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COURS DE LITTÉRATURE

ANCIENNE ET MODERNE;

PAR J. F. LAHARPE.

NOUVELLE ÉDITION,
AUGMENTÉE DE LA VIE DE L'AUTEUR,
ET ORNÉE DE SON PORTRAIT.

Indocti discant, et ament meminisse periti.

TOME QUATRIEME.

PARIS,
AMABLE COSTES, Libraire, rue de Seine, n° 12.

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DE LITTÉRATURE

ANCIENNE ET MODERNE.

PREMIERE PARTIE.

ANCIENS.

LIVRE TROISIEME.

HISTOIRE, PHILOSOPHIE

L

ET LITTÉRATURE MÊLÉE.

CHAPITRE II.

SECTION IV.
Séneque.

Il y a quinze ou seize ans qu'il s'éleva une grande querelle sur Séneque : elle ne fit pas, il est vrai, le même bruit en France et en Europe, que celle dont Homere fut le sujet dans le siecle dernier et dans le nôtre. Séneque ne tenait pas une assez grande place dans l'opinion, pour intéresser dans sa cause autant de lecteurs qu'Homere; et la discussion sur les Anciens et les Modernes, dont celui-ci fut l'occasion, n'était d'ailleurs qu'une question de goût. On ne laissa pas, suivant l'usage, d'y mêler cette espece d'aigreur qui naît si facilement de la contrariété des avis, et même cette dureté qui tient au pédantisme de l'érudition: vous avez vu que ce fut le tort de la savante Dacier. Cependant les injures ne furent du moins que lit

téraires, et n'attaquaient que l'esprit. Ici ce fut bien autre chose la controverse sur Séneque, roulant en grande partie sur le personnel de ce philosophe, fut une espece de procès criminel, et au point que dans aucune espece de procès on ne publia jamais de factum plus violent, plus outrageant, plus forcené que celui de Diderot contre quelques journalistes qui, en rendant compte de la traduction des Œuvres de Séneque (1), avaient osé, ou censurer sa conduite, ou seulement élever des doutes et jeter quelques nuages sur sa vertu. Heureusement le public ne prit pas à cette cause un intérêt égal, à beaucoup près, au vacarme que firent les apologistes de Séneque, et en prenait fort peu à la diffamation répandue sur ses adversaires, dont plusieurs en effet n'étaient pas déjà très-bien famés, mais qui cette fois avaient raison pour le fond des choses, quoiqu'ils n'eussent pas toujours bien choisi ni bien déduit leurs moyens. Ils eurent même, ce qui ne leur était pas ordinaire, l'avantage de la modération comme celui de la vérité, sans doute parce que personne ne pouvait guere se passionner contre Séneque, comme Diderot seul était capable de se passionner pour lui. Le scandale ne fut donc ni long ni éclatant; mais l'ouvrage de Diderot, qui fut lu malgré sa longueur et ses défauts, surtout à cause de quel ques sorties indirectement satyriques contre des puissances de plus d'une espece, est resté comme un des monumens les plus singuliers de l'intolérance fort peu philosophique de ceux qui s'appelaient exclusivement philosophes. Il a encore un autre caractere particulier à l'auteur : c'est le contraste à peine concevable dans tout autre que lui, des louanges outrées qu'il prodigue à la philosophie

(1) Ouvrage posthume de Lagrange.

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