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sorte que celui qui ramasse les sommes des colonnes laisse sur le papier les traces des progrès de son raisonnement, de telle manière qu'il ne fait point de pas inutilement. Il le peut toujours revcir, et corriger les dernières fautes, sans qu'elles influent sur les premières; la révision aussi qu'un autre en veut faire ne coûte presque point de peine de cette manière, parce qu'il peut examiner les mêmes traces à vue d'œil: outre les moyens de vérifier encore les comptes de chaque article par une sorte de preuve très-commode, sans que ces observations augmentent considérablement le travail du compte. Et tout cela fait bien comprendre que les hommes peuvent avoir des démonstrations rigoureuses sur le papier, et en ont sans doute une infinité. Mais, sans se souvenir d'avoir usé d'une parfaite rigueur, on ne saurait avoir cette certitude dans l'esprit. Et cette rigueur consiste dans un règlement dont l'observation sur chaque partie soit une assurance à l'égard du tout; comme dans l'examen de la chaîne par anneaux, où visitant chacun pour voir s'il est ferme, et prenant des mesures avec la main, pour n'en sauter aucun, on est assuré de la bonté de la chaîne. Et par ce moyen on a toute la certitude dont les choses humaines sont capables. Mais je ne demeure point d'accord qu'en mathématique les démonstrations particulières sur la figure qu'on trace fournissent cette certitude générale comme vous semblez le prendre; car il faut savoir que ce ne sont pas les figures qui donnent la preuve chez les géomètres, quoique le style ecthétique le fasse croire. La force de la démonstration est indépendante de la figure tracée, qui n'est que pour faciliter l'intelligence de ce qu'on veut dire et fixer l'attention; ce sont les propositions universelles, c'està-dire les définitions, les axiomes et les théorèmes dejà démontrés qui font le raisonnement, et le soutiendraient quand la figure n'y serait pas. C'est pourquoi un savant géomètre, comme Scheubelius, a donné les figures d'Euclide sans leurs lettres, qui les puissent lier avec la démonstration qu'il y joint; et un autre, comme Herlinus, a réduit les mêmes démonstrations en syllogismes et prosyllogismes.

CHAPITRE II.

Des degrés de notre connaissance.

§ 1. PHILALÈTHE. La connaissance est donc intuitive lorsque l'esprit aperçoit la convenance de deux idées immédiatement par elles-mêmes sans l'intervention d'aucune autre. En ce cas, l'esprit ne prend aucune peine pour prouver ou examiner la vérité. C'est comme l'œil voit la lumière, que l'esprit voit que le blanc n'est pas le noir, qu'un cercle n'est pas un triangle, que trois est deux et un. Cette connaissance est la plus claire et la plus certaine dont la faiblesse humaine soit capable; elle agit d'une manière irrésistible sans permettre à l'esprit d'hésiter. C'est connaître que l'idée cst dans l'esprit telle qu'on l'aperçoit. Quiconque demande une plus grande certitude ne sait pas ce qu'il demande.

THEOPHILE. Les vérités primitives, qu'on sait par intuition, sont de deux sortes comme les dérivatives. Elles sont du nombre des vérités de raison, ou des vérités de fuit. Les vérités de raison sont nécessaires, et celles de fait sont contingentes. Les vérités primitives de raison sont celles que j'appelle d'un nom général identiques, parce qu'il semble qu'elles ne font que répéter la même chose, sans nous rien apprendre. Elles sont affirmatives ou négatives; les affirmatives sont comme les suivantes: Chaque chose est ce qu'elle est. Et dans autant d'exemples qu'on voudra A est A, Best B. Je serai ce que je serai. J'ai écrit ce que j'ai écrit. Et rien en vers comme en prose, c'est être rien ou peu de chose. Le rectangle équilatéral, cette figure est un rectangle. Les copulatives, les disjonctives et autres propositions sont encore suscepti bles de cet identicisme, et je compte même parmi les affirmatives : Non-A est non-.4. Et cette hypothétique : Si A est non- -B, il s'ensuit que A est non-B. Item, si non-A est B C, il s'ensuit que nonA est B C. Si une figure qui n'a point d'angle obtus peut être un triangle régulier, une figure qui n'a point d'angle obtus peut étre régulière. Je viens maintenant aux identiques négatives qui sont ou du principe de contradiction, ou des disparates. Le principe de contradiction est, en général, une proposition est ou vraie ou fausse, ce qui renferme deux énonciations vraies : l'une,

