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Il n'eft plaine en ces lieux fi feche & fi fterile,
Qui ne foit en beaux mots par tout riche & fertile.
Là plus d'un Bourg fameux par fon antique nom
160 Vient offrir à l'oreille un agreable fon.

Quel plaifir de Te fuivre aux rives du Scamandre!
D'y trouver d'Ilion la poëtique cendre,

De juger fi les Grecs qui briferent fes tours,

Firent plus en dix ans que LOUIS en dix jours! 165 Mais pourquoi fans raifon defefperer ma veine? Eft-il dans l'Univers de plage fi lointaine,

Où Ta valeur, GRAND ROY, ne Te puiffe porter, Et ne m'offre bien-toft des exploits à Chanter? Non, non, ne faifons plus de plaintes inutiles; 170 Puifqu'ainfi dans deux mois Tu prens quarante Villes ; Affuré des bons Vers dont Ton bras me répond, Je T'attens dans deux ans aux bords de l'Hellefpont.

REMARQUES.

VERS I 18. Qui ne foit en beaux mots par tout riche & fertile, &c.] Selon Quintilien, au Liv. XII. de fes Inflitutions Oratoires, C. 10. la Langue Grecque êtoit telle ment au deffus de la Latine, pour la douceur de la pronon ciation , que les Poëtes Latins emploïoient plus volontiers les noms Grecs quand ils vouloient rendre leurs Vers doux & faciles. Tantò eft Sermo Græcus

Latino jucundior, ut noftri Poëte quoties dulce carmen esse voluerunt, illorum id nominibus exornent.

VERS 161.

aux rives du Scamandre. ] Dans l'Edition de 1701. en petit volume, il y a : de Scamandre mais c'eft une faute d'impreffion, & il faut lire: du Scamandre, comme il y a dans toutes les autres Editions. Voïés l'Art Poëtique Ch. III. V. 285.

DESPREAUX fait voir dans la cinquiéme

M.Epitre, compoféé en 1674. O publiée l'année

ce

fuivante, que la véritable félicité naît de la CONNOISSANCE de foi-même. Notre bonheur dépend uniquement de nous. C'est dans nous-même, que nous le devons chercher; & croire le trouver ailleurs, n'eft pas être fage. La Bruyère en a fait la réflexion dans fes Caractères, au Chapitre de l'Homme Nous cherchons, dit-il, nôtre bonheur hors de nousmême, & dans l'opinion des hommes, que nous connoiffons flateurs , peu fincères fans équité, pleins d'envie, de caprices, & de préventions: quelle bizarrerie!

M. de Guilleragues, à qui l'Auteur adresse cette Epitre, étoit de Bordeaux. Il y êtoit Premier Préfident de la Cour des Aydes, lorsqu'il fe fit connoître de M. le Prince de Conti, qui le prit pour Sécretaire de fes Commandemens, & l'obligea de quitter la Province. Il eut quelque tems la direction de la Gazette, & fut pourvu de la Charge de Secretaire de la Chambre & du Cabinet du Roi, Perfonne à la Cour n'eut plus de politeffe, ne parla plus agréablement, n'entendit mieux la fine raillerie, & ne fut aimé plus généralement. Au mois de Decembre 1677. le Roi le nomma pour l'Ambaffade de Conftantinople. Il s'y rendit en 1679. & quel ques années après, il mourut d'apoplexie.

EPISTRE V.

EPISTRE V.

A M. DE GUILLERAGUES,

SECRETAIRE

DU CABINET.

ESPRIST né pour la Cour, & maistre en l'art de plaire,

Guilleragues, qui fçais & parler & te taire,

Appren-moi, fi je dois ou me taire, ou parler.
Faut-il dans la Satire encor me fignaler,
Et dans ce champ fecond en plaifantes malices,
Faire encore aux Auteurs redouter mes caprices?

REMARQUES.

IMIT. Vers 2. --- qui fais parler & te taire. ] Voilà la meilleure manière dont on puif

-Dicenda

fe rendre en Vers, ces mots, qui font de Perfe dans fa quatriéme Satire, Vers 54.

tacendaque calles.

IMIT. Vers 3. Appren moi, Céfar Scaliger commence une Sa fi je dois ou me taire, &c.] Jules- tire par un doute à peu près pareil. At melius fuerat non fcribere ; namque tacere

Tutum femper erit.

