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tionnelles dans le fond, diffèrent de celles qu'on appelle hypothétiques, comme serait cette proposition : Si une figure a trois côtés, ses angles sont égaux à deux droits, où l'on voit que la proposition antécédente (savoir, la figure de trois côtés) et la conséquente (savoir les angles de la figure de trois côtés sont égaux à deux droits) n'ont pas le même sujet comme elles l'avaient dans le cas précédent, où l'antécédent était : Cette figure est de trois côtés, et le conséquent : Ladite figure est de trois angles; quoique encore l'hypothétique souvent puisse être transformée en catégorique, mais en changeant un peu les termes, comme si, au lieu de l'hypothétique précédente, je disais : Les angles de toute figure à trois côtés sont égaux à deux droits. Les scolastiques ont fort disputé de constantia subjecti, comme ils l'appelaient, c'est-à-dire comment la proposition faite sur un sujet peut avoir une vérité réelle si ce sujet n'existe point: c'est que la vérité n'est que conditionnelle, et dit qu'en cas que le sujet existe jamais, on le trouvera tel. Mais on demandera encore en quoi est fondée cette connexion, puisqu'il y a de la réalité là-dedans qui ne trompe pas. La réponse sera qu'elle est dans la liaison des idées. Mais on demandera, en répliquant, où seraient ces idées si aucun esprit n'existait, et que deviendrait alors le fondement réel de cette certitude des vérités éternelles. Cela nous mène enfin au dernier fondement des vérités, savoir, à cet esprit suprême et universel qui ne peut manquer d'exister, dont l'entendement, à dire vrai, est la région des vérités éternelles, comme saint Augustin l'a reconnu et l'exprime d'une manière assez vive; et afin qu'on ne pense pas qu'il n'est point nécessaire d'y recourir, il faut considérer que ces vérités nécessaires contiennent la raison déterminante et le principe régulatif des existences mêmes, et, en un mot, les lois de l'univers. Ainsi ces vérités nécessaires étant antérieures aux existences des êtres contingents, il faut bien qu'elles soient fondées dans l'existence d'une substance nécessaire. C'est là où je trouve l'original des idées et des vérités qui sont gravées dans nos âmes, non pas en forme de propositions, mais comme des sources dont l'application et les occasions feront naître des énonciations actuelles.

CHAPITRE XII.

Des moyens d'augmenter nos connaissances.

1. PHILALÈTHE. Nous avons parlé des espèces de connaissances que nous avons; maintenant venons aux moyens d'augmenter la connaissance ou de trouver la vérité. C'est une opinion reçue parmi les savants que les maximes sont les fondements de toute connaissance, et que chaque science en particulier est fondée sur certaines choses déjà connues ( præcognita). 22. J'avoue que les mathématiques semblent favoriser cette méthode par leurs bons succès; et vous avez assez appuyé là-dessus. Mais on doute encore si ce ne sont pas plutôt les idées qui y ont servi par leur liaison bien plus que deux ou trois maximes générales qu'on a posées au commencement. Un jeune garçon connaît que son corps est plus grand que son petit doigt, mais non pas en vertu de cet axiome, que le tout est plus grand que sa partie. La connaissance a commencé par les propositions particulières; mais depuis on a voulu décharger la mémoire par le moyen des notions générales d'un tas embarrassant d'idées particulières. Si le langage était si imparfait qu'il n'y eût point les termes relatifs tout et partie, ne pourrait-on point connaître que le corps est plus grand que le doigt? Au moins ja vous représente les raisons de mon auteur, quoique je croie entrevoir ce que vous y pourrez dire, en conformité de ce que vous avez déjà dit.

