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Je lui disois toujours un petit mot de Dieu; je le faisois souvenir de ses bons sentiments passés, et le priois de ne point étouffer le Saint-Esprit dans son coeur : sans cette liberté de lui dire en passant quelque mot, je n'aurois pas souffert cette confidence dont je n'avois que faire. Máis ce n'est pas tout : quand on rompt d'un côté, on croit se racquitter de l'autre, on se trompe. La jeune Merveille1 n'a pas rompu; mais je crois qu'elle rompra. Voici pourquoi mon fils vint hier me chercher du bout de Paris; il vouloit m'apprendre un accident qui lui étoit arrivé. Il avoit trouvé une occasion favorable, et cependant il.... ce fut une chose étrange; la demoiselle ne s'étoit jamais trouvée à telle fête : le cavalier en désordre sortit en déroute, croyant être ensorcelé; et ce qui vous paroîtra plaisant, c'est qu'il mouroit d'envie de me conter sa déconvenue : nous rîmes fort; je lui dis que j'étois ravie qu'il fût puni par où il avoit péché : il s'en

Ι

Il est question ici de Marie Desmares-Champmeslé, célèbre actrice, née en 1641, morte en 1698: elle vint à Paris en 1669, et débuta avec son mari sur le théâtre du Marais. A la rentrée de Pâques de 1670, la Champmeslé et son mari entrèrent dans la troupe de l'hôtel de Bourgogne. Ainsi, en rapprochant toutes, ces dates avec la date de la présente lettre, 1671, il est clair que la Champmeslé devait avoir alors trente ans, et non pas vingt-sept, comme le porte l'édition des Lettres de Madame de Sévigné, 1818. G. D. S. G.

prit à moi, et me dit que je lui avois donné de ma glace, qu'il se passeroit fort bien de cette ressemblance, que j'aurois bien mieux fait de la donner à ma fille. Il vouloit que Pecquet le restaurât; il disoit les plus folles choses du monde, et moi aussi : c'étoit une scène digne de Molière. Ce qui est vrai, c'est qu'il a l'imagination tellement bridée, que je crois qu'il n'en reviendra pas sitôt. J'ai beau l'assurer que tout l'empire amoureux est rempli d'histoires tragiques, il n'entend point de raison là-dessus. La petite Chimène dit qu'elle voit bien qu'il ne l'aime plus, et se console ailleurs. Enfin, c'est un désordre qui me fait rire, et je voudrois de tout mon coeur qu'il le pût retirer d'un état si malheureux à l'égard de Dieu. Ninon lui disoit l'autre 'jour qu'il étoit une vraie citrouille fricassée dans de la neige. Voyez ce que c'est que de voir bonne compagnie, on apprend mille gentillesses.

Votre frère me contoit l'autre jour qu'un comédien vouloit se marier, quoiqu'il eût un certain mal un peu dangereux; et son camarade lui dit : « Hé, morbleu! attends que tu sois guéri, «<tu nous perdras tous » cela me parut une jolie épigramme.

J'ai changé de nourrice pour votre enfant; celle qu'elle avoit étoit à souhait pour sa per

sonne;

il ne lui manquoit que du lait : je lui ai donné une bonne paysanne, sans façon, de belles dents, des cheveux noirs, un teint hâlé, vingt-quatre ans; son lait a quatre mois, son enfant est beau comme un ange; vous ne me connaîtriez plus : je suis devenue une vraie commère, et cela m'a acquis une grande réputation, car la petite profite à vue d'œil, et je m'en vais régenter dans mon quartier.

Madame de Marans disoit, il y a quelques jours, chez madame de La Fayette : « Ah! mon Dieu, <«< il faut que je me fasse couper les cheveux. »> Madame de La Fayette lui répondit bonnement: <«< Ah! mon Dieu, Madame, ne le faites point, cela ne sied bien qu'aux jeunes personnes. » Si vous n'aimez ce trait-là, dites mieux.

Voilà une lettre que j'ai reçue de M. de Marseille; je crois que ma réponse sera de votre goût, puisque vous la voulez si franche et si sincère, et conforme à cette amitié que vous vous étes jurée, dont la dissimulation est le lien, et votre intérêt le fondement. Cette période est de Tacite; jamais je n'ai rien vu de si beau. J'entre donc dans ce sentiment, et je l'approuve. Il faut lui faire croire qu'il est de nos amis, malgré qu'il en ait. Adieu, ma très-aimable enfant, je ne pense qu'à vous: si, par un miracle que je n'espère, ni ne veux, vous étiez hors de ma

pensée, il me semble que je serois vide de tout, comme une figure de Benoît 1.

M. d'Ambres donne son régiment au roi pour quatre-vingt mille francs et cent vingt mille livres : voilà les deux cent mille francs 2. Il est fort content d'être hors de l'infanterie, c'est-à-dire, de l'hôpital.

On connoît deux artistes du nom de Benoît dans le dixseptième siècle. Celui-ci excelloit dans les portraits en cire : il entreprit de cette manière les portraits des principaux seigneurs de la cour, dont il fit un salon d'exposition. La nouveauté de ce spectacle et la richesse des étoffes dont il ajustoit ses personnages en pied lui attiroient des curieux en foule et beaucoup d'argent. Cette singularité, qu'il ne faut pas confondre avec les productions de l'art, car elle ne montre jamais que des mannequins, personnages vides de tout, comme dit madame de Sévigné, fit donner à l'artiste lé surnom de Benoit du Cercle, tant à cause de son salon, que pour le distinguer d'Antoine Benoît, peintre, sculpteur, auteur du tombeau de Claude Bernard, surnommé le pauvre prétre, mort en odeur de sainteté en 1641. J'ai vu cet excellent ouvrage, en terre cuite, d'Antoine Benoît, à l'hôpital de la Charité, rue des Saints-Pères, à Paris. Benoît du Cercle étoit natif de Joigny en Bourgogne; il est mort en 1704. G. D. S. G.

Du prix de la charge de lieutenant-général de la HauteGuienne. D. P.

LETTRE CXLIV.

DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE Grignan.

A Paris, jeudi 9 avril 1671.

Voilà M. de Magalotti qui s'en va en Provence, je voudrais bien aller avec lui. Je ne sais s'il sentira bien le plaisir de vous voir; ce qui est certain, c'est que j'y serois fort sensible. Le voilà qui se joue avec ma petite-fille; il vous trouve fort honnête femme en la regardant : pour moi, qui trouve les Grignan fort beaux, je la trouve fort à mon gré. Je crois que vous serez aise de voir un homme de mérite, un homme du monde, un homme avec qui vous parlerez françois et italien si vous voulez; un homme dont les perfections sont connues de toute la cour; un homme enfin..... qui vous porte deux paires de souliers de Georget; que puis-je vous dire encore? Il s'en va voir madame de Monaco, et je parie que vous lui écrirez par lui. Il dit que sans ma lettre il ne seroit jamais reçu de vous comme il veut l'être; enfin, il se moque de moi; et moi, je l'envie, et je vous embrasse de tout mon cœur, mais sincèrement, et point du tout pour finir ma lettre.

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