Page images
PDF
EPUB

besoin de cette consolation; ne m'expédiez point là-dessus1. Si vous ne pouvez m'écrire, chargezen la petite Deville, et empêchez-la de donner dans la justice de croire, et dans le respectueux attachement ; qu'elle me parle de vous; et quoi encore? de vous, et toujours de vous.

LETTRE CLVII.

DE MADAME DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, vendredi 8 mai 1671.

Me voilà encore, et je ne puis partir que dans huit jours. L'incertitude du camp de Lorraine pour mener ou pour ne pas mener mon fils, fait toute la mienne, et me donne de l'ennui. J'en ai beaucoup plus encore de votre santé: votre voyage de Marseille me trouble; l'air de la petite vérole et le bruit des canons me donnent une inquiétude qui n'est que trop juste. Si je ne vais point m'en soulager par être auprès de vous, vous me serez bien plus obligée que si je traversois la Fance. L'état où je suis, et où je vais être, est dur à soutenir; et rien ne seroit capable de m'arrêter que les raisons que vous

Les mots soulignés sont dans l'édition de 1726, et nous ont paru devoir être conservés. M.

savez, et dont nous sommes en confidence, mon cher ami1 et moi. Je sens quelque consolation de l'avoir pour témoin de tous mes sentiments; ce n'est pas que j'en aie besoin auprès de vous, mais j'aime à mettre mes sentiments les plus chers en dépôt entre les mains d'un homme comme lui.·

Je fus hier long-temps chez madame du Puidu-Fou; sérieusement elle vous aime, et vous lui êtes obligée des soins et des prévoyances qu'elle a pour vous son cœur n'en sait pas davantage; mais dans cette étendue elle fait parfaitement bien. L'abbé est ravi de vous voir appliquée à vos affaires; il vous trouve digne de tous ses soins, dès le moment que vous songez à mettre la règle dans votre maison; ajoutez cette perfection à toutes les autres; ne vous relâchez point: il n'est point question de suivre toujours les beaux sentiments; il faut avoir pitié de soi, et avoir de la générosité pour soi-même, comme on en a pour les autres. En un mot, continuez tous vos bons commencements, et amusez-vous à vous conserver, et à bien conduire vos affaires. J'espère que le voyage de l'abbé, en quelque temps que ce soit, ne vous sera pas inutile. Adieu, ma très-chère, j'attends

[blocks in formation]

avec des impatiences vives des nouvelles de votre santé et de votre voyage.

LETTRE CLVIII.

DE MADAME de Sévigné a MADAME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi 13 mai 1671.

Je reçois votre lettre de Marseille; jamais relation ne m'a tant amusée. Je lisois avec plaisir et avec attention; je suis fâchée de vous le dire, car vous n'aimez pas cela, mais vous narrez très-agréablement; je lisois donc votre lettre vîte par impatience, et puis je m'arrêtois tout court, pour ne pas la dévorer si promptement : je la voyois finir avec douleur, et douleur de toute manière; car je ne vois que de l'impossibilité à votre retour, moi qui ne fais que le souhaiter. Ah! ma fille, ne m'en ôtez pas, ni à vous-même, l'espérance; pour moi, j'irai vous voir très-assurément, avant que vous ne preniez aucune résolution là-dessus : ce voyage est nécessaire à ma vie. Je tremble pour votre santé : vous avez été étourdie du bruit de tant de canons et du hou des galériens; vous y avez reçu des honneurs comme la reine, et moi, plus que je ne vaux; je n'ai jamais vu une telle galanterie

que de donner mon nom pour le mot de guerre. Je vois bien, ma fille, que vous pensez à moi très-souvent, et que cette maman mignonne de M. de Vivonne n'est pas de contrebande avec vous. Je crois que Marseille vous aura paru beau; vous m'en faites une peinture extraordinaire et qui ne déplaît pas : cette nouveauté, à quoi rien ne ressemble, touche ma curiosité; je serai fort aise de voir cette sorte d'enfer. Comment! des hommes gémir jour et nuit sous la pesanteur de leurs chaînes! Voilà ce qu'on ne voit point ici on en parle assez; elles font même quelquefois du bruit; mais il n'y a rien d'effectif qu'à Marseille : j'ai cette image dans la tête.

E' di mezzo l'orrore esce il diletto.

Vous étiez belle, à ce que vous dites; et où est donc votre grossesse? Comment s'accommode-t-elle avec votre beauté et avec tant de fatigue? Il m'est venu de deux endroits que vous aviez un esprit si bon, si juste, si droit et si solide, qu'on vous a fait seule arbitre des plus grandes affaires. Vous avez accommodé les différents infinis de M. de Monaco avec un monsieur dont j'ai oublié le nom : vous avez un sens si net et si fort au-dessus des autres, qu'on laisse le soin de parler de votre personne, pour louer votre esprit; voilà ce qu'on dit de vous ici. Si vous

trouvez quelque prince Alamir, vous avez du fond de reste pour faire le premier tome du roman, sans qu'on ose en parler. Je n'ai pas voulu faire ce tort à la Provence, de vous cacher la manière dont vous y êtes honorée, et dont on y parle de vous. Je voudrois savoir si vous êtes entièrement insensible à tous les honneurs qu'on vous fait; pour moi, je vous avoue grossièrement qu'ils ne me déplairoient pas, mais je ferois l'impossible pour tâcher de revenir quelque temps me dépouiller de ma splendeur; ce qui vous en reste ici est trop bon pour être négligé. Madame des Pennes a été aimable comme un ange; mademoiselle de Scuderi l'adoroit : c'étoit la princesse Cléobuline; elle avoit un prince Trasibule en ce temps-là; c'est la plus jolie histoire de Cyrus 2. Si vous étiez encore à Marseille, je vous prierois de faire bien des compliments pour moi à M. le général des galères 3; mais vous n'y êtes plus. Pour moi, je suis encore ici ; j'en suis en furie : je voulois partir vendredi;

1 Renée de Forbin, sœur de M. de Marseille, depuis cardinal de Janson. D. P.

2 Roman de mademoiselle de Scuderi. D. P.

3 Louis-Victor de Rochechouart, duc de Mortemar et de Vivonne, un des plus beaux esprits de la cour de Louis XIV, intime ami de Boileau. Il était frère des marquises de Mortemar et de Thiange, et fut un des magnifiques tenans du cercle de Ninon Lenclos. G D. S. G.

« PreviousContinue »