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du bonheur, au milieu des délices du monde, la philosophie avait prêché le néant; et maintenant les victimes marchent à l'échafaud, qui est pour elles le chemin de l'éternité. La beauté, la richesse, la grandeur, s'évanouissent comme un songe; la pensée de Dieu remplace tout; cette pensée, qu'on avait voulu chasser des cœurs, devient le seul bien de l'homme : elle survit à ses passions, le soutient dans son agonie, et l'enrichit de tous les trésors du ciel, lorsque tout lui échappe sur la terre. Ah! s'il n'y avait pas de Dieu, il y aurait donc des douleurs sans consolation !

Jetons un coup-d'oeil rapide sur la terre, essayons d'esquisser quelques-uns de ses tableaux, voyons si leur aspect doit nous mener à l'incrédulité.

La douleur appartient à ce globe; son empire est l'univers sur les glaces des pôles, aux bords de l'Alphée et de l'Aréthuse, dans les riantes vallées de l'Arcadie, partout où il y a des hommes on est sûr de rencontrer des infortunés. Mais si la douleur est partout, il n'est aucun lieu de la terre où, par une douce compensation, le plaisir ne puisse éclore. Le nègre, brûlé des ardeurs du soleil, a ses brises du soir, ses danses nocturnes, et les doux moments où il repose. Pourquoi refuser de voir les bienfaits qui nous environnent? Ces

couleurs, ces parfums, cette lumière, ces eaux murmurantes, ces voix harmonieuses, tout cela n'est-il donc que de la douleur? Doux repos de la nature! ravissement des ames vertueuses! rien n'est plus enivrant que vos émotions. Voyez comme au printemps tout renaît, tout s'anime, tout s'embellit. Il paraît, et les vallées fleurissent, et les coteaux se couvrent de feuillage; les cieux reprennent leur sérénité, le soleil toute sa splendeur, et de douces rosées rafraîchissent les airs, Le ciel épuiserait-il ses richesses pour embellir la terre? non. Quelques gaz impurs, décomposés dans la tige d'une plante, se sont changés en cette fleur délicate qui exhale de doux parfums. Un peu d'eau, que la nature a travaillée en silence, a formé ces forêts, ces fruits et ces moissons. L'air invisible a été légèrement agité, et des chants mélodieux ont ravi notre oreille; un rayon de lumière a été lancé dans l'espace, et les couleurs ont embelli l'univers, et les images magiques de ces tableaux ont été portées jusqu'à notre ame. Ainsi, il n'a fallu qu'un souffle pour nous environner de prodiges, et réveiller dans notre esprit les idées d'ordre, de sagesse et de puissance. Mais ne considérons point ces grands phénomènes; tant de pompe et de luxe nous éblouirait. Jetons les yeux sur ce que la nature a créé de plus faible, sur ces

atomes animés pour lesquels une fleur est un monde, et une goutte d'eau un océan. Les plus brillants tableaux vont nous frapper d'admiration; l'or, le saphir, le rubis, ont été prodigués à des insectes presque invisibles. Les uns marchent le front orné de panaches, sonnent la trompette et semblent armés pour la guerre; d'autres portent des turbans enrichis de pierreries, leurs robes sont étincelantes d'azur et de pourpre, ils ont de longues lunettes, comme pour découvrir leurs ennemis, et des boucliers pour s'en défendre. Il en est qui exhalent le parfum des fleurs, et sont créés pour le plaisir. On les voit avec des ailes de gaze, des casques d'argent, des épieux noirs comme le fer, effleurer les ondes, voltiger dans les prairies, s'élancer dans les airs. Ici, on exerce tous les arts, toutes les industries; c'est un petit monde qui a ses tisserands, ses maçons, ses architectes: on y connaît les lois de l'équilibre et les formes savantes de la géométrie. Je vois parmi eux des voyageurs qui vont à la découverte, des pilotes qui, sans voiles et sans boussole, voguent sur une goutte d'eau à la conquête d'un nouveau monde. Quel est le sage qui les éclaire, le savant qui les instruit, le héros qui les guide et les asservit? Quel est le Lycurgue qui a dicté des lois si parfaites? Quel est l'Orphée qui leur enseigna les règles de l'har

monie? Ont-ils des conquérants qui les égorgent et qu'ils couvrent de gloire? Se croient-ils les maîtres de l'univers, parce qu'ils rampent sur sa surface? Contemplons ces petits ménages, ces royaumes, ces républiques, ces hordes semblables à celles des Arabes; une mite va occuper cette pensée qui calcule la grandeur des astres, émouvoir ce cœur que rien ne peut remplir, étonner cette admiration accoutumée aux prodiges. Voici un faible insecte qui s'enveloppe d'un tissu de soie, et se repose sous une tente; celui-ci s'empare d'une bulle d'air, s'enfonce sous les eaux, et se promène dans son palais aérien. Il en est un autre qui se forme, avec de petits coquillages, une grotte flottante qu'il couronne d'une tige de verdure. Une araignée tend sous le feuillage des filets d'or, de pourpre et d'azur, qui semblent réfléchir les couleurs de l'arc-en-ciel*. Mais quelle flamme brillante se répand tout-à-coup au milieu de cette multitude d'atomes animés! Ces richesses sont effacées par de nouvelles richesses. Voici des insectes à qui l'aurore semble avoir prêté ses rayons les plus doux. Ce sont des flambeaux vivants qu'elle répand dans les prairies. Voyez cette mouche qui luit d'une clarté semblable à celle de la lune; elle porte avec elle le phare qui doit la guiL'araignée du Mexique, nommée atocall.

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der. Plus loin, un ver rampe sous le gazon; toutà-coup il se revêt de lumière, il s'avance comme le fils des astres, et ces reflets éclatants qui rayonnent autour de lui, éclairent les doux combats et les ravissements de l'amour.

Mais c'est dans les soins que prend la nature pour conserver ces petits êtres, qu'on reconnaît surtout sa prévoyance admirable. La sagesse de Pythagore, le génie de Platon, la science d'Aristomachus, ne dédaignaient pas l'étude de leurs jolies peuplades; la poésie même trouva dans cette étude des sujets qu'elle ne put embellir. Virgile, qui célébrait le triomphe d'Énée, la fondation de Rome, la gloire d'Auguste, passait des louanges du fils de Vénus aux louanges des abeilles. Que dis-je! on a vu deux académies entières se consacrer à l'étude de ces insectes*; des savants se sont réunis pour observer leurs moeurs, pour décrire leur gouvernement, et pour apprendre à l'Europe les travaux et l'intelligence d'une mouche. Son histoire n'est pas celle d'un individu isolé, c'est celle d'un peuple, d'une nation, c'est presque l'histoire d'Athènes ou de Sparte. Cependant, par un caprice singulier du sort, tandis que ces académiciens, armés de microscopes et munis de lettres patentes pour interroger la nature, cherchaient

* L'académie de Lusace et celle de Lauter.

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