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le soutien des intérêts matériels, le travail, moralise l'homme, et c'est en vérité le seul agent de moralisation auquel il soit, dans le moment présent, possible de recourir avec chance de succès. La prospérité matérielle importe, on ne saurait trop le proclamer, à l'exercice des libertés publiques. Que sont des droits électoraux ou municipaux pour des hommes enchainés à la misère? Les Anglais ont raison d'appeler l'aisance une indépendance.

La plus haute ambition de la nation française, le suprême bonheur pour elle, c'est de jouer un grand rôle dans le monde, c'est d'intervenir dans toutes les grandes questions que soulèvent les affaires du genre humain, et d'exercer, au prix de son sang, la noble faculté d'initiative que la Providence lui a confiée; il est donc impossible de confiner la politique française dans des discussions ou des entreprises d'intérieur. Mais désormais il n'y aura de grands peuples et de peuples puissants que les peuples riches. Si l'Angleterre a fini par nous vaincre dans la bataille de géants que nous lui avons livrée, ce n'est pas qu'elle fût plus brave ou plus habile que nous, c'est qu'elle avait plus de trésors, et qu'elle put, à force de subsides, attirer au dernier jour les gros bataillons de son côté. Pour reparaître avec éclat sur la scène du monde, pour recommencer avec succès nos merveilleuses propagandes des croisades et de la révolution française, lorsque l'occasion en sera venue, si elle revient, et lorsque les peuples s'écrieront encore une fois : Dieu le veut! si ces scènes de sublime enthousiasme doivent se répéter encore, il faut avant tout enrichir notre

patrie. Nous qui sommes habitués à donner des exemples au monde, nous, pour qui c'est un besoin, ne devrons-nous pas nous sentir heureux et fiers lorsque nous pourrons montrer à tous, amis et ennemis, une population de trente-cinq millions jouissant à la fois des biens de la liberté et de l'ordre, doucement alliés aux joies de l'aisance et cimentés par elle? Ne serait-ce pas la première fois que ce spectacle, à la fois imposant et consolateur, aurait été offert à la civilisation?

Je ne sais si, dans un accès d'optimisme, je me fais illusion, mais il me semble que nous aurons le bonheur de résoudre pratiquement le problème qui est posé aujourd'hui partout, de concilier les intérêts et les droits de la bourgeoisie avec ceux des classes populaires. Il y a bien çà et là des entraves et de fâcheux présages; nos combinaisons représentatives sont hérissées d'imperfections; notre régime administratif est criblé de lacunes; nous semblons quelquefois cernés et traqués entre des impossibilités; il règne souvent dans l'atmosphère un certain fumet de Directoire qui inspire un profond dégoût aux hommes à volonté généreuse; par moments nous sommes assourdis par uné idéologie chicanière renouvelée du Bas-Empire, et nous paraissons menacés d'un amollissement et d'un aplatissement universels; plus d'une fois il arrive que l'on jette autour de soi des regards pour chercher des hommes à résolution calme mais forte, ayant puissance de réprimer le mal et de dégager le bien, sans apercevoir nulle part le virum quem. Cependant les germes d'avenir l'emportent sur ceux de la dissolution

et de l'anarchie. Ce que, dans son franc langage de soldat, un illustre maréchal appelait le gâchis, se remet graduellement en ordre. L'ensemble des faits annonce que nous assisterons à une régénération nationale, par l'installation de nouveaux rapports entre la bourgeoisie et la démocratie.