que le vrai et le faux ne sont point compatibles dans une méme proposition, ou qu'une proposition ne saurait être vraie et fausse à la fois; l'autre, que l'opposé ou la négation du vrai et du faux ne sont pas compatibles, ou qu'il n'y a point de milieu entre le vrai et le faux, ou bien il ne se peut pas qu'une proposition soit ni vraie ni fausse. Or, tout cela est encore vrai dans toutes les propositions imaginables en particulier : comme ce qui est A ne saurait étre non-A. Item, il est vrai que quelque homme se trouve qui ne soit pas un animal. On peut varier ces énonciations de bien des façons, et les appliquer aux copulatives, disjonctives et autres. Quant aux disparates, ce sont ces propositions qui disent que l'objet d'une idée n'est pas l'objet d'une autre idée : comme que la chaleur n'est pas le même que la couleur ; item, l'homme et animal n'est pas la même chose, quoique tout homme soit animal. Tout cela se peut assurer indépendamment de toute preuve, ou de la réduction à l'opposition ou au principe de contradiction, lorsque ces idées sont assez entendues pour n'avoir point besoin ici d'analyse; autrement on est sujet à se méprendre : car, disant le triangle et le trilatère n'est le même, on se tromperait, puisqu'en le bien considérant on trouve que les trois côtés et les trois angles vont toujours ensemble. En disant le rectangle quadrilatère et le rectanyle n'est pas le même, on se tromperait encore; car il se trouve que la seule figure à quatre côtés peut avoir tous les angles droits. Cependant on peut toujours dire dans l'abstrait que le triangle n'est pas le trilatère, ou que les raisons formelles du triangle et du trilatère ne sont pas les mêmes, comme parlent les philosophes. Ce sont de différents rapports d'une même chose. Quelqu'un, après avoir entendu avec patience ce que nous venons de dire jusqu'ici, la perdra enfin, et dira que nous nous amusons à des énonciations frivoles, et que toutes les vérités identiques ne servent de rien. Mais on fera ce jugement faute d'avoir assez médité sur ces matières. Les conséquences de logique (par exemple) se démontrent par les principes identiques; et les géomètres ont besoin du principe de contradiction dans leurs démonstrations qui réduisent à l'impossible. Contentons-nous ici de faire voir l'usage des identiques dans les démonstrations des conséquences du raisonnement. Je dis donc que le seul principe de contradiction suffit pour démontrer la seconde et la troisième figure des syllogismes par la pre

:

mière. Par exemple on peut conclure dans la première figure, en barbara:

Tout Best C

Tout A est B

Donc tout A est C.

Supposons que la conclusion soit fausse (ou qu'il soit vrai que quelque A n'est point C), donc l'une ou l'autre des prémisses sera fausse aussi. Supposons que la seconde est véritable, il faudra que la première soit fausse, qui prétend que tout B est C. Donc sa contradictoire sera vraie, c'est-à-dire quelque B ne sera point C. Et ce sera la conclusion d'un argument nouveau, tiré de la fausseté de la conclusion et de la vérité de l'une des prémisses du précédent. Voici cet argument nouveau :

Quelque A n'est point C.

Ce qui est opposé à la conclusion précédente supposée fausse. Tout A est B.

C'est la prémisse précédente supposée vraie.

Donc quelque B n'est point C.

C'est la conclusion présente vraie, opposée à la prémisse précédente fausse.

Cet argument est dans le mode disamis de la troisième figure, qui se démontre ainsi manifestement et d'un coup d'œil du mode barbara de la première figure, sans employer que le principe de contradiction. Et j'ai remarqué dans ma jeunesse, lorsque j'épluchais ces choses, que tous les modes de la seconde et de la troisième figure se peuvent tirer de la première par cette seule méthode, en supposant que le mode de la première est bon, et par conséquent que la conclusion étant fausse, ou sa contradictoire étant prise pour vraie, et une des prémisses étant prise pour vraie aussi, il faut que la contradictoire de l'autre prémisse soit vraie. Il est vrai que dans les écoles logiques on aime mieux se servir des conversions pour tirer les figures moins principales de la première, qui est la principale, parce que cela paraît plus commode pour les écoliers. Mais pour ceux qui cherchent les raisons démonstratives, où il faut employer le moins de suppositions qu'on peut, on ne démontrera pas par la supposition de la conver

sion ce qui se peut démontrer par le seul principe primitif, qui est celui de la contradiction et qui ne suppose rien. J'ai même fait cette observation, qui parait remarquable, c'est que les seules figures moins principales, qu'on appelle directes, savoir la seconde et la troisième, se peuvent démontrer par le principe de contradiction tout seul; mais la figure moins principale indirecte, qui est la quatrième, et dont les Arabes attribuent l'invention à Galène, quoique nous n'en trouvions rien dans les ouvrages qui nous restent de lui, ni dans les autres auteurs grecs, la quatrième, dis-je, a ce désavantage qu'elle ne saurait être tirée de la première ou principale par cette méthode seule, et qu'il faut encore employer une autre supposition, savoir les conversions; de sorte qu'elle est plus éloignée d'un degré que la seconde et la troisième, qui sont de niveau et également éloignées de la première, au lieu que la quatrième a besoin encore de la seconde et de la troisième pour être démontrée. Car il se trouve fort à propos que les conversions mêmes dont elle a besoin se démontrent par la figure seconde ou troisième, démontrables indépendamment des conversions, comme je viens de faire voir. C'est Pierre de La Ramée qui fit déjà cette remarque de la démonstrabilité de la conversion par ces figures; et (si je ne me trompe) il objecta le cercle aux logiciens, qui se servent de la conversion pour démontrer ces figures, quoique ce ne fût pas tant le cercle qu'il leur fallait objecter (car ils ne se servaient point de ces figures à leur tour pour justifier les conversions que l'hysteron proteron ou le rebours; parce que les conversions méritaient plutôt d'être démontrées par ces figures, que ces figures par les conversions. Mais comme cette démonstration des conversions fait encore voir l'usage des identiques affirmatives, que plusieurs prennent pour frivoles tout à fait, il sera d'autant plus à propos de la mettre ici. Je ne veux parler que des conversions sans contraposition, qui me suffisent ici, et qui sont simples ou par accident, comme on les appelle. Les conversions simples sont de deux sortes; celle de l'universelle négative, comme : nul carré n'est obtusangle, donc nul obtusangle n'est carré; et celle de la particulière affirmative, comme: quelque triangle est obtusangle, donc quelque obtusangle est un triangle. Mais la conversion par accident, comme on l'appelle, regarde l'universelle affirmative, comme tout carré est rectangle, donc quelque rectangle est

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