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A-t-on veu quelquefois dans les plaines d'Afrique,
Déchirant à l'envi leur propre Republique,

Lions contre Lions, Parens contre Parens,
Combattre follement pour le choix des Tyrans?
135 L'animal le plus fier qu'enfante la nature,
Dans un autre animal refpecte fa figure,
De fa rage avec lui modere les accés,

Vit fans bruit, fans débats, fans noise, fans procés.
Un Aigle fur un champ pretendant droit d'aubeine;
140 Ne fait point appeller un Aigle à la huitaine.
Jamais contre un Renard chicanant un poulet,
Un Renard de fon fac n'alla charger Rolet.
Jamais la biche en rut, n'a pour fait d'impuiffance,
Trainé du fond des bois un Cerf à l'Audiance,
145 Et jamais Juge entr'eux ordonnant le congrés,
De ce burlesque mot n'a fali ses arrests,

REMARQUES.

Tous les amis de l'Auteur, par-
ticulièrement M. de Brienne, ce.
lui qui après avoir êté Secretaire
d'Etat, entra l'an 1664. dans
la Congrégation de l'Oratoire;
La Fontaine & Racine, remarquè
rent que l'on ne difoit pas : Fai-
re la guerre avec quelqu'un; mais
à quelqu'un ; & qu'ainfi il falloit
dire; l'Ours fait-il la guerre aux
Ours. Chacun s'efforça de cor-
riger ce Vers, mais perfonne n'y
put réuffit. Il avoit même efluïé
plufieurs Editions avec cette né
gligence, lorfqu'enfin l'Auteur
trouva moïen de le rectifier, en
mettant a-t-il, au lieu de fait-il,
dans l'Edition de 1674.

IMIT. Vers 133. Lions contre

Lions, &c.] Vers du Cinna. DESP. Edition 1701. Parodie. Il y a dans le CINNA Romains contre Romains &c. DESP. Edition de 1713. (C'eft dans la Scène III. de l'Acte I.)

VERS 139. Un Aigle fur un champ pretendant droie d'Aubaine.] C'eft un droit qu'a le Roy de fucceder aux biens des Etrangers qui meurent en France, & qui n'y font point naturalifez. DESP.

VERS 142. Un Renard de fon fac n'alla charger Rolet.] Voïés Satire I. Vers 2. L'exemple du Renard eft d'autant plus jufte que Rolet avoit la phifionomie & les inclinations d'un Renard.

VERS 145. Et jamais Juge en

On ne connoift chez eux ni placets, ni Requestes,
Ni haut ni bas Confeil, ni Chambre des Enqueftes,
Chacun l'un avec l'autre en toute feureté

150 Vit fous les pures lois de la fimple équité.

L'Homme feul, l'Homme seul, en sa fureur extrême
Met un brutal honneur à s'égorger foi-mefme.
C'eftoit peu que fa main, conduite par l'enfer,
Eust paistri le falpeftre, euft aiguisé le fer.
155 Il falloit que fa rage, à l'univers funefte,
Allaft encor de lois embrouiller un Digeste;
Cherchaft pour l'obfcurcir des glofes, des Docteurs,
Accablaft l'équité fous des monceaux d'Auteurs,

Et

pour comble de maux apportaft dans la France 160 Des harangueurs du tems l'ennuieufe éloquence. Doucement, diras-tu. Que fert de s'emporter ? L'Homme a fes paffions; on n'en fçauroit douter; Il a comme la mer fes flots & fes caprices. Mais fes moindres vertus balancent tous fes vices.

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165 N'eft-ce pas l'Homme enfin, dont l'art audacieux
Dans le tour d'un compas a mefuré les cieux ?
Dont la vafte Science, embraffant toutes chofes,
A fouillé la nature, en a percé les causes ?
Les animaux ont-ils des Univerfitez ?

170 Voit-on fleurir chez eux des quatre Facultez ?
Y voit-on des Sçavans en Droit, en Medecine,
Endoffer l'écarlatte, & fe fourrer d'hermine?
Non fans doute, & jamais chez eux un Medecin
N'empoifonna les bois de fon art affaffin.
175 Jamais Docteur armé d'un argument frivole,
Ne s'enroüa chez eux fur les bancs d'une Ecole.
Mais fans chercher au fond, fi noftre efprit deçeu
Sçait rien de ce qu'il fçait, s'il a jamais rien sçeu,
Toi-mesme, répons-moi. Dans le fiecle où nous fommes,
180 Eft-ce au pié du fçavoir qu'on mefure les hommes ?
Veux-tu voir tous les Grands à ta porte courir?
Dit un Pere à fon Fils, dont le poil va fleurir;

REMARQUES.

IMIT. Vers 166. Dans le tour d'un compas a mefuré les cieux.]

Defcripfit radio totum

VERS 170. Voit-on fleurir chez eux des quatre Facultex.] L'Uni. verfité eft compofée de quatre Facultez, qui font; les Arts, la Théologie, le Droit, & la Mé. decine. Les Docteurs portent dans

Ce Vers eft imité de Virgile,
Eglogue III. vers 41.
qui Gentibus Orbem.

les jours de ceremonie des Robes
rouges fourrées d'hermine.DESP.

IMI T. Vers 181. Veux-tu

voir tous les Grands à ta porte conrir?] HORACE, Art Poetique, vers 325.

Romani pueri longis rationibus affem
Difcunt in partes centum diducere: dicat
Filius Albini, fi de quincunce remota eft

Uncia, quid fuperat? poteras dixiffe. Triens. Heus.
Rem poteris fervare tuam, Redit uncia: quid fit?
Semis.

Prens

Prens-moi le bon parti. Laiffe là tous les livres.

Cent francs au denier cinq combien font-ils ? Vingt livres. 185 C'est bien dit. Va, tu fçais tout ce qu'il faut fçavoir. Que de biens, que d'honneurs fur toi s'en vont pleuvoir ! Exerce-toi, mon Fils, dans ces hautes sciences; Prens au lieu d'un Platon le Guidon des Finances; Sçache quelle Province enrichit les Traitans ; 190 Combien le fel au Roi peut fournir tous les ans. Endurci-toi le cœur. Sois Arabe, Corsaire, Injuste, violent, fans foi, double, faussaire. Ne va point fottement faire le genereux. Engraiffe-toi, mon Fils, du fuc des malheureux, 195 Et trompant de Colbert la prudence importune, Va par tes cruautez meriter la fortune.

Auffi-toft tu verras Poëtes, Orateurs,

Rheteurs, Grammairiens, Aftronomes, Docteurs, Dégrader les Heros pour te mettre en leurs places, 200 De tes titres pompeux enfler leurs dedicaces,

REMARQUES.

VERS 184. Cent francs an
denier cinq, combien font-ils ?
Vingt livres. C'est un Ufu-
rier qui parle & qui au
lieu d'interroger fon fils fur le
pié du denier vingt, qui eft l'in-
térêt légitime, l'interroge fur le
pié du denier cinq, qui eft fon
intérêt ordinaire.

VERS 188. Le Guidon des
Finances.] Livre qui traite des
Finances. DESP.

VERS 195. Et trompant de Col-
bert, &c.] Miniftre & Secre-
taire d'Etat, Contrôleur Géné-
ral des Finances, &c.

VERS 200. De tes titres pom

peux enfler leurs dedicaces. ] Il a voulu parler du grand Corneille qui reçut une fomme confidérable, pour dédier fon Cinna à Montoron, riche Partifan. Depuis ce tems-là, on a appellé les Epitres dédicatoires de cette espèce-là, des Epitres à la Montoron. BROSSETTE.

Quoiqu'on n'ait point de raifon de foupçonner la bonne foi du Commentateur, & que le fait, qu'il rapporte ici fe trouve encore dans d'autres Livres imprimés; on ne fauroit s'empêcher d'ajouter, que bien loin que Corneille aimât l'argent, il avoit

Te prouver à toi-mefme en Grec, Hebreu, Latin,
Que tu fçais de leur art & le fort & le fin.
Quiconque eft riche est tout. Sans sagesse il est sage,
Ila, fans rien fçavoir, la science en partage.
205 Il a l'efprit, le cœur, le merite, le rang,
La vertu, la valeur, la dignité, le fang.

Il eft aimé des Grands, il eft cheri des Belles.
Jamais Sur-Intendant ne trouva de Cruelles.
L'or même à la laideur donne un teint de beauté :
210 Mais tout devient affreux avec la pauvreté.

REMARQUES.

même à cet égard une indiffé-
rence blamable. C'eft ce que le
Père Tournemine a prouvé dans fa
Défenfe de Corneille.

IMITATION. Vers 203. Quiconque eft riche et tout, &c.] Horace, Liv. I. Epitre VI. vers

36.

Scilicet uxorem cum dote, fidemque & amicos,
Et genus,
& formam Regina pecunia donat,
Ac bene nummatum decorat Suadela, Venufque.
VERS 2C8. Jamais Sur-Inten- Finances.
dant ne trouva de Cruelles.] NI-
COLAS FOUQUET, Procureur Gé-
néral au Parlement de Paris, a
êté le dernier Sur Intendant des

VERS 209. L'or méme à la
laideur donne un teint de beauté.]
Ce Vers êtoit de cette maniè-
re:
L'or même à Péliffon donne un teint de beauté.
Paul Péliffon Fontanier, natif
de Caftres en Languedoc, Maî-
tre des Requêtes, reçu à l'Aca-
démie Françoife en 1652. en
confidération de fon Hiftoire
de l'Académie, &c. & mort à
Paris en 1692. êtoit d'une lai-
deur fi étonnante, qu'une Dame
lui dit un jour, qu'il abufoit de
la permiffion que les hommes
ont d'être laids. Son nom venoit
d'autant plus à propos, qu'il
avoit êté premier Commis de
M. Fouquet, défigné dans le Vers

précédent. Mais dans l'impreffion, l'Auteur fupprima le nom de M. Pélion, ne voulant pas lui reprocher un défaut corpcrel, dont il n'êtoit point coupable. Cependant, cet adoucifement ne contenta point M. Péliffon, qui conferva toûjours un reffentiment contre nôtre Poëte. Dans le Voyage de Bachaumont & la Chapelle, on fait dire à des gens du peuple, qu'ils croïoient M. de Scuderi.

Un homme de fort bonne mine,
Vaillant, riche toujours bien mis
Sa fær une beauté divine,
Et Peliffon un Adonis,

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