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mes Satires expofent à la rifée de tout le monde, & de fe voir condamnez à oublier, dans leur vieilleffe, ces mefmes Vers qu'ils ont autrefois appris par cœur comme des chefs-d'œuvres de l'art. Je les plains fans doute: mais quel remede? Faudra-t-il, pour s'accommoder à leur gouft particulier, renoncer au sens commun? Faudra-t-il applaudir indifferemment à toutes les impertinences qu'un Ridicule aura répandues fur le papier? Et au lieu 14 qu'en certains païs on condamnoit les méchans Poëtes à effacer leurs écrits avec la langue, les livres deviendront-ils deformais un azyle inviolable, où toutes les fottifes auront droit de bourgeoifie; où l'on n'ofera toucher

REMARQUES.

Vel quia nil rectum, nifi quod placuit fibi, ducunt ;
Vel quia turpe putant parere minoribus, & que
Imberbes didicere, fenes perdenda fateri.

14. En certains païs.] Dans le Temple, qui eft aujourd'hui l'Abbaye d'Ainay à Lyon. DESP. Ce Temple avoit êté bâti par les foixante Nations des Gaules, en l'honneur d'Augufte. L'Empereur Caligula y inftitua des Jeux, & y fonda des prix pour les difputes d'Eloquence & de Poëfie, qui s'y faifoient en Langue Grecque & Latine; mais établit auffi des peines contre ceux qui ne réuffiroient pas en ces fortes de difputes. Les vaincus êtoient obligés de donner des

prix aux vainqueurs, & de com-
pofer des difcours à leur loiian-
ge. Mais ceux dont les difcours
avoient êté trouvés les plus mau-
vais, êtoient contraints de les
effacer avec la langue, ou avec
une éponge, pour éviter d'être
battus de verges, ou d'être plon-
gés dans le Rhône. SUETONE
Vie de Caligula, 20. Voïez l'Hi
foire abrégée, ou l'Eloge Hiftori-
que de Lyon, Part. 1. Ch. 12.

C'eft à ces fortes de peines que
Juvénal a fait allufion dans fa
première Satire, Vers 43.
Palleat ut nudis preffit qui calcibus anguem,
Aut Lugdunenfem Rhetor dicturus ad Aram.

fans profanation? J'aurois bien d'autres chofes à dire fur ce fujet, Mais comme j'ai déja traité de cette matiere dans ma neuviéme Satire, il eft bon d'y renvoyer le Lecteur,

SATIRE S

L

A première Satire commencée vers l'année 1660, eft le premier Ouvrage confidérable que notre Auteur ait compofe. Il y décrit la retraite & les plaintes d'un Poëte, qui ne pouvant plus vivre à Paris, va chercher ailleurs une deftinée plus heureuse.

C'est une imitation de la troifiéme Satire de Juvénal, dans laquelle eft auffi décrite la retraite du Philofophe Umbricius, qui abandonne le féjour de Rome, à caufe des vices affreux qui y regnoient. Juvénal y décrit encore les embaras de la même ville; &, à fon exemple, M. Defpréaux avoit fait ici la defcription des embaras de Paris; mais il s'apperçut que cette defcription faifoit un double fujet. C'est ce qui l'obligea à Pen détacher, & il en fit une Satire particulière, qui eft la fixiéme.

,

L'Abbé Furetière, reçu depuis peu à l'Académie Françoise, vint un jour rendre vifite au frère de M. Defpréaux. C'étoit Gilles Boileau, auffi de l'Académie Françoise. Comme il le trouva forti, il s'arrêta avec M Defpréaux &lut cette Satire. Quelque éloignée qu'elle fut de la perfection à laquelle Auteur l'a portée depuis, Furetière convint qu'elle étoit meilleure que celles qu'il avoit faites lui-même. Il y en a cinq dans le Recueil de fes Poëfies. Il encouragea donc le jeune Poëte à continuer, & lui demanda une c pie de fon Ouvrage, qui fût bien-tôt répandu dans le public. L'Auteur le fit imprimer enfuite fort different de ce qu'il étoit d'abord; car de 212. Vers, il n'en avoit confervé qu'environ foixante, Tout le reste avoit êté fupprimé où changé.

C.Eisen inv

avelirie Scul

SATIRE

I.

DAMON ce grand Auteur, dont la Muse fertile Amufa fi long-temps, & la Cour & la Ville,

REMARQUES.

VERS 1. Damon, ce grand Aureur, &c.] J'ay eu en veue Calfandre, celui qui a traduit la Rhetorique d'Ariftote. DES P.

François Caffandre, Auteur cé. lèbre de ce tems-là, êtoit favant en Grec & en Latin, & faifoit aflés bien des Vers François ; mais fon humeur bourrue & farouche, qui le rendoit incapable de toute fociété, lui fit perdre tous les avantages, que la fortune put lui préfenter; de forte qu'il vécut d'une manière très - obfcure & très - miférable. Quant à fa mort, voici ce qu'en dit M. Defpréaux dans fa Lettre à M. de Maucroix (ici T. III.) Il eft" mort tel qu'il a vécu, c'eft à fçavoir très-mifanthro,, pe; & non feulement haïffant les hommes, mais aïant mê,, me affés de peine à fe recon

رو

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cilier avec Dieu, à qui difoit,, il, fi le rapport qu'on m'en a fait eft véritable, il n'avoit aucune obligation.,, Le Confefleur, qui l'affiftoit à la mort, voulant l'exciter à l'amour de Dieu, par le fouvenir des graces, que Dieu lui avoit faites: Ah! oui, dit Caffandre d'un ton chagrin & ironiqué, je lui ai de grandes obligations, il m'a fait jouer ici bas un joli perfonnage ! Et comme fon Confeffeur infiftoit à lui faire reconnoître les graces du Seigneur: Vous fçavés, dit-il, en redoublant l'amertume de fes reproches, & montrant le grabar, fur lequel il êtoit couché: Vous feavés comme il m'a fait vivre; voïés comme il me fait mourir.

Caffandre a traduit en François les derniers volumes de l'Hilloire

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