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SATIRE XII.*

Du langage François bizarre Hermaphrodite,
De quel genre te faire, Equivoque maudite,
Ou maudit ? car fans peine aux Rimeurs hazardeux
L'ufage encor, je croi, laiffe le choix des deux.
5 Tu ne me répons rien; Sors d'ici, Fourbe infigne,
Mafle auffi dangereux que femelle maligne,
Qui crois rendre innocens les difcours impofteurs;
Tourment des Ecrivains, jufte effroi des Lecteurs;
Par qui de mots confus fans ceffe embaraffée
To Ma plume, en écrivant, cherche en vain ma penfée.
Laisse-moi, va charmer de tes vains agrémens,

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Les

yeux faux & gaftez de tes louches amans; Et ne viens point ici de ton ombre groffiere Envelopper mon ftile ami de la lumiere.

Tu fçais bien que jamais chez toi, dans mes difcours, Je n'ai d'un faux brillant emprunté le secours.

REMARQUES.

*On a cru devoir retrancher le titre: SUR L'EQUIVOQUE,

Fui donc. Mais non, demeure; un Démon, qui m'inspire Veut qu'encore une utile & derniere Satire,

De ce pas en mon livre, exprimant tes noirceurs,
20 Se vienne, en nombre pair, joindre à fes Onze Sœurs,
Et je fens que ta veuë échauffe mon audace.
Viens, approche: Voyons, malgré l'âge & sa glace,
Si ma Mufe aujourd'hui fortant de fa langueur,
Poura trouver encore un refte de vigueur.

25 Mais où tend, dira-t-on, ce projet fantastique?
Ne vaudroit-il pas mieux dans mes vers, moins cauftique,
Répandre de tes jeux le fel divertiffant ?
Que d'aller contre toi fur ce ton menaçant
Pouffer jusqu'à l'excés ma critique boutade?
30 Je ferois mieux, j'entens, d'imiter Benferade.
C'est par lui qu'autrefois, mife en ton plus beau jour,
Tu fçûs, trompant les yeux du Peuple & de la Cour,

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Leur faire à la faveur de tes bluettes folles, Goufter comme bons mots tes quolibets frivoles. Mais ce n'eft plus le temps. Le Public détrompé D'un pareil enjoument ne fe fent plus frappé. Tes bons mots, autrefois délices des ruelles, Approuvez chez les Grands, applaudis chez les Belles, Hors de mode aujourd'hui chez nos plus grands badins, 40 Sont des collets-montez & des vertugadins. Le Lecteur ne fçait plus admirer dans Voiture De ton froid jeu de mots l'infipide figure.

regret qu'on voit cet Auteur fi charmant,
Et pour mille beaux traits vanté fi juftement,
45 Chez toi toûjours cherchant quelque fineffe aiguë,
Présenter au Lecteur fa pensée ambiguë,

Et souvent du faux fens d'un proverbe affecté,
Faire de fon difcours la piquante beauté.

Mais laiffons là le tort qu'à fes brillans ouvrages
Jo Fit le plat agrément de tes vains badinages.
Parlons des maux fans fin que ton fens de travers,
Source de toute erreur, fema dans l'Univers :
Et pour les contempler jufques dans leur naissance,
Dés le temps nouveau-né, quand la Toute-Puiffance
55 D'un mot forma le Ciel, l'Air, la Terre & les Flots,
N'est-ce pas toi, voyant le monde à peine éclos,

REMARQUES.

VERS 40. Sont des collets-mon- de l'habillement des Femmes, tez des vertugadins. ] Les Col

Lets montez, & les Vertugadins

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BROSS.

CHANG. Vers 49. Mais laiffons êtoient anciennement des pièces là le tort, &c.] Première manière : Mais laiffons là le mal qu'à de tels difcours jointe, Tu fis en mille endroits fous le beau nom de Pointe.

Qui, par l'éclat trompeur d'une funefte pomme,
Et tes mots ambigus, fis croire au premier homme,
Qu'il alloit, en gouftant de ce morceau fatal,
60 Comblé de tout fçavoir, à Dieu se rendre égal ?
Il en fit fur le champ la folle experience.

Mais tout ce qu'il acquit de nouvelle science,
Fut que trifte & honteux de voir fa nudité,
Il fçut qu'il n'eftoit plus, grace à fa vanité,
65 Qu'un chérif animal paistri d'un peu de terre,
A qui la faim, la foif, par-tout faifoient la guerre,
Et qui courant toûjours de malheur en malheur,
A la mort arrivoit enfin par la douleur.

Oui, de tes noirs complots & de ta triste rage,
70 Le genre humain perdu fut le premier ouvrage.
Et bien que l'homme alors parut fi rabaiffé,
Par toi contre le ciel un orgueil infense;
Armant de fes neveux la gigantesque engeance
Dieu réfolut enfin, terrible en fa vangeance,
75 D'abifmer fous les eaux tous ces audacieux.
Mais avant qu'il lâchaft les écluses des Cieux,
Par un fils de Noé fatalement fauvée,
Tu fus, comme ferpent, dans l'Arche conservée,
Et d'abord pourfuivant tes projets fufpendus
80 Chez les mortels reftans, encor tout éperdus,

REMARQUES.

VERS 64. grace à fa vanité. L'Auteur convenoit qu'il avoit êé un mois à trouver ce demi-Vers. BROSS.

Remarquez cette cacophonie, gra-sa-fa-va. DU MONTEIL.

VERS 80. Chez les mortels reftans, encor tout éperdus.] Au lieu de Mortels, il y avoit Hommes. Après reftans, qui fait la Céfure, l'Auteur, en récitant ce Vers failoit un long repos, pour

85

De nouveau tu femas tes captieux mensonges,

Et remplis leurs efprits de fables & de fonges.
Tes voiles offufquant leurs yeux de toutes parts,
Dieu disparut lui-mesme à leurs troubles regards.

Alors tout ne fut plus que ftupide ignorance,
Qu'impieté fans borne en fon extravagance.
Puis de cent dogmes faux la Superftition
Répandant l'idolâtre & folle illufion,

Sur la terre, en tout lieu difpofée à les fuivre,
90 L'Art fe tailla des Dieux d'or, d'argent & de cuivre,
Et l'Artisan lui-mesme humblement prosterné
Aux pieds du vain métal par sa main façonné,
Luj demanda les biens, la fanté, la sagesse :
Le monde fut rempli de Dieux de tout efpece.
95 On vit le Peuple fou, qui du Nil boit les eaux,
Adorer les ferpens, les poiffons, les oiseaux,

Aux chiens, aux chats, aux boucs, offrir des facrifices,
Conjurer l'ail, l'oignon, d'eftre à fes vœux propices;
Et croire follement maiftres de fes deftins

100 Ces Dieux nez du fumier porté dans fes jardins.

REMARQUES.

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