Jadis, non fans tumulte, on m'y vit éclater: Quand mon efprit plus jeune & prompt à s'irriter, Afpiroit moins au nom de difcret & de fage : 10 Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon vifage. Maintenant que le temps a meuri mes defirs, Que mon âge amoureux de plus fages plaisirs, Bien-toft s'en va frapper à son neuvieme luftre ; J'aime mieux mon repos qu'un embarras illustre. 15 Que d'une égale ardeur mille Auteurs animés Aiguifent contre moi leurs traits envenimés : Que tout, jufqu'à Pinchefne & m'infulte & m'accable, Aujourd'hui vieux Lion je fuis doux & traitable ; Je n'arme point contre eux mes ongles émouffés. 20 Ainfi que mes beaux jours, mes chagrins font paffés. Je ne fens plus l'aigreur de ma bile premiere ; Et laiffe aux froids Rimeurs une libre carriere. Ainfi donc Philofophe à la raison soûmis, Mes defauts deformais font mes feuls ennemis.

REMARQUES.

VERS 10. Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon visage.] L'Auteur portoit alors fes che veux, qui commençoient à blanchir.

VERS 13. Bien-toft s'en va frapper à fon newvieme lufire. ] A la quarante & uniéme année. DESPRE'AUX.

Un luftre eft l'espace de cinq ans ainfi le huitiéme luftre comprend les années qui font depuis trente-cinq jufqu'à quarante. L'Auteur compofa cette Epitre à trente-huit ans il en

avoit environ quarante quand illa donna au Public; & par conféquent il approchoit de fon neuviéme luftre; c'eft-à-dire, de fa quarante uniéme année.

VERS 17. Que tout, jufqu'à Pinchefne, &c.] Pinchefne eftoit neveu de Voiture. D E S P.

Il avoit écrit quelque chofe contre nôtre Auteur, mais il ne fentit pas la force de ce trait de Satire, Il crut au contraire, que M. Defpréaux lui demandoit grace & il en tira vanité, Voies Lutr. Ch. V. Vers 163.

C'est l'erreur que je fuis: c'est la vertu que j'aime.
Je fonge à me connoiftre, & me cherche en moi-même.
C'eft là l'unique étude où je veux m'attacher.

Que l'aftrolabe en main, un autre aille chercher
Si le Soleil eft fixe, ou tourne fur fon axe,
30 Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe :
Que Rohaut vainement féche pour concevoir,
Comment tout estant plein, tout a pû se mouvoir :

REMARQUES.

IMIT. Vers 26. Je fonge à me connoifre, & me cherche en moi. même.] Voilà le fujet de cette Epitre Le texte s'en trouve dans cc mot de Perfe: Tecum habita.

Sat. IV. à la fin. Et dans celui-
ci: Ne te quafiveris extra. Sat. I.
Vers 7. Et enfin dans ce Vers
qui eft le 23. de la Satire qua-
triéme.

Ut nemo in fefe tentat defcendere, nemo.
VERS 28. Que l'Aftrolabe en
main, &c.] On a rapporté fur
le Vers 429. de la Satire X, la
jufte critique, que Madame de
La Sablière faifoit de ce Vers &
des deux qui le fuivent ici.

VERS 30. Si Saturne à nos yeux
peut faire un parallaxe. ] Les Af
tronomes appellent Parallaxe,
la différence qui eft entre le lien
véritable d'un Aftre, & fon lieu
apparent; c'est-à-dire, entre le
lieu du Firmament auquel l'Af-
tre répondroit s'il êtoit vû du
centre de la Terre; & le lieu
auquel cet Aftre répond étant vû
de la furface de la Terre. Cette
différence ou Parallaxe eft d'au-
tant plus grande, que l'Aftre eft
plus près de l'Horifon, & qu'il
eft moins éloigné de la Terre,
Ainfi, il n'y a point de Paralla
xe quand l'Aftre eft fur nôtre
tête; & la grande diftance qu'il
y a entre Saturne & la Terre,
fait que la Parallaxe de cette Pla-

nète n'eft prefque pas fenfible à nôtre égard. Tous les Aftrono mes font le mot de Parallaxe, du genre féminin. Nôtre Auteur auroit pû dire: Si Saturne à nos yeux fait une Parallaxe. Mais il a préfèré l'autre manière comme plus poetique. Bross.

Il eft à croire, comme M. Du Monteil le remarque ici, que M. Defpréaux n'a fait Parallaxe mafculin, que parce qu'il l'a cru de ce genre. J'ajoute, que cette faute n'eft apparemment reftée que parce que perfonne ne l'en a fait appercevoir. La correction en êtoit trop aifée pour qu'il ne l'eût pas faite.

VERS 31. Que Robaut vainement féché, &c.] Fameux Cartefien. DES P.

Jacques Robaut, d'Amiens en Picardie mourut à Paris en 1675. Il eft enterré à fainte Geneviève, où l'on voit fon Epitaphe à côté de celle de Descartes,

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