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5 Entendons discourir fur les bancs des Galeres, Ce Forçat abhorré, mefme de fes Confreres ; Il plaint, par un Arreft injuftement donné, L'Honneur en fa perfonne à ramer condamné. En un mot, parcourons & la Mer & la Terre : 10 Inrerrogeons Marchands, Financiers, Gens de guerre, Courtifans, Magistrats; chez Eux, fi je les croi, L'Interest ne peut rien, l'Honneur seul fait la loi,

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Cependant, lors qu'au yeux leur portant la lanterne, J'examine au grand jour l'efprit qui les gouverne, 15 Je n'aperçois par tout que folle Ambition Foibleffe, Iniquité, Fourbe, Corruption;

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Que ridicule Orgueil de foi-mefme idolâtre.

Le Monde, à mon avis, est comme un grand Theâtre, Ou chacun en public l'un par l'autre abusé,

20 Souvent à ce qu'il eft jouë un rôle oppofé.

Tous les jours on y voit, orné d'un faux visage,
Impudemment le Fou reprefenter le Sage,
L'Ignorant s'eriger en Sçavant faftueux,
Et le plus vil Faquin trancher du Vertueux.
25 Mais, quelque fol efpoir dont leur orgueil les berce:
Bien-toft on les connoift, & la Verité perce.

REMARQUES.

VERS . Entendons difcourir fur les bancs des Galeres, &c.] Allu. fion à une action mémorable du Duc d'Offone, Viceroi de Sicile & de Naples. Ce Seigneur êtant un jour à Naples, & vifitant les Galères du Port, eut la curiofité d'interroger les Forçats; mais ils fe trouvèrent tous innocens à l'exception d'un feul, qui avoia de bonne foi, que fi on

?

lui avoit fait juftice, il auroit êté pendu. Qu'on m'ôte d'ici ce coquin-là, dit le Duc en lui donnant la liberté; il gåteroit tous ces honnêtes-gens.

VERS 13. lors qu'aux yeux leur portant la lanterne. ] Allufion au mot de Diogene le Cynique, qui portoit une lanterne en plein jour, & qui difoit qu'il cherchoit un homme. Disp.

On a beau fe farder aux yeux de l'Univers,
A la fin fur quelqu'un de nos vices couverts

Le Public malin jette un œil inévitable ; 30 Et bien-toft la Cenfure, au regard formidable, Sçait, le crayon en main, marquer nos endroits faux, Et nous développer avec tous nos defaux.

Du Menfonge toûjours le Vray demeure maistre. Pour paroiftre honnefte Homme en un mot il faut l'eftre; 35 Et jamais, quoi qu'il faffe, un Mortel ici-bas

Ne peut aux yeux du Monde eftre ce qu'il n'eft pas. En vain ce Mifanthrope, aux yeux triftes & fombres: Veut par un air riant en éclaircir les ombres: Le Ris fur fon visage est en mauvaise humeur ; 40 L'agrément fuit fes traits, fes careffes font peur; Ses mots les plus flateurs paroiffent des rudesses, Et la Vanité brille en toutes fes baffeffes. Le Naturel toûjours fort, & fçait fe montrer. Vainement on l'arrefte, on le force à rentrer,

REMARQUES.

CHANG. Vers 30. -la Cenfure, au regard formidable. ] Première manière ? La Cenfure Epagneule admirable. Seconde manière: Au regard admirable.

VERS 37. En vain ce Mifanthrope, &c.] L'Auteur, en récitant, difoit toûjours: En vain ce faux Caton.

VERS 39. Le Ris fur fon visage eft en mauvaile humeur. ] Un jour à Bâville, M. le Premier Préfi

Naturam expellas furcd; Et mala perrumpet furtim LA FONTAINE a paraphrafé ces

dent de Lamoignon pria l'Auteur de réciter la Satire à fon Efprit à un grand Seigneur très-cauftique, qui, l'aïant écoutée d'un air froid, lui dit très-sèchement Voilà de beaux Vers. C'est ce même Seigneur que l'Auteur peint ici. Voïés le bolaana.

IMIT. Vers 43. Le Naturel toûjours fort, & fait le montrer. ] HORACE, Livre I. Epitre X. Vers 24. tamen ufque recurret, fallidia victrix. Vers,

Livre 2. Fable 18.