L'inauguration d'une dynastie nouvelle est un symptôme évident de rénovation sociale; car, lorsqu'un peuple n'est pas à la veille de périr, un avénement de dynastie est le signal et la condition de grandes entreprises d'une nature nouvelle; l'histoire d'aucun peuple ne justifie aussi bien que la nôtre cette opinion. Le passé et le présent de nos princes suffiraient à leur tracer la ligne de leurs devoirs, lors même que leur sagesse et leur patriotisme ne les leur révéleraient pas. Ils se souviennent que la monarchie dont la Providence et la volonté nationale ont remis les destins en leurs mains, date de quatorze siècles, et que le sang royal qui coule dans leurs veines était déjà royal il y a plus de huit cents ans; mais ils savent aussi qu'ils ont parmi leurs ancêtres le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire, et c'est celui dont ils s'enorgueillissent le plus; ils auront à cœur de mettre à exécution son paternel programme de la poule au pot. Ils se rappelleront toujours que c'est la bourgeoisie qui, après 1830, secondant par sa ferme attitude la haute prévoyance du roi, a préservé le trône alors mal affermi; mais ils n'oublieront jamais que ce trône avait été dressé par le bras populaire.

La royauté de juillet a une position unique au monde; elle n'est ni la royauté d'une coterie de pri

vilégiés, ni celle d'une démocratie jalouse et hautaine; elle n'est même pas celle de la bourgeoisie seulement, quoique ce soit dans les rangs des classes bourgeoises qu'elle ait trouvé ses interprètes les plus éloquents et ses amis les plus dévoués. Instituée au profit de tous, elle étend sa protection féconde sur tous les intérêts.

Ce qui la distingue par-dessus tout, c'est qu'elle est appelée à une tâche glorieuse, celle d'élever au-dessus de toute atteinte le principe monarchique au profit de la civilisation tout entière. Depuis 1830, la royauté a eu à soutenir un duel à mort contre l'esprit de bouleversement. Elle a prouvé aux partis qu'elle était plus forte qu'eux. Par le noble usage qu'elle a fait de sa victoire, elle a fait voir qu'elle était plus que juste, qu'elle était magnanime; elle a aujourd'hui à démontrer, ainsi que l'aime notre siècle calculateur et positif, c'est-à-dire par le fait, qu'elle conserve intacte, en face des besoins nouveaux qui agitent les populations, la même supériorité qu'elle possède quand il faut vaincre des ennemis ou pardonner à des vaincus. Sous ce rapport, il n'y a pas d'exagération à dire qu'elle tient entre ses mains le sort du principe même de la monarchie. Les adversaires sérieux du régime monarchique promettent pour un prochain avenir, aux masses populaires, des satisfactions devenues chères à toutes les classes, et auxquelles aujourd'hui tous les hommes pensent avec raison, dans une certaine limite, avoir acquis des droits sacrés. Traçant le plus séduisant tableau de la prospérité de la démocratie américaine, ils affirment que si, en France, les ouvriers et les paysans ne sont pas aussi magnifique

ment partagés, c'est à la monarchie qu'il faut s'en prendre. La monarchie, personnifiée dans la dynastie de juillet, est mise en demeure de montrer que, mieux que qui que ce soit, elle a puissance de guider les populations vers la terre promise. Il ne dépend que d'elle et de ceux qui lui sont dévoués, qu'elle sorte avec éclat de cette épreuve décisive. L'instant critique est arrivé, instant solennel où l'on peut appliquer à la France cette parole, que quarante siècles la contemplent, non quarante siècles du passé, mais quarante siècles d'avenir, de qui les destinées politiques seront fixées par le résultat des expériences que va tenter l'Europe, sous les auspices et à la suite de la France.

Il y a donc à rechercher par quels moyens on peut rapidement et sûrement développer les intérêts matériels, et comment on peut garantir à notre démocratie une part convenable du fruit de ces améliorations.

Le second point, tout difficile qu'il est, me paraît le moins embarrassant, et je ne m'en occuperai pas ici. Notre démocratie compte de chauds amis qui sauront faire valoir ses droits et lui assurer son lot; elle a maintenant le vent en poupe, elle connait parfaitement ce à quoi elle peut prétendre. Probablement même, à cause de la facilité des imaginations françaises à s'exalter, elle aura besoin qu'on lui recommande la patience, qu'on lui prescrive la réserve; car elle n'ignore pas qu'elle peut dire au prince, comme jadis le comte de Périgord à Hugues Capet : « Qui vous a fait roi?» à la bourgeoisie, qu'elle est maîtresse des deux plus puissantes institutions de notre société

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