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divine pourquoi donc, dit-il, ne pas lui attribuer aussi son existence actuelle, ici, en ce moment? Je réponds que cela est sans doute dù à Dieu, ainsi que toutes les autres choses, en tant qu'elles enveloppent quelque perfection; mais de même que cette première cause de toutes choses, conservant tout, n'anéantit pas et fait plutôt la permanence naturelle de la chose qui commence à être, ou la persévérance dans l'existence une fois accordée, ainsi elle ne détruira pas, mais plutôt confirmera l'efficace naturelle de l'être mis en mouvement, ou la persévérance dans l'action une fois imprimée.

14. Je découvre encore dans cette dissertation apologétique beaucoup de points où il y a de la difficulté : par exemple, il dit que lorsque le mouvement est transmis d'une boule à une autre par plusieurs intermédiaires, la dernière est mue par la même force qui a mû la première; il me paraît à moi que c'est par une force équivalente, et non la même; puisque (ce qui pourra paraître étonnant) c'est par sa propre force, savoir, son élasticité, qu'elle est mise en mouvement, repoussée par la boule voisine; et ici je ne dispute plus sur ce point, et je ne nie pas qu'on ne doive expliquer le fait mécaniquement par le mouvement d'un fluide parcourant l'intérieur du corps. Ainsi encore on s'étonnera avec raison de cette assertion, que le corps n'ayant pas l'initiative de son mouvement, il ne puisse non plus le continuer par lui-même. Il est plutôt constant que, si une force est nécessaire pour imprimer le mouvement, l'élan une fois donné, loin qu'il en faille une nouvelle pour le continuer, il en faut plutôt pour l'arrêter. Car, quant à cette conservation par l'intervention de la cause universelle, nécessaire aux choses, elle n'est pas de ce sujet; et, comme nous l'avons déjà fait voir, si elle ôtait l'efficace des choses, elle en supprimerait aussi la persistance.

15. Par là on s'aperçoit de nouveau que la doctrine des causes occasionnelles, défendue par quelques-uns, à moins de l'expliquer et d'y mettre les tempéraments que Sturm a déjà admis ou qu'il admettra vraisemblablement, est sujette à des conséquences dangereuses que ne veulent certainement pas ses très-savants défenseurs. Il s'en faut beaucoup qu'elle augmente la gloire de Dieu en brisant l'idole de la nature; et au contraire, les choses créées s'évanouissant en de pures modifications d'une unique substance divine,

elle va à identifier Dieu, comme l'a fait Spinosa, avec la nature même des choses: car ce qui n'agit pas, ce qui manque de puissance active, ce qui est dépouillé de toute marque distinctive, et enfin de toute raison et principe de subsistance, cela ne saurait être une substance à aucun titre. Je suis très-profondément convaincu que l'excellent Sturm, homme remarquable par sa piété et sa science, est très-éloigné de ces énormités; et je ne fais aucun doute, ou qu'il montrera clairement comment il ne laisse pas d'y avoir dans les choses et de la substance et du changement sans contredire à sa doctrine, ou qu'il donnera les mains à la vérité.

16. J'ai, du reste, plus d'une raison de soupçonner que je n'ai pas bien pénétré sa pensée, ni lui la mienne. Il m'a confessé quelque part qu'il se peut et presque se doit supposer dans les choses, comme leur étant attribuée en propre, une particule en quelque sorte de la puissance divine, c'est-à-dire, je pense, une expression, imitation ou effet prochain de cette puissance, puisque assurément elle ne se divise pas en parties. Qu'on voie ce qu'il m'a transmis et répété dans sa Physica electiva, en un endroit déjà indiqué au commencement de ce mémoire. Faut-il, comme les termes le portent, l'interpréter, ainsi que nous disons, une particule du souffle divin (divinæ particulam auræ): alors toute dispute est finie entre nous. Mais je n'ose lui attribuer décidément cette pensée, ne le voyant affirmer rien de pareil en aucun autre endroit, ni exprimer nulle part d'opinions conséquentes à celle-là; je remarque, au contraire, des assertions éparses qui cadrent mal avec ce sentiment, et que sa dissertation apologétique va à tout l'opposé. Je le sais, quand, à l'opinion sur la force que j'ai produite pour la première fois dans les Acta erudit. de Leipsick, au mois de mars 1694, et qu'a éclaircie ensuite mon Traité dynamique, inséré dans le même recueil en avril 1695, il a adressé par lettres quelques objections, sur ma réponse il déclara avec beaucoup de bienveillance que nous ne différions que par la manière de nous exprimer; j'y fis attention, et produisis encore quelques remarques, sur lesquelles, se tournant du côté contraire, il marqua entre nous un certain nombre d'oppositions que je reconnais; et, à peine celá fait, il en revint enfin tout dernièrement à écrire de nouveau que la seule différence entre nous est dans les termes, ce qui me serait trèsagréable. J'ai donc voulu, à l'occasion de cette dernière disserta

tion apologétique, exposer la chose de telle sorte qu'enfin on pût être facilement fixé et sur le sentiment de chacun et sur la vérité de nos opinions. La rare pénétration de cet excellent auteur, sa remarquable habileté d'exposition me donnent à espérer que par ses soins beaucoup de lumière pourra être répandue sur ce grand sujet; même, et précisément à cause de cela, je n'ai pas, de mon côté, perdu ma peine si je dois lui fournir l'occasion d'employer son zèle accoutumé et la force bien connue de son jugement à examiner et éclairer quelques points qui, dans le présent sujet, ne sont pas d'un intérêt médiocre, et qui ont été omis jusqu'ici par les auteurs et par moi; à quoi remédient quelque peu, si je ne me trompe, de nouveaux axiomes puisés plus haut et répandus au loin, d'où paraît pouvoir naître un jour un système refait et amendé et une philosophie moyenne entre celle de la forme et celle de la matière, où sera gardé et allié le vrai de chacune.

VI

SYSTÈME NOUVEAU

DE LA NATURE

ET DE

LA COMMUNICATION DES SUBSTANCES,

AUSSI BIEN QUE DE L'UNION

QU'IL Y A ENTRE L'AME ET LE CORPS.

1. Il y a plusieurs années que j'ai conçu ce système et que j'en ai communiqué avec de savants hommes, et surtout avec un des plus grands théologiens et philosophes de notre temps, qui, ayant appris quelques-uns de mes sentiments par une personne de la plus haute qualité, les avait trouvés fort paradoxes. Mais, ayant reçu mes éclaircissements, il se rétracta de la manière la plus généreuse et la plus édifiante du monde; et, ayant approuvé une partie de mes propositions, il fit cesser sa censure à l'égard des autres, dont il ne demeurait pas encore d'accord. Depuis ce tempslà j'ai continué mes Méditations selon les occasions, pour ne donner au public que des opinions bien examinées, et j'ai tâché aussi de satisfaire aux objections faites contre mes Essais de dynamique, qui ont de la liaison avec ceci. Enfin, des personnes considérables ayant désiré de voir mes sentiments plus éclaircis, j'ai hasardé ces Méditations, quoiqu'elles ne soient nullement populaires ni propres à être goûtées de toute sorte d'esprits. Je m'y suis porté principalement pour profiter des jugements de ceux qui sont éclairés en ces

matières; puisqu'il serait trop embarrassant de chercher et de sommer en particulier ceux qui seraient disposés à me donner des instructions que je serai toujours bien aise de recevoir, pourvu que l'amour de la vérité y paraisse plutôt que la passion pour les opinions dont on est prévenu.

2. Quoique je sois un de ceux qui ont fort travaillé sur les mathématiques, je n'ai pas laissé de méditer sur la philosophie dès ma jeunesse, car il me paraissait toujours qu'il y avait moyen d'y établir quelque chose de solide par des démonstrations claires. J'avais pénétré bien avant dans le pays des scolastiques lorsque les mathématiques et les auteurs modernes m'en firent sortir encore bien jeune. Leurs belles manières d'expliquer la nature mécaniquement me charmèrent, et je méprisais avec raison la méthode de ceux qui n'emploient que des formes ou des facultés dont on n'apprend rien. Mais depuis, ayant tâché d'approfondir les principes mêmes de la mécanique pour rendre raison des lois de la nature que l'expérience faisait connaître, je m'aperçus que la seule considération d'une masse étendue ne suffisait pas, et qu'il fallait employer encore la notion de la force, qui est très-intelligible, quoiqu'elle soit du ressort de la métaphysique. Il me paraissait aussi que l'opinion de ceux qui transforment ou dégradent les bêtes en pures machines, quoiqu'elle semble possible, est hors d'apparence et même contre l'ordre des choses.

3. Au commencement, lorsque je m'étais affranchi du joug d'Aristote, j'avais donné dans le vide et dans les atomes, car c'est ce qui remplit le mieux l'imagination; mais, en étant revenu après bien des méditations, je m'aperçus qu'il est impossible de trouver les principes d'une véritable unité dans la matière seule ou dans ce qui n'est que passif, puisque tout n'y est que collection ou amas de parties à l'infini. Or la multitude ne pouvant avoir sa réalité que des unités véritablès, qui viennent d'ailleurs, et sont tout autre chose que les points dont il est constant que le continu ne saurait être composé; donc, pour trouver ces unités réelles, je fus contraint de recourir à un atome formel, puisqu'un être matériel ne saurait être en même temps matériel et parfaitement indivisible ou doué d'une véritable unité. Il fallut donc rappeler et comme réhabiliter les formes substantielles, si décriées aujourd'hui, mais d'une manière qui les rendît intelligibles, et qui séparât l'usage

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