45 Il romp tout, perce tout, & trouve enfin passage. Mais loin de mon projet je fens que je m'engage, Revenons de ce pas à mon texte égaré.

L'Honneur par tout, disois-je, est du monde admiré.
Mais l'Honneur en effet qu'il faut que l'on admire,
so Quel eft-il, Valincour? pourras-tu me le dire!
L'Ambitieux le met fouvent à tout brûler;
L'Avare à voir chez luy le Pactôle rouler ;
Un faux Brave à vanter fa proüeffe frivole;
Un vrai Fourbe à jamais ne garder la parole;
55 Ce Poëte à noircir d'infipides papiers :

Ce Marquis à fçavoir frauder fes Creanciers ;
Un Libertin à rompre & jeûnes & Carêmes,

Un Fou perdu d'honneur à braver l'Honneur mesme.
L'un d'Eux a-t'il raifon ? Qui pourroit le penfer?
60 Qu'est ce donc que l'Honneur que tout doit embrasser a
Eft-ce de voir, dis-moy, vanter noftre éloquence,
D'exceller en courage, en adreffe, en prudence,
De voir à noftre aspect tout trembler fous les Cieux,
De poffeder enfin mille dons precieux ?

65 Mais avec tous ces dons de l'efprit & de l'ame,
Un Roy mefme fouvent peut n'eftre qu'un infàme,
Qu'un Herode, un Tibere effroyable à nommer.
Où donc eft cet Honneur qui feul doit nous charmer?

REMARQUES.

VERS 2,le Pactôle, &c.] Fleuve de Lydie, où l'on trouve de l'or ain que dans plufieurs autres Fleuves. DES P.

CHANG. Vers 55. Ce Poëte à goircir d'infipides papiers. ] Nô

tre Auteur difoit quelquefois en récitant Linière à barbouil ler d'infipides papiers. BROSSETTE.

:

Cela n'êtoit pas exact, l'Auteur n'aïant point mis d'autres Noms propres dans fon énumération,

Quoi qu'en fes beaux discours Saint Evremond nous prône, 70 Aujourd'huy j'en croirai Seneque avant Petrône.

REMARQUES.

VERS 69. Quoi qu'en fes beaux difcours Saint Evremond, &c.] S. Euremond a fait une Differta tion, dans laquelle il donne la preference à Petrône fur Seneque. DESP.

L'Auteur oppofe ici la Morale auftère de Sénèque à la Morale licentieuse de Pétrone, pour condamner un fentiment déraifonnable de S. Evremond, qui, dans fon Jugement fur Sénèque, Plutarque &Pétrone, débute ainfi : Je commencerai par Sénèque, & vous dirai avec la dernière impudence, que j'eflime beaucoup plus fa Perfonne que fes Ouvrages. J'eflime le Précepteur de Néron, l'Amant d'Agrippine, un ambitieux qui prétendoit à l'Empire du Philofophe de l'Ecrivain, je n'en fais

Morale êtoit une Morale de. Cour, d'autant plus dangereufe qu'il avoit l'art de la faire paffer par une ingénieufe délicateffe. BROSSETTE.

M. Du Monteil dans une Note critique fur cette Remarque, qu'il trouve longue, reproche d'abord à M. Broffette, d'avoir fupprimé la petite Note de l'Auteur.

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La préférence, dit-il enfuite,
,, que M. de S. Evremond donne
à Petrone fur Sénèque, ne re-
garde pas le le vrai & le faux
Honneur qui eft le fujet de
cette Satire; ainfi M. Def-
», préaux eft forti de fon fujet,
», pour faire entrer ici M. de S.
Evremond. Son Commentateur
ne l'a pas fenti & n'en a pas
fçu la raifon,,. Fauffe Criti-
que. 10. C'eft mal connoître le
génie de la Satire, & n'être guè-
re verfé dans la lecture des Poë-
tes, qui fe font adonnés à ce
genre de Poëme
que
de s'ima-
giner qu'on doive dans une Sa-
tire traiter didactiquement un
fujet, & que l'on en choififfe un
pour autre chofe, que pour y
ramener les différens objets, fur
lefquels on a des traits fatiriques
à lancer. 2°. M. Defpréaux,
aïant à parler d'un point de
Morale très-important & de-
vant s'attacher aux Principes Les
plus exacts , a pu dire fans for-
tir de fon fujet :

pas grand cas. Au contraire, les
louanges,que S. Euremond donne
aux fentimens délicats, au luxe
poli, & aux voluptés étudiées
de Pétrone, qu'il appelle un des
plus honnêtes hommes du monde
font bien juger qu'il a regardé
ce fameux Epicurien comme fon
Héros en fait de Morale. Voïés
fes Réf. fur la Doctrine d'Epicure.
Nôtre Auteur regardoit M. de
S. Evremond comme un homme,
qui avoit toûjours fait profeffion
d'une Philofophie profane &
voluptueufe, dont les maximes
ne feroient autorifées qu'à peine
dans la licence du Paganifme. Sa
Quoi qu'en fes beaux difcours Saint Evremond nous prône
Aujourd'huy j'en croirai Seneque avant Petrône ;

S'il eft vrai que les Principes de
celui-ci font moins conformes à
la faine Morale que ceux de celui-
là. M. Brofette n'a donc pas tort

de n'avoir pas fenti ce qui n'eft pas. Il eft inutile, après cela, de nous citer La Vie de M. de Saint Evremond par M. Des-Mai

Dans le Monde il n'eft rien de beau que l'Equité.
Sans elle la Valeur, la Force, la Bonté,

Et toutes les Vertus, dont s'éblouït la Terre,
faux brillans, & que morceaux de verre.

Ne font

que

75 Un injufte Guerrier, terreur de l'Univers,
Qui fans fujet courant chez cent Peuples divers,

REMARQUES.

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330

Reaux, pour nous apprendre que ,, pour le corps. Admirez pourle nom de M. de S. Evremond ne ,, tant la folie d'un certain Pufe trouve ici que parce que dans blic particulier, qui a longla Difpute de la Préférence des ,, tems êté ébloùi de fes déciAnciens & des Modernes, il avoit fions. Pour moi, j'eftime plus pris le parti des derniers. M. ,, un feul Chapitre d'Aulugelle, Des-Maizeaux, admirateur ou- ,, que tous les Mifcellanea de cet tré des Ouvrages de fon Ami,,, Auteur Au refte, S. Evres'accroche à ce qu'il peut pour mond, dans fes principes, & détruire l'impreflion, que doit comme homme de Cour, poufaire le Jugement que porte de la voit impunément appeller PEMorale de cet Ami,un Poëte, par- TRONE Un des plus honnêtes tifan fincère de la véritable Ver- Hommes du Monde. Personne_ne tu & de la Morale la plus févère. fe trompe à la valeur de ces ExC'est à ce titre que M. Defpréaux preffions; & M. Du Monteil condamnoit les Maximes répan- pouvoit là deflus s'épargner tout dues dans les Ecrits d'un Ecri- détail. vain, dont il difoit, comme il eft rapporté dans le Bolaana: "Qu'est-ce qu'un S. Evremond, ,, que les Sots ofent comparer à Montagne? Les écarts de l'un valent mieux que tout le con,, cert & l'arrangement de l'au,, tre, qui n'eft qu'un charlatan de ruelles ; qui fe panade dans fes termes étudiés, & fes maximes prétendues philofophi,, ques. Paffons-lui ce qu'il a écrit fur la Guerre, dont il ne fe démêle pas mal. Mais pour le refte, c'eft un faux Ariftar,, que qui veut juger de tout, ,, comme Perrin Dandin, quoi. ,, qu'il prenne fouvent l'ombre

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Profitons cependant de ce qu'il y a d'uniquement utile dans fa très-longue Note. C'est mal prou. ver que M. de S. Evremond regardoit PETRONE comme fon Héros en fait de Morale que de nous ren. voier aux Réflexions fur la Doctrine d'Epicure, imprimées parmi les Ouvrages de S. Evremond. Elles font de Sarrafin ; & le trouvent à la tête de fes Nouvelles Oeuvres, qui parurent à Paris en 1674. en 2. Vol. in-12.

IMIT. Vers 74. Ne font que faux brillans, & que morceaux de verre. ] On trouve cette Pensée dans les Fragmens de Sublius Syrus:

Fortuna vitrea eft, tum cùm fplendet, frangitur.
VERS 75. Un injufle Guerrier, &c.] Alexandre. DES?.

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