. En a fait ] Dans la première Edition, il y avoit : n'en a fait.

IMIT. Vers 15. La mort feule ici-bas, &c.] Horace l'a dit en

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