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OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.

DES INTÉRÊTS MATÉRIELS EN GÉNÉRAL, ET DES TRAVAUX PUBLICS EN PARTICULIER.

CHAPITRE PREMIER.

CONSIDÉRATIONS POLITIQUES.

État politique actuel de la France.

Question posée entre la bourgeoisie et la démocratie. - Étroite liaison des intérêts matériels et de la liberté pour les classes laborieuses. Importance des intérêts matériels sous le rapport de la politique générale, - De leur insuffisance du même point de vue. Une dynastie nouvelle suppose une nouvelle œuvre sociale.-Nécessité, pour la royauté de juillet, de porter la plus grande attention aux questions d'intérêt matériel.—Il dépend d'elle de réhabiliter le principe monarchique. Situation critique. — Attitude des classes ouvrières, et positions conquises par elles.

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Les discussions des partis, de 1830 à 1837, n'ont

porté que sur des questions vieillies et désormais hors de saison. C'était une dernière répétition des luttes de quinze ans, dont la révolution de juillet devait pourtant entraîner la clôture irrévocable. Aussi, malgré l'importance qu'y attachent encore quelques prétendus novateurs, gens, à mon avis, fort arriérés, voltigeurs d'un autre ancien régime, ce n'est plus que du verbiage sans portée et sans but. L'arène au milieu de laquelle ils se battent les flancs est déserte, elle ne se repeuplera pas. Le calme dont jouit maintenant la France ne laisse pas de doute sur la résolution bien arrêtée des esprits à cet égard.

Nulle part cependant, et en France moins que partout ailleurs, le calme ne peut être de l'inaction. Le travail est la loi commune des individus et des sociétés; à chaque jour suffit sa tâche, mais chaque jour doit avoir la sienne : tâche douloureuse et souvent ingrate aux époques d'agitation; tâche douce et féconde lorsque la tranquillité a succédé à l'orage. La voix, la grande, l'impérieuse voix qui crie aux nations: Marche! marche! nous interdit de rester mollement accroupis sur le bord de la route; mais cette fois l'œuvre qui est devant nous consiste, non à verser des torrents de sang, non à ébranler le monde, mais à pacifier les sociétés et à faire le bien sur la plus large échelle au profit de tous.

La tâche nouvelle qui nous échoit va exiger le concours de tout ce qui, en France, est doué d'intelligence et de cœur, et, disons-le aussi, d'énergie et de décision, car en l'absence de ces qualités rien ne se réalise. Il s'agit de vider le débat entre la bourgeoisie

et la démocratie. Si quelque chose pouvait accroitre la considération qui entoure le nom de M. Guizot, c'est que cet esprit éminent, sentant que telle était aujourd'hui l'affaire la plus essentielle et la plus urgente du pays, a solennellement posé cette question dans une joute parlementaire qui restera mémorable.

La bourgeoisie est définitivement libre; depuis 1830 les fauteurs de la féodalité sont renversés pour ne plus se relever. L'affranchissement de la démocratie est écrit en gros caractères dans l'article 1er de la Charte; mais les dispositions organiques qui doivent de fait le consacrer et le parfaire sans qu'il soit offensif pour les classes bourgeoises, sont encore à trouver.

Et d'abord quel peut être le sens du mot de liberté appliqué aux classes laborieuses? La liberté, telle que de sincères amis de ces classes ont voulu la leur donner, est une liberté trop calquée sur le modèle bourgeois; ce n'est ni celle que les prolétaires souhaitent, ni celle qui leur convient. En 1789, lorsque la bourgeoisie se mit en campagne contre la noblesse, il ne lui manquait, pour être libre, c'est-à-dire pour avoir le plein usage de ses facultés, que d'être admise dans la carrière politique. L'émancipation consistait pour elle à retirer les fonctions publiques des mains des classes privilégiées qui en avaient le monopole : elle poursuivit ce but, elle l'atteignit, et elle mit ainsi ses intérêts et ceux de tous à l'abri du bon plaisir des courtisans et des caprices des maîtresses royales. Pour la démocratie, la liberté se présente sous un autre aspect: la plus dure servitude pour elle, ce n'est pas la privation de certaines franchises politiques; le joug

qu'elle porte, celui dont elle est le plus impatiente de se délivrer, c'est celui de la misère. L'homme qui a faim n'est pas libre, car évidemment il n'a pas la disposition de ses facultés, soit physiques, soit intellectuelles, soit morales.

L'aspect matériel de la liberté devait très-peu occuper le tiers état en 1789, parce que, grâce à son travail, la bourgeoisie avait, pendant le sept siècles qui s'étaient écoulés depuis la création des communes, péniblement amassé à la sueur de son front ce qui donne l'aisance, ce qui assure le boire, le manger et le gîte. La réforme, telle que l'entreprit la bourgeoisie, était celle que pouvaient concevoir des gens qui n'avaient ni faim, ni soif, ni froid. Celle qui reste à accomplir au profit de la démocratie doit être conçue de ce point de vue : que la démocratie a froid, soif et faim; qu'elle mérite de changer de condition, qu'elle en a la volonté, et, disons-le franchement, la puis

sance.

En un mot, le progrès des intérêts matériels est devenu au plus haut degré une affaire politique. C'est de la politique telle qu'il est aujourd'hui indispensable d'en faire, de celle à laquelle doivent se vouer tous ceux dont les sentiments d'humanité les plus purs font vibrer la poitrine, tous ceux qui aiment leur patrie et qui tiennent à lui épargner d'affreuses tempêtes.

Je ne prétends pas que la politique doive et puisse en France se restreindre aux intérêts matériels; dans un pays où il y a tant d'intelligence et de cœur, tant d'imagination et de fierté, le matérialisme ne parviendra jamais à régner sans partage. Mais le créateur et

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