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La Satire ne fert qu'à rendre un Fat illustre. 200 C'est une ombre au tableau qui lui donne du luftre. En les blâmant enfin j'ai dit ce que j'en croy,

205

Et, tel, qui m'en reprend, en pense autant que moy.
Il a tort, dira l'un, Pourquoi faut-il qu'il nomme?
Attaquer Chapelain! ah! c'est un fi bon Homme.
Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers.

Il eft vrai, s'il m'euft creu, qu'il n'euft point fait de vers.
Il fe tue à rimer. Que n'écrit-il en profe?

Voilà ce que l'on dit. Et que dis-je autre chose? En blâmant fes Ecrits, ai-je d'un ftile affreux 210 Distilé sur sa vie un venin dangereux ?

Ma Muse en l'attaquant, charitable & discrette,
Sçait de l'Homme d'honneur diftinguer le Poëte.
Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité;
Qu'on prife fa candeur & fa civilité :

215 Qu'il foit doux, complaifant, officieux, fincere:
On le veut, j'y foufcrits, & fuis preft de me taire.

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Mais que pour un modele on montre fes écrits,
Qu'il foit le mieux renté de tous les beaux Esprits;
Comme Roi des Auteurs, qu'on l'éleve à l'Empire,
220 Ma bile alors s'échauffe, & je brûle d'écrire :
Et s'il ne m'eft permis de le dire au papier;
J'irai creufer la terre, & comme ce Barbier,
Faire dire aux roseaux
par un nouvel
organe,
Midas, le Roi Midas a des oreilles d'Afne.
225 Quel tort lui fais-je enfin? ai-je par un écrit
Petrifié fa veine, & glacé fon efprit ?

Quand un Livre au Palais fe vend & fe debite,
Que chacun par fes yeux juge de fon mérite ;

REMARQUES.

VERS 218. Qu'il foit le mieux renté de tous les beaux Efprits.] CHAPELAIN avoit de divers endroits 8000. livres de penfion.

DESP.

Le Roi lui donnoit une penfion de 1000. écus, & M. le Duc de Longueville une de 4000. francs, à caufe du Poëme de la Pucelle d'Orleans.

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VERS 222. J'irai creufer la terre &comme ce Barbier, &c.] Midas, Roi de Phrygie, poflédoit de grands tréfors: ce qui a donné lieu aux Poëtes de feindre que ce Prince changeoit en or, tout ce qu'il touchoit. Mais il avoit très peu d'efprit. Apollon & Pan s'étant défiés à chanter le prirent pour Juge. Il aju. P. Men' mutire nefas,

,

quam.

Midas. Ce

gea la préférence à Pan. Apol
lon, pour s'en vanger, donna
des oreilles d'Afne
Prince cachoit fa difgrace avec
foin; mais comme il ne put
empêcher que fon Barbier ne
s'en apperçut il lui défendit
fur peine de la vie d'en parler.
Le Barbier ne pouvant fe taire

fit dans la terre un creux,

il dit tout bas: Midas a des
oreilles d'Afne. Il crut avoir en-
terré fon fecret; mais la terre
produifit des Rofeaux, qui êtant
agités par le vent redifoient

tout haut: Midas a des oreilles d'Alne..

IMIT. Ibid. J'irai creufer la terre, &c.] Perfe, Satire I. Vers 119.

nec clam, nec cum fcrobe? A. Nus

P. Hic tamen infodiam, vidi, vidi ipfe, libelle :
Auriculas afini Mida Rex habet?

VERS 124. Midas, le Roi Mi-
das, &c.] M. Perrault le Méde-
cin, voulut faire à nôtre Au-

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teur un crime d'Etat de ce Vers comme d'une maligne allufion au Roi. Voïés le Bolaana.

Que Bilaine l'étale au deuxième Pilier :
230 Le dégoût d'un Cenfeur peut-il le décrier?
En vain contre le Cid un Ministre se ligue ;
Tout Paris pour Chimene a les yeux de Rodrigue;
L'Academie en corps a beau le cenfurer;

Le Public revolté s'obftine à l'admirer.

235 Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumiere,
Chaque Lecteur d'abord lui devient un Liniere
Envain il a reçu l'encens de mille Auteurs:
Son Livre en paroissant dément tous ses Flateurs.
Ainfi, fans m'accufer, quand tout Paris le jouë,
240 Qu'il s'en prenne à fes vers que
Phebus defavouë,

Qu'il s'en prenne à fa Muse Allemande en François.
Mais laiffons Chapelain pour la derniére fois.

REMARQUES.

VERS 229. Que Bilaine, &c.]
Libraire du Palais. DE SP.

Louis Bilaine avoit fa bouti-
que au deuxième Pilier de la
grand'Salle. Il mourut en 1681.
C'eft lui qui vendoit le Poëme
de la Pucelle.

VERS 231. En vain contre le,
Cid un Miniflre fe ligue.] Voïez
P'Hiftoire de l'Académie, par Pe-
liffon, DES P.

M. Corneille aïant fait répré-
fenter le Cid, la gloire qu'il en

reçut lui attira bien des Envieux, Leur parti fe trouva même fortifié par le Cardinal de Richelieu, qui força l'Académie Françoise à faire la Critique de cette Pièce. Cette Critique fut imprimée en 1637. fous le titre de Sentimens de l'Académie Françoife fur le Cid.

VERS 236. -lui devient un Liniere. ] Auteur qui a écrit contre Chapelain. DESP.

Avant que la Pucelle parut, il l'attaqua par cette Epigramme :

Nous attendons de Chapelain,
Ce rare & fameux Ecrivain,
Une merveilleufe Pucelle.

La Cabale en dit force bien :
Depuis vingt ans on parle d'Elle,
Dans fix mois on n'en dira rien.

,

Au fujet de Linière Voies pitre V. & celle fur le Vers 104. la Remarque fur le Vers 8. de l'Edu II. Chant de l'Art Poëtique.

La Satire, dit-on, eft un métier funefte,

Qui plaift à quelques gens, & choque tout le refte. 245 La fuite en eft à craindre. En ce hardi métier

La peur plus d'une fois fit repentir Regnier.

Quittez ces vains plaifirs, dont l'appas vous abufe:
A de plus doux emplois occupez votre Muse :
Et laiffez à Feuillet réformer l'Univers.

250 Et fur quoi donc faut-il que s'exercent mes vers?
Irai-je dans une Ode, en phrases de Malherbe,
Troubler dans fes rofeaux le Danube fuperbe :
Délivrer de Sion le Peuple gemiffant :
Faire trembler Memphis, ou paflir le Croiffant:

REMARQUES.

IMIT. Vers 243. La Satire dit-on, eft un métier funefte, &c.] Nôtre Auteur a bien enchéri

fur ce que La Frefnaie Vauque lin dit dans la II. Satire de fon I. Livre. C'est un malheur que des Satires faire : Car on ne peut à toutes gens complaire. VERS 246. La peur plus d'une fois fit repentir Regnier. Et moi auffi, difoit quelquefois l'Au

teur.

Mathurin Regnier, né à Chartres le 21. de Decembre 1573. & mort à Rouen le 21. d'Octobre 1613. êtoit neveu de Philippe Desportes. La tradition à Chartres eft, qu'étant encore fort jeune, il fit des Vers contre diverfes per fonnes, qui lui attirèrent beaucoup d'ennemis. Ce qui força fon Père à l'en châtier fouvent. Il lui recommandoit ou d'imiter fon oncle & de fuir la médifance, ou de ne point écrire.

VERS 249. Et laissez à Feuillet réformer l'Univers. ] Fameux Prédicateur fort outré dans fes Prédications. DESP.

Nicolas Feuillet, Chanoine de

faint Cloud & célèbre Miffionnaire, s'êtoit mis en poffeffion de reprendre très-librement les premières perfonnes de la Cour de leurs déreglemens. On lui a fait l'application de ce Verfet du Pfeaume CXVIII. Loquebar de teftimoniis tuis in confpetu Regum, & non confundebar. Il mourut à Paris le 7. de Septembre 1693. âgé de 71. ans. On a fon Portrait admirablement gravé par Edelinck.

VERS 251. Irai-je dans une Ode en phrases de Malherbe, &c.] Charles Du Périer, Poëte qui vivoit alors, faifoit des Odes Francoifes, dans lefquelles il affectoir d'imiter Malherbe, & mêrne d'en copier les expreffions. Il avoit abandonné la Poëfie Latine dans laquelle il réudiffoit fort bien.

255 Ei paffant du Jourdain les ondes alarmées,

Cueillir, mal-à-propos, les Palmes Idumées ? Viendrai-je, en une Eglogue, entouré de troupeaux. Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux, Et dans mon cabinet affis au pied des heftres, 260 Faire dire aux échos des fottifes champestres ? Faudra-t'il de fens froid, & fans eftre amoureux Pour quelque Iris en l'air, faire le langoureux; Lui prodiguer les noms de Soleil & d'Aurore, Et toûjours bien mangeant mourir par métaphore à 265 Je laisse aux Doucereux ce langage affeté, Où s'endort un efprit de molleffe hébeté.

REMARQUES.

VERS 256. les Palmes Idumées. L'Idumée eft une Province voifine de la Judée, abondante en Palmiers.

IMIT. Vers 261, Fandra-t-il de fens froid fans eftre amoureux, &c.] Il femble que dans ce Vers & les trois qui fuivent,

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nôtre Auteur fe foit propofe de rendre la penfée de Saint-Ge niez, natif d'Avignon, dont les Poëfies parurent à Paris in-4°. en 1654. chés Courbé. Il dit dans fon Idille III. intitulée: Enterpes five De Re Poetica;

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