THÉOPHILE. Je ne sais pourquoi l'on en veut tant aux maximes pour les attaquer encore de nouveau; si elles servent à décharger la mémoire de quantité d'idées particulières, comme on le reconnaît, elles doivent être fort utiles, quand elles n'auraient point d'autre usage; mais j'ajoute qu'elles n'en naissent point, car on ne les trouve point par l'induction des exemples. Celui qui connaît que dix est plus que neuf, que le corps est plus grand que le doigt, et que la maison est trop grande pour pouvoir s'enfuir par la porte, connaît chacune de ces propositions particulières, par une même raison générale qui y est comme incorporée et enluminée, tout comme l'on voit des traits chargés de couleurs où la proportion et la configuration consiste proprement dans les traits, quelle que soit

la couleur. Or cette raison commune est l'axiome même, qui est connu pour ainsi dire implicitement, quoiqu'il ne le soit pas d'abord d'une manière abstraite et séparée. Les exemples tirent leur vérité de l'axiome incorporé, et l'axiome n'a pas son fondement dans les exemples; et, comme cette raison commune de ces vérités particulières est dans l'esprit de tous les hommes, vous voyez bien qu'elle n'a point besoin que les mots tout et partie se trouvent dans le langage de celui qui en est pénétré.

§ 4. PHILALÈTHE. Mais n'est-il pas dangereux d'autoriser les suppositions sous prétexte d'axiomes? L'un supposera, avec quelques anciens, que tout est matière; l'autre, avec Polémon, que le monde est Dieu; un troisième mettra en fait que le soleil est la principale divinité. Jugez quelle religion nous aurions si cela était permis. Tant il est vrai qu'il est dangereux de recevoir des principes sans les mettre en question, surtout s'ils intéressent la morale; car quelqu'un attendra une autre vie semblable plutôt à celle d'Aristippe, qui mettait la béatitude dans les plaisirs du corps, qu'à celle d'Antisthène, qui soutenait que la vertu suffit pour rendre heureux. Et Archélaüs, qui posera pour principe que le juste et l'injuste, l'honnête et le déshonnête sont uniquement déterminés par les lois et non par la nature, aura sans doute d'autres mesures du bien et du mal moral que ceux qui reconnaissent des obligations antérieures aux constitutions humaines. § 5. Il faut donc que les principes soient certains. § 6. Mais cette certitude ne vient que de la comparaison des idées. Ainsi nous n'avons point besoin d'autres principes; et, suivant cette seule règle, nous irons plus loin qu'en soumettant notre esprit à la discrétion d'autrui.

THEOPHILE Je m'étonne, monsieur, que vous tourniez contre les maximes, c'est-à-dire contre les principes évidents, ce qu'on peut et doit dire contre les principes supposés gratis. Quand on demande des præcognita dans les sciences, ou des connaissances antérieures qui servent à fonder la science, on demande des principes connus, et non pas des positions arbitraires dont la vérité n'est point connue; et même Aristote l'entend ainsi, que les sciences inférieures et subalternes empruntent leurs principes d'autres sciences que nous appelons la métaphysique, qui, selon lui, ne demande rien aux autres et leur fournit les principes dont elles ont besoin; et quand il dit : Δεῖ πιστεύειν τὸν μανθάνοντα,

L'apprenti doit croire son maître, son sentiment est qu'il ne le doit faire qu'en attendant, lorsqu'il n'est pas encore instruit dans les sciences supérieures, de sorte que ce n'est que par provision. Ainsi l'on est bien éloigné de recevoir des principes gratuits. A quoi il faut ajouter que même des principes dont la certitude n'est pas entière peuvent avoir leur usage si l'on ne bâtit là-dessus que par démonstration; car, quoique toutes les conclusions en ce cas ne soient que conditionnelles et vaillent seulement en supposant que ce principe est vrai, néanmoins cette liaison même et ces énonciations conditionnelles seraient au moins démontrées; de sorte qu'il serait fort à souhaiter que nous eussions beaucoup de livres écrits de cette manière, où il n'y aurait aucun danger d'erreur, le lecteur ou disciple étant averti de la condition; et on ne réglera point la pratique sur ces conclusions qu'à mesure que la supposition se trouvera vérifiée ailleurs. Cette méthode sert encore elle-même bien souvent à vérifier les suppositions ou hypothèses, quand il en naît beaucoup de conclusions dont la vérité est connue d'ailleurs; et quelquefois cela donne un parfait retour suffisant à démontrer la vérité de l'hypothèse. M. Conring, médecin de profession, mais habile homme en toute sorte d'érudition, excepté peut-être les mathématiques, avait écrit une lettre à un ami occupé à faire réimprimer, à Helmstædt, le livre de Viottus, philosophe péripatéticien estimé, qui tâche d'expliquer la démonstration et les analytiques postérieures d'Aristote. Cette lettre fut jointe au livre, et M. Conring y reprenait Pappus, lorsqu'il dit que l'analyse propose de trouver l'inconnu en le supposant, et en parvenant de là par conséquent à des vérités connues; ce qui est contre la logique, disait-il, qui- enseigne que des faussetés on ne peut conclure des vérités. Mais je lui fis connaître par après que l'analyse se sert des définitions et autres propositions réciproques, qui donnent moyen de faire le retour et de trouver des démonstrations synthétiques. Et même, lorsque ce retour n'est point démonstratif, comme dans la physique, il ne laisse pas quelquefois d'être d'une grande vraisemblance lorsque l'hypothèse explique facilement beaucoup de phénomènes difficiles sans cela et fort indépendants les uns des autres. Je tiens à la vérité, monsieur, que le principe des principes est en quelque façon le bon usage des idées et des expériences; mais, en l'approfondissant, on trouvera qu'à l'égard des idées ce

n'est autre chose que de lier les définitions par le moyen des axiomes identiques. Cependant ce n'est pas toujours une chose aisée de venir à cette dernière analyse; et, quelque envie que les géomètres, au moins les anciens, aient témoignée d'en venir à bout, ils ne l'ont pas encore pu faire. Le célèbre auteur de l'Essai concernant l'entendement humain leur ferait bien du plaisir s'il achevait cette recherche, un peu plus difficile qu'on ne pense. Euclide, par exemple, a mis parmi les axiomes ce qui revient à dire que deux lignes droites ne se peuvent rencontrer qu'une seule fois. L'imagination, prise de l'expérience des sens, ne nous permet pas de nous figurer plus d'une rencontre de deux droites; mais ce n'est pas sur quoi la science doit être fondée. Et si quelqu'un croit que cette imagination donne la liaison des idées distinctes, il n'est pas assez instruit de la source des vérités, et quantité de propositions démontrables par d'autres antérieures passeraient chez lui pour immédiates. C'est ce que bien des gens qui ont repris Euclide n'ont pas assez considéré. Ces sortes d'images ne sont qu'idées confuses; et celui qui ne connaît la ligne droite que par ce moyen ne sera pas capable d'en rien démontrer. C'est pourquoi Euclide, faute d'une idée distinctement exprimée, c'est-à-dire d'une définition de la ligne droite (car celle qu'il donne en attendant est obscure et ne lui sert point dans les démonstrations), a été obligé de revenir à deux axiomes qui lui ont tenu lieu de définitions et qu'il emploie dans ses démonstrations : l'un, que deux droites n'ont point de partie commune; l'autre, qu'elles ne comprennent point d'espace. Archimède a donné une manière de définition de la droite en disant que c'est la plus courte ligne entre deux points; mais il suppose tacitement (en employant dans les démonstrations des éléments tels que ceux d'Euclide, fondés sur les deux axiomes dont je viens de faire mention) que les affections dont parlent ces axiomes conviennent à la ligne qu'il décrit. Ainsi, si vous croyez avec vos amis, sous prétexte de la convenance et disconvenance des idées, qu'il était permis et l'est encore de recevoir en géométrie ce que les images nous disent, sans chercher cette rigueur de démonstration par les définitions et les axiomes que les anciens ont exigée dans cette science (comme, je crois, bien des gens jugeront, faute d'information), je vous avouerai, monsieur, qu'on peut s'en contenter pour ceux qui ne se mettent en peine que de la géomé

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