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Alors fans confulter fi Phebus l'en avouë, 130 Ma Mufe toute en feu me prévient & Te louë,

Mais bien-toft la raison arrivant au fecours, Vient d'un fi beau projet interrompre le cours, Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m'emporte, Que je n'ai ni le ton, ni la voix assez forte. 135 Auffi-tolt je m'effraye, & mon efprit troublé Laiffe là le fardeau dont il eft accablé :

Et fans paffer plus loin, finiffant mon ouvrage, Comme un Pilote en mer, qu'épouvante l'orage, Dés que le bord paroift, fans fonger où je fuis, 140 Je me fauve à la nage, & j'aborde où je puis,

REMARQUES.

IMIT. Vers 138. Comme un Pilote en mer, &c.] Le Bembe a dit dans une Lettre à Hercule Strozzi: EQUIDEM in his concludendis Elegis, feci quod Naute

non

folent qui tempeftate coati
eum portum capiunt quem petunt,
fed ad illum qui proximus eft de
feruntur. P. Bembus, Epiftolar.
Lib. III.

DISCOURS

SUR

LA SATIRE.

QUA

U AND je donnai la premiere fois me Satires au public, je m'estois bien préparé au tumulte que l'impreffion de mon Livre a excité fur le Parnaffe. Je fçavois que la nation des Poëtes, & fur-tout des mauvais Poëtes, est une Nation farouche qui prend feu aisément; & que ces Efprits avides de louanges, ne digereroient pas facilement une raillerie, quelque douce qu'elle puft eftre. Auffi oferaije dire à mon avantage, que j'ai regardé avec des yeux affez Stoïques 2 les libelles diffamatoires qu'on a publiez conrre moy. Quelques calomnies dont on ait voulu me noircir ; quel

REMARQUES.

Ce Difcours parut la première fois en 1668. avec la Satire neuvième. Le but de l'Auteur eft de juftifier ici, par l'exemple des plus fameux Poëtes anciens & modernes, la liberté, qu'il s'eft donnée, de nommer quelques Ecrivains dans fes Satires.

1. Ceci regarde particulièrement Cotin, qui avoit publié une

Satire contre l'Auteur. DE S P.

2. Les libelles diffamatoires, &c.] Outre la Satire, dont il eft parlé dans la Note précédente, Cotin avoit encore fait contre l'Auteur un Libelle en Profe titulé, La Critique défintéressée sur les Satires du tems. Voiez Satire III. Vers 64. & Satire IX. Vers

106.

in

ques faux bruits qu'on ait femez de ma perfonne, j'ai pardonné fans peine ces petites vengeances, au déplaifir d'un Auteur irrité qui fe voyoit attaqué par l'endroit le plus fenfible d'un Poëte, je veux dire, par fes ouvrages.

Mais j'avoue que j'ai efté un peu furpris du chagrin bizarre 3 de certains Lecteurs, qui, au lieu de fe divertir d'une querelle du Parnaffe, dont ils pouvoient eftre fpectateurs indifférens, ont mieux aimé prendre parti, & s'affliger avec les ridicules, que de fe réjouir avec les honneftes gens. C'eft pour les confoler que j'ai compofé ma neuviéme Satire, où je penfe avoir montré affez clairement, que fans bleffer l'Etat ni fa confcience, on peut trouver de méchans Vers méchans, & s'ennuyer de plein droit à la lecture d'un fot Livre. Mais puifque ces Meffieurs ont parlé de la liberté que je me fuis donnée de nommer, comme d'un attentat inouï & fans exemple, & que des exemples ne fe peuvent pas mettre en rimes; il eft bon d'en dire ici un mot, pour les inftruire d'une chofe qu'eux feuls veulent ignorer, & leur faire voir, qu'en comparaifon de tous mes Confreres les Satiriques, j'ai efté un Poëte fort retenu.

REMARQUES.

,

3. De certains Lecteurs qui au particulièrement M. le Duc de lien de fe divertir.] Ceci regarde Montauxier.

1

Et pour commencer par Lucilius 4 inventeur de la Satire, quelle liberté, ou plûtoft, quelle licence ne s'eft-il point donnée dans fes ouvrages? Ce n'eftoit pas feulement des Poëtes & des Auteurs qu'il attaquoit?s c'eftoit des gens de la premiere qualité de Rome : c'eftoit des perfonnes Confulaires. Cependant Scipion & Lélius ne jugerent pas ce Poëte, tout déterminé rieur qu'il eftoit, indigne de leur amitié, & vraisemblablement dans les occafions, ils ne lui refuferent pas leurs confeils fur fes Ecrits, non plus qu'à Térence. Ils ne s'aviferent point de prendre le parti de Lupus & de Metellus, qu'il avoit jouez dans fes Satires, & ils ne crurent pas lui donner rien du leur, en lui abandonnant tous les Ridicules de la République.

* num Lalius, aut qui

Duxit ab opprefsâ meritum Carthagine nomen
Ingenio offenfi aut lafo doluêre Metello,
Famofisve Lupo cooperto verfibus?

En effet, Lucilius n'épargnoit ni petits ni

REMARQUES.

* Horat. Sat. 1. v. 65. lib. II.

CHANG. 4. Inventeur de la Satire. Au lieu de ces mots, il y avoit dans les premières Editions: Satirique premier du nom. 1. C'étoit des gens de la première qualité, &c.] Martial, Liv. I.

Epitre au Lecteur: Cum (libelli mei) falvd infimarum quoque perfonarum reverentia, ludant; que adeò antiquis auctoribus defuit, ut nominibus non tantùm veris abuf fint, fed etiam magnis,

grands: & fouvent des Nobles & des Patriciens, il defcendoit jufqu'à la lie du peuple:

+ Primores populi arripuit, populumque tributim.

On me dira que Lucilius vivoit dans une Republique, où ces fortes de libertez peuvent eftre permises. Voyons donc Horace, qui vivoit fous un Empereur, dans les commencemens d'une Monarchie, où il est bien plus dangereux de rire qu'en un autre temps. Qui ne nomme-t-il point dans fes Satires? & Fabius le grand caufeur, & Tigellius le fantasque, & Nafidienus le ridicule, 6 & Nomentanus le débauché, & tout ce qui vient au bout de sa plume. On me répondra que ce font des noms fupofez. O la belle réponse ! Comme si ceux qu'il attaque n'eftoient pas des gens connus d'ailleurs comme fi l'on ne fçavoit pas que Fabius eftoit un Chevalier Romain, qui avoit composé un Livre de Droit: que Tigellius fut en fon tems un Muficien cheri d'Augufte: que Nafidienus Rufus eftoit un ridicule celebre dans Rome: que 7 Caffius Nomentanus eftoit un

REMARQUES.

+ Hor. ibid.

CHANG. 6. Et Nomentanus le débauché. ] Edition de 1668. Et Tanais le châtré.

CHANG. 7. Caffius Nomensanus, &c.] Au lieu de ces mots,

on lifoit dans la première Edition: Tanais étoit un Affranchi de Mecenas: Voïez Acrou, Porphyrion, & Suetone dans la vie d'An guste, &c.

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