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Bien-toft te fignalant par mille faux miracles,
Ce fut toi qui par tout fis parler les Oracles.
C'est par ton double fens, dans leurs difcours jetté
Qu'ils fçurent en mentant dire la vérité;

105 Et fans crainte rendant leurs réponses Normandes,
Des Peuples & des Rois engloutir les offrandes.
Ainfi loin du vrai jour, par toi toûjours conduit,
L'homme ne fortit plus de fon épaiffe nuit.
Pour mieux tromper fes yeux, ton adroit artifice
Fit à chaque vertu prendre le nom d'un vice:
Et par toi de fplendeur fauffement revêtu

110

Chaque vice emprunta le nom d'une vertu.
Par toi l'humilité devint une bassesse;
La candeur se nomma groffiereté, rudeffe.
115 Au contraire, l'aveugle & folle ambition
S'appella des grands cœurs la belle passion:
Du nom de fierté noble on orna l'impudence,
Et la fourbe paffa pour exquife prudence :
L'audace brilla feule aux yeux de l'Univers;
pour vraiment Heros, chez les hommes pervers,
On ne reconnut plus qu'ufurpateurs iniques,
Que tyranniques Rois cenfez grands Politiques,

120 Et

REMARQUES.

VERS IOS. leurs réponses Normandes. Les Normands font accufés de peu de fincérité; &, Répondre en Normand, eft une expreffion, qui eft devenue proverbiale, pour dire , que l'on repond d'une manière équivoque.

Parler en Normand. Voïés Epitre
IX. Vers 20. BROSS.

IMIT. Vers 110. Fit à chaque vertu prendre le nom d'un vice. 1 GOMBAUD avoit dit, en parlant de la Cour, Livre I. Epi gramme <3.

Les Vertus passent pour des Vices,
Et les vices pour des Vertus. BROSS.

Qu'infâmes fcelerats à la gloire afpirans Et Voleurs revêtus du nom de Conquerans. 125 Mais à quoi s'attacha ta sçavante malice ? Ce fut fur-tout à faire ignorer la Justice. Dans les plus claires loix ton ambiguité Répandant fon adroite & fine obfcurité, Aux yeux embarraffez des Juges les plus fages, 130 Tout fens devint douteux, tout mot eut deux visages; Plus on crût penetrer, moins on fut éclairci;

Le texte fut fouvent par la gloze obscurci;

Et

1

pour comble de maux, à tes raifons frivolcs
L'Eloquence preftant l'ornement des paroles,
135 Tous les jours accablé fous leur commun effort,
Le vrai passa pour faux, & le bon droit eut tort,
Voilà comme déchu de fa grandeur premiere,
Concluons, l'homme enfin perdit toute lumiere,
Et par tes yeux trompeurs fe figurant tout voir,
140 Ne vit, ne fçût plus rien, ne pût plus rien fçavoir,
De la raison pourtant, par le vrai Dieu guidée,

Il refta quelque trace encor dans la Judée.
Chez les hommes ailleurs fous ton joug gémissans,
Vainement on chercha la vertu, le droit fens :
$45 Car qu'eft-ce loin de Dieu que l'humaine fageffe?
Et Socrate, l'honneur de la profane Grece,

REMARQUES.

CHANG. Vers 135. Tous les jours accablé, &c, ] Il avoit mis: Chaque jour accablez: & ce dernier mot fe rapportoit au Vrai & au bon Droit, qui font dans le Vers fuivant, BROSS.

CHANG. Vers 141. De la rai

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fon pourtant, &c.] Dans la pre-
mière compofition l'Auteur
avoit mis: De l'Equité pourtant.
Mais il changea ce mot; parce
qu'il s'agit ici de la Raison
& non pas de l'Equité. BROS.
SETTE,

Qu'eftoit-il en effet, de prés examiné,

Qu'un mortel, par lui-mefme au feul mal entraîné; Et malgré la vertu dont il faifoit parade, 150 Tres-équivoque ami du jeune Alcibiade?

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Oui, j'ose hardiment l'affirmer contre toy
Dans le Monde idolâtre, affervi fous ta loi,
Par l'humaine raison de clarté dépourveuë,
L'humble & vraie équité fut à peine entreveuë;
155 Et par un Sage altier, au feul faste attaché,
Le bien mefme accompli fouvent fut un péché.

tel

REMARQUES.

CHANG. Vers 148. Qu'un morpar lui-mefme au feul mal entraîné. Au lieu de ce Vers l'Auteur avoit mis celui ci: Qu'un mortel, comme un autre, au mal déterminé. Et c'est ce Vers, que M. le Cardinal de Noailles lui fit changer. BROSS.

VERS 10. Tres-équivoque ami du jeune Alcibiade. ] Il eft clair, que M. Despréaux fe borne ici au fimple foupçon; & il faut convenir, que la vertu de Socrate n'a pas êté à couvert de la calomnie. Les mœurs des Grecs êtoient fi corrompues en ce tems-là, qu'ils ne purent voir l'amitié de Socrate pour Alcibiade fans y attacher un foup. çon de crime. Mais Platon fon difciple le juftifie pleinement dans quelques-uns de fes Dialo

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gues, fur tout dans celui qui eft intitulé le Banquet, où Alci. biade lui-même prend les Dieux à témoin, que l'amour de Socrate pour lui n'avoit jamais rien eu de criminel. BROSS.

Puifque Platon a justifié pleinement SOCRATE, il s'enfuit que M. Defpréaux a rendu très-injuftement fa vertu fufpecte & douteufe: & c'eft ce que fon Com mentateur devoit remarquer. Du MONTEIL.

Voiés le Boleana, Nombre XXVI. Ce qu'on y dit met M. Broffette à couvert du reproche injufte, que M. Du Monteil vient de lui faire.

CHANG. Vers 154. & 156. Ee
par un Sage altier, &c. ] Ce Vers
& le fuivant avoient êté faits
d'abord de cette manière :
Et faite avec un cœur au feul faßte attaché,
La bonne action même an fond fut un péché.

l'Auteur les tourna enfuite de cette autre manière.
Et fait avec un cœur au feul fafle attaché,

Le bien même, le bien au fond fut un péché. BROSS.

Pour tirer l'homme enfin de ce defordre extrême,
Il falut qu'ici-bas Dieu, fait homme lui-même,
Vinst du sein lumineux de l'éternel séjour,
160 De tes dogmes trompeurs diffiper le faux jour.
A l'afpect de ce Dieu les Démons disparurent,
Dans Delphes, dans Delos, tes oracles se turent:
Tout marqua, tout sentit sa venuë en ces lieux,
L'eftropié marcha, l'aveugle ouvrit les yeux.
165 Mais bien-toft contre luy ton audace rebelle,
Chez la nation mefme à fon culte fidelle,
De tous coftez arma tes nombreux fectateurs,
Preftres, Pharifiens, Rois, Pontifes, Docteurs,
C'est par eux que l'on vit la Verité fuprême
170 De menfonge & d'erreur accufée elle-même ;

REMARQUES.

VERS 18. Il fallut qu'ici-bas, Dieu, fait homme lui même.] Le deffein de l'Auteur eft de faire voir, qu'il n'y a de véritable vertu que dans la véritable Religion; & la principale preuve qu'il en donne, eft l'exemple de Socrate, le plus fage des Humains, fuivant le témoignage de l'Oracle. Car Socrate n'a pas laiffé d'être foupçonné de crime, & ce foupçon a fait tort à fa vertu dans l'opinion des hommes. M. Defpréaux difoit à ce propos, qu'il ne pouvoit trouver dans le Paganifme de plus grande Victime à immoler à JESUS-CHRIST, que Socrate, BROSs. VERS 164. L'eftropié marcha, &c.] Le mot d'eftropié est un ter me générique, qui convient également à ceux qui n'ont pas l'ufage de leurs bras, ou de leurs

mains ; & à ceux qui font perclus des jambes. On en fit appercevoir nôtre Poëte, & il s'efforça de corriger cet endroit. 11 mit d'abord : Le foible devint fort; enfuite: Le muët discourut; mais ces changemens ne l'aïant pas contenté, il s'en tint à la pre mière expreflion. BROSS.

Il eft clair, que cette négligence eft un effet de la vieillefte de l'Auteur. Dans la force de fon âge, il eut certainement trouvé de quoi remplacer une expreffion, qu'il fentoit lui-même être peu iufte.

, au

VERS 168. Prefres, Pharifiens, Rois, Pontifes, Docteurs.] Il y avoit d'abord Scribes lieu de Prêtres. On fit remarquer à M. Despréaux, qué Scri bes & Docteurs n'êtoient qua la même chofe. BROSS.

Au tribunal humain le Dieu du ciel traîné,
Et l'auteur de la vie à mourir condamné.
Ta fureur toutefois à ce coup fut deçûë,

Et

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pour toi ton audace eut une trifte iffuë.
175 Dans la nuit du tombeau ce Dieu précipité
Se releva foudain tout brillant de clarté
Et par tout fa doctrine en peu de temps portée
Fut du Gange, & du Nil, & du Tage écoutée.
Des fuperbes autels, à leur gloire dreffez,
180 Tes ridicules Dieux tomberent renverfez.

On vit en mille endroits leurs honteufes ftatuës
Pour le plus bas ufage utilement fonduës,

Et gemir vainement, Mars, Jupiter, Venus,
Urnes, Vafes, Trépiés, vils meubles devenus
185 Sans fuccomber pourtant tu fouftins cet orage;
Et fur l'Idolatrie enfin perdant courage,

Pour embaraffer l'homme en des nœuds plus fubtils
Tu courus chez Satan brouiller de nouveaux fils.

Alors, pour feconder ta trifte phrenefię,

190 Arriva de l'Enfer ta fille l'Herefie,

Ce monftre, dés l'enfance à ton école inftruit,
De tes leçons bien-toft te fit goufter le fruit.

REMARQUES.

VERS 178. Fut du Gange, & du Nil, & du Tage écoutée. ] Ces trois Fleuves font les plus fameux des trois Parties du Monde, l'Afie, l'Afrique & l'Europe: car l'Amerique n'êtoit pas encore connuë alors. BROSS.

CHANG. Vers 182. & 184. Pour le plus bas ufage, &c. vils meubles devenus.] L'Auteur avoit mis au premier Vers: Pour le plus

vil ufage; & au fecond: vains meubles devenus; mais ce mot vainsne formoit ici prefque aucun fens. Pour remédier à ce défaut, il emprunta de l'autre Vers le mot de vils,auquel il fubftitua celui de bas. BROSS.

VERS 188. brouiller de nou veaux fils.] Expreffion proverbiale, pour dire: Caufer de nou veaux troubles. Bross